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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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 I. 
 II. 
Chapitre II.
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
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 IX. 
 X. 
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 XII. 
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 I. 
 VII. 
 VIII. 

  
  

Chapitre II.

Description de l'Isle de Cuba, comme
elle est aujourd'huy.

CEtte Isle est située Est & Oüest, où
de l'Orient à l'Occident elle peut
avoir de hauteur depuis vingt degrez
jusques à vingt-trois de latitude Septentrionale,
& trois cens de longitude.
Elle a quatre cens lieuës Françoises de
tour, deux cens de longueur, & cinquante
de largeur tout au plus. On y
voit de grandes montagnes qui contien-

Mines d'or
& d'argent
qui n'ont
point encore
esté ouvertes.
nent des mines de cuivre, d'argent &
d'or, mais pas une n'est ouverte. Elle a
quantité de prairies, que les Espagnols
nomment Savanas, remplies de beaucoup

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de bétail, tant privé que sauvage:
elle est peuplée de bestes, sçavoir
de Sangliers, de Taureaux & de Chevaux,
comme l'Isle Espagnole, & en est
aussi remplie.

On y trouve les mesmes arbres, plantes,
arbrisseaux, reptiles, oyseaux, insectes,
que sur l'Isle déja nommée.
Quant aux oyseaux, il y a quantité de
Marchands qu'on ne trouve point sur
l'Isle Espagnole, & sont de deux sortes:
la premiere est comme ceux dont j'ay
parlé; & la seconde, de la mesme grosseur
& couleur de l'Espervier, avec un
gros bec orangé.

Ces oyseaux font une grande destruction,
& ne sont pas comme les Marchands,
qui ne mangent que des bestes
mortes; car ils s'attaquent aux veaux
& aux Poulains, qui n'ont pas encore
la force de se sauver: mais ils ne peuvent
rien faire aux Sangliers, qui courent
dés qu'ils sont nez. Les Espagnols
ont fait inutilement tout ce qu'ils ont
pû pour les détruire, & ne sçavent d'où
ils proviennent, à cause qu'on ne trouve
jamais leurs nids.

On ne voit point sur cette Isle de
Corbeaux, comme sur l'Isle Espagnole,


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cela est assez surprenant, & d'autant plus
que ces Isles sont proche les unes des
autres. On a remarqué que sur l'Isle
de la Tortuë, qui n'est qu'à deux lieuës
de l'Isle Espagnole, on n'y a jamais
pû élever ny nourrir de Corbeaux,
quoy que par plaisir plusieurs en ayent
apporté; & on n'a pû scavoir ce qu'ils
sont devenus, s'ils sont en allez, ou
morts.

Proprietez
& avantages
de cette Isle.
Les Indiens sauvages de l'Isle Saint
Dominique ont voulu peupler celles
de Saint Vincent, de la Tortuë, & de
Cuba, de Serpens qu'ils ont apportez des
Isles de Ste Lucie, & de la Martinique;
& cependant on n'y a point rencontré
de ces animaux, quoy que plusieurs
Chasseurs François y ayent pris garde.
Ils rapportent tous qu'ils n'y en ont jamais
vû, & tiennent qu'ils n'y peuvent
vivre: c'est ce qui est cause qu'il
ne se rencontre point sur cette Isle de
Cuba aucun animal veneneux.

Cette Isle est entourée d'une quantité
prodigieuse de tres petites Isles que
les Espagnols & les François nomment
Cayes. Elle a aussi de tres-beaux Ports,
Rivieres & Havres, où il se rencontre
des Villes fort Marchandes du costé du


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Midy vers l'Orient; & trois fameuses
Bayes, qui pourroient contenir grande
quantité de navires; sçavoir Puerte
Escondido,
qui veut dire Port caché,
parce qu'on n'en voit point l'entrée qui
est fort étroite: le Port de Palme de
S. Iago, qui est tres beau, & où il y a
une Ville de mesme nom, fort marchande,
& où il aborde tous les ans
plusieurs navires qui viennent des Isles
Canaries, chargez de vin d'Espagne,
avec toutes sortes de marchandises à
l'usage du païs. Ils échangent ces marchandises
contre des Cuirs, du Sucre
& du Tabac.

Le Gouverneur de cette Ville dépend
du Roy directement, & a sous sa domination
la moitié de l'Isle, avec le
Bourg de Bayame, les Villes du Port
au Prince,
de los Cayos, & Baracoa.
Quant à la Justice politique & civile,
elle dépend de l'Audience Presidiale de
S. Domingue. Il y a un Evesque, qui
a la Jurisdiction Ecclesiastique dans l'étenduë
du Gouvernement. Tout le
commerce que font ces Villes & ces
Bourgs, ne consiste qu'en Cuirs, en
Sucre, en Tabac, & en Confitures seches,
qui se transportent en plusieurs


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endroits des Indes de l'Amerique, &
mesme en Espagne: Cette Ville a esté
autrefois pillée par les Avanturiers de la
Jamaïque, quoy qu'elle soit gardée
d'un bon Fort qui défend l'entrée de
son Port.

Sortant du Port de Saint Iago, &
allant le long de la Coste, on rencontre
une grande pointe qui s'avance en Mer,
nommée le Cap de Crux, où il est tresdangereux
d'aborder, à cause de la
quantité de Ressifs qui sont aux environs:
En doublant ce Cap, on entre
dans une grande Baye appellée le Golfe
de Saint Iulien,
remplie de quantité
de petites Isles, où les Avanturiers viennent
souvent racommoder leurs Navires.

Dans le fond de ce Sol est le Bourg
de Bayame que j'ay déja nommé, &
de l'autre costé en suivant la coste
est le Port de Sainte Marie, qui
est celuy de la ville nommée le
Port au Prince,
Ville champestre au
milieu de prairies, où les Espagnols
ont quantité de Hatos, qui sont des
lieux, comme j'ay dit ailleurs, où ils
nourrissent des bestes à cornes, pour
en avoir le suif & les cuirs. Ils en ont


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encore d'autres nommées Materias, qui
D'où viennent
les cuirs
si estimez en
Europe.
sont des lieux où leurs Boucaniers ou
Chasseurs se retirent pour tuer des bestes
sauvages, & y faire secher les cuirs;
c'est de là que viennent tous les cuirs
qu'on estime tant en Europe, qu'on
nomme de Havana, parce que de cette
Ville du Port au Prince on les porte
à la Havana, qui est la Ville Capitale
de cette Isle, afin d'estre embarquées
pour l'Espagne, où de là ils passent
dans tous les autres Royaumes de
l'Europe.

Le long de cette mesme coste on
trouve le Bourg du Saint Esprit, & la
petite ville de la Trinité, qui a un assez
beau Port, fort accessible & commode
pour beaucoup de Navires: elle a
aussi une Riviere tres-belle & fort poissonneuse;
tout le trafic du Bourg & de
cette Ville ne consiste qu'en Tabac, qui
est tres-bon, & se transporte presque
en tous les endroits des Indes, & mesme
en Espagne, où, on en fait du Tabac en
poudre, qui est ce Tabac qu'on a par
toute l'Europe, & qu'on nomme Tabac
de Seville.

Dans l'Amerique on en use fort peu
en poudre, mais tout en fumée. On


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fait de ces feüilles de Tabac qui ne sont
point filées comme celuy qu'on nous
apporte des Isles Françoises & Angloises,
des petits boulets roulez que les
Espagnols nomment Cigarros, qui se
fument sans pipe. Plusieurs Navires
chargent de ce Tabac tous les ans, ce
qui accommode assez les Habitans de ces
deux places.

A dix ou douze lieuës de la Trinité
il y a un Port nommé le Golphe de
Xagua
par les Espagnols, & par les
François le Grand Port. J avoüe que
jamais je n'en ay vû un si beau ny si
commode: Son entrée est comme un
Canal de la portée d'un canon de trois
livres de balles, sa largeur d'une portée
de pistolet, bordée des deux côtez
de rochers, qui sont aussi égaux
entr'eux, que des murailles faites exprés;
ce qui fait une espece de Quay
des deux costez. Il y a assez de profondeur
pour y faire entrer les plus
grands Navires qui se voyent. Au dedans
de ce Canal on trouve une grande
Baye environnée de terre haute;
cette Baye contient plus de fix lieuës
de circuit, & au milieu il y a une petite
Isle, où les Navires peuvent donner


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Carene, & y prendre de l'eau, qui
est la meilleure du monde.

Aux environs de ce Port les Espagnols
y ont des Parcs, où ils nourrissent
grande quantité de porcs; ils nomment
ces lieux Coral, ils ont ordinairement
un Paisan avec sa famille pour
gouverner ce Coral, qui consiste en trois
ou quatre grands Parcs, faits de certains
pieux de l'Arbre nommé Monbain,
lesquels estant plantez en terre
prennent aussi-tost racine, comme les
Saulx en Europe, & de cette maniere
ils font des pallissades, qui par succession
de temps deviennent des arbres.
Ils tiennent là dedans leurs porcs qui
ne leur coutent rien à nourrir; car ils
ne font ces Coraux qu'en des lieux où
il y a quantité de toutes sortes d'arbres
qui rapportent de la semence toute
l'année, si bien que quand l'un finit
l'autre commence; ces arbres sont Palmistes,
Lataniers, Brignoliers, Cormiers,
Monbains, Mamainniers, Abricottiers,
Genipayers, Acomas, & plusieurs
autres dont ces porcs vivent, si
bien que celuy qui gouverne le Coral,
n'a besoin le matin que de laisser
aller ces porcs, & le soir de les appeller,


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ils ne manquent jamais de revenir:
Quand il n'y a guere de graine, & que
tous les arbres n'en fournissent pas également,
il leur donne un peu de Millet.

Il y a des Espagnols à qui ces Coraux
vallent plus de cinq à six mil
écus par an, sans faire grande dépence,
mais aussi ils courent risque d'être
pillez par les Corsaires, qui viennent
en enlever les bestes pour ravitailler
les Vaisseaux; & quoy que cachez
au milieu des bois, ils ne laissent
pas de les trouver; car lors qu'ils prennent
quelque Espagnol, il luy donnent
la gêne pour luy faire dire où ils
sont & les y mener.

Depuis ce Port de Xagua jusqu'à
Matamano il y a beaucoup de Coraux.
Vis à vis de Matamano il y a
l'Isle de Pinos, ainsi nommée à cause
des Pins qui sont dessus. Cette Isle
n'est point habitée, on y voit seulement
quelques Espagnols qui viennent
pêcher de la Tortuë, on y trouve
aussi des endroits où les Avanturiers
viennent souvent racommoder leurs
Vaisseaux.

Cette Isle est pleine de Crocodiles;


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qui ne vont que rarement à l'eau, &
Crocodile
qui courent
aprés les
hommes.
sont bien differents de ceux qu'on appelle
dans l'Amerique Cayamans, car
ils ne sentent aucunement le Musc
comme eux; & au lieu de fuir les hommes,
ils courent aprés, ce qui ne se
remarque dans toute l'Amerique, que
sur cette Isle seulement. On a veu beaucoup
de gens qui en ont esté mangez,
comme j'en rapporteray dans la suite
un exemple que j'ay veu sur cette
Isle. Il y a déja long-temps que les
Espagnols l'ont voulu peupler de bœufs
& de vaches, mais ces animaux les détruisent;
si bien qu'on y en trouve
tres-peu.

Le terroir de cette Isle est sablonneux;
c'est pourquoy elle ne produit
que des pins, de fort petits arbres, &
quantité de grandes heroes, que la chaleur
du Soleil fait bien - tost secher.
Depuis cette Isle jusqu'au Cap de Corientes
il y a encore plusieurs Coraux,
parce que le païs y est bon & tres-beau.
Ce Cap est une pointe à la bande du
Sudoüest de cette Isle, où tous les Navires
qui y viennent de la Coste du continent
de Caraco ou de Cartagene s'arrestent
quelquefois, pour aller en suite


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à la Havana, de là on va au Cap de
Saint Antoine, qui est à la pointe de
l'Occident de cette Isle, depuis laquelle
jusqu'à la Havana il y a plusieurs
beaux Ports.

La Havana est la Ville Capitale de
l'Isle de Cuba, & une des plus belles
& des plus grandes de toute l'Amerique.
On tient qu'il y a plus de vingtmille
Habitans; c'est là que tous les
Navires qui navigent d'Espagne à l'Amerique
viennent moüiller en dernier
lieu, afin d'y prendre ce qu'ils ont besoin
pour retourner en Espagne. Cette Ville
gouverne la moitié de l'Isle, & a

Sancta Crux,
pourquoy
ainsi nommée:
Histoire
à cet égard.

sous elle, le Saint Esprit, la Trinité,
Sancta Crux,
& plusieurs autres petits
Bourgs & Villages. Il y a beaucoup
de petits Vaisseaux qui navigent
à Campesche, Neuve Espagne & à la
Floride, où cette Ville fait commerce;
elle a un Gouverneur qui dépend directement
du Roy, & une forte Garnison,
avec trois Chasteaux, deux du
costé du Port, & un du costé de la
terre, sur une émnence qui commande
au Port & à la Ville.

Depuis cette Ville jusqu'à la pointe
de Mayesy, qui est l'Orientale de cette


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Isle, on n'y rencontre de conside-
Lieu où l'on
a battu &
pris la Flotte
des Gallions
du Roy d'Espagne,
chargez
de richesses
immenses.

rable que la fameuse Baye de Mataça,
où le celebre Pieters Steyn Amiral
de Hollande, battit la Flotte des
Gallions du Roy d'Espagne, & la prit
presque toute en l'an 1627. ce qui remit
les Provinces Unies en état de luy
faire la guerre, par les richesses immenses
dont cette Flotte estoit chargée.
C'est en ce lieu que toutes les
Flottes des Gallions vont prendre de
l'eau, pour en suite passer par le Canal
de Bahama, afin de retourner en Espagne:
Depuis là jusqu'à la pointe de
Mayesy, on trouve Sancta Crux. Voicy
pour quoy on luy a donné ce nom.

Un Soldat de mauvaise vie de la Province
de Charcas craignant la Justice
qui le recherchoit pour ses crimes, entra
bien avant dans ce païs, & fut bien
reçu de ceux qui y demeuroient. Le
Soldat voyant que ces Habitans souffroient
beaucoup à cause d'une grande
disette d'eau, & que pour en faire tomber
ils faisoient quantité de ceremonies
superstitieuses, leur dit que s'ils vouloient
faire ce qu'il diroit, qu'aussi-tost
ils auroient de l'eau. Ils y consentirent,
à l'instant le Soldat fit une grande


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Croix, qu'il planta en un lieu éminent,
leur disant qu'ils fissent là leur
adoration, & qu'ils demandassent de
l'eau, ce qu'ils firent. Chose merveilleuse,
aussi tost il tomba de l'eau du
Ciel en abondance, & depuis ces peuples
eurent tant de devotion à la Sainte
Croix, qu'ils avoient recours à elle
dans tous leurs besoins, & obtenoient
ce qu'ils souhaitoient: tellement qu'ils
rompirent leurs Idoles, demanderent
des Predicateurs & le Baptesme: C'est
pourquoy, comme je l'ay déja dit,
cette Province a esté appellée jusqu'à
aujourd'huy Sainte Croix: Ce qui fait
voir que Dieu se sert des plus petites
choses pour operer les plus grandes, &
dés méchans mesmes pour faire le bien,
& qu'il ne laisse jamais ces méchans
impunis; car il n'est pas hors de propos
d'ajoûter, que ce Soldat dont il s'étoit
servi pour faire ce miracle, n'estant pas
devenu meilleur, sortit de la Province
de Charcas, & continuant ses crimes,
fut pendu publiquement au Potosi.

Aprés Sancta Crux on trouve la ville
des Cayes de Baracoa. Il y a le long
de cette coste quantité de perites Isles,
nommées les Cayes du Nord, où les


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Avanturiers viennent aussi souvent
pour chercher fortune. Ils y prennent
des Barques chargées de Cuirs
& de Tabac pour la Havana, &
quand ces Barques viennent, elles ont
de l'argent pour achepter ces Marchandises;
ce qui accommode fort
les Avanturiers, qui s'en saisissent.
Cela suffit pour faire comprendre
au Lecteur ce que c'est que l'Isle de
Cuba.