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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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Journal de la marche des Avanturiers, commandée par Morgan pour Panama.
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Journal de la marche des Avanturiers,
commandée par Morgan pour
Panama.

Le mesme jour ils avancerent, tant
à la voile qu'à la rame, environ six


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lieuës Espagnoles, & furent coucher à
un lieu nommé Rio de dos Braços.
Ils tarderent là quelque temps, parce
que de nuit ils ne pouvoient pas aller
plus loin, & qu'il y avoit des habitations,
où ils croyoient trouver dequoy
vivre: mais ils furent bien trompez
dans leur attente, car les Espagnols
avoient tout ruiné, & arraché jusqu'aux
racines, & mesme coupé les fruits qui
n'estoient pas encore meurs, sans laisser
aucuns bestiaux; si bien que les Avanturiers
ne trouverent que les maisons
vuides, qui ne laisserent pas de
leur servir pour y coucher, car ils étoient
si pressez dans leurs Vaisseaux, qu'ils ne
pouvoient pas mesme se seoir. Ils furent
obligez de se contenter ce soir-là
d'une pipe de Tabac, quoy que cela
ne les inquietast pas pour cette premiere
fois, mais au contraire les animast à
se battre de meilleur courage quand ils
rencontreroient les Espagnols, afin d'avoir
dequoy se nourrir.

Le dix-neuviéme du mois, & le
deuxiesme de la marche, les Avanturiers
se preparerent dés la pointe du


153

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jour à avancer chemin, & sur le midy
ils se trouverent à un lieu nommé la
Crux de Iuan Galliego
En cet endroit
ils furent obligez de laisser leurs Fregates
legeres, tant parce que la Riviere,
faute de pluye, estoit basse, qu'à
cause que des arbres qui estoient tombez
dedans, l'embarrassoient & auroient
trop donné de peine, & fait perdre du
temps à les oster.

Les Guides dirent qu'à trois lieuës
de là, on pouvoit marcher une partie
le long de la riviere, & l'autre partie
dans les Canots; cependant il fallut
passer le trajet à deux fois, car les Canots
qui estoient pleins de monde, furent
se décharger au lieu dont je viens
de parler, afin de revenir querir ceux
qui estoient dans les Fregates, à qui on
donna ordre de demeurer là deux ou
trois jours, à dessein que si on trouvoit
les Espagnols trop forts, & qu'on
fût obligé de se retirer, on pût se refugier
en cet endroit, & par le moyen
du canon, les repousser & les deffaire.

On fit aussi défenses à ceux qu'on
avoit laissez sur ces Bastimens de n'aller
point à terre, de peur d'estre surpris
dans les bois, & d'estre faits prisonniers;


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ce qui auroit découvert aux Espagnols
le peu de forces qu'avoient les
Lache politique
des Espagnols.

Avanturiers. Ce n'estoit pas que les Espagnols
n'eussent assez d'espions qui
observoient ces Avanturiers; mais comme
ces sortes de gens n'aiment gueres
à se battre, & pour obliger leurs Commandans
à ne point les engager dans un
combat, ils faisoient les Avanturiers
trois fois plus forts qu'ils n'estoient.

Le vingtiesme qui estoit le troisiesme
de la marche, dés le matin Morgan
envoya un des Guides avec quelques
Avanturiers, afin de découvrir le
chemin; mais lors qu'ils entrerent dans
le bois, ils ne trouverent aucune route,
ny mesme aucun moyen d'en faire, à
cause que le païs estoit inondé & fort
marescageux: tellement que Morgan
fut encore contraint de passer son monde
à deux fois, jusqu'à un lieu nommé
Cedro Bueno.

La faim qui pressoit les Avanturiers,
leur fit souhaitter ardemment de rencontrer
bien-tost les Espagnols, car ils
commençoient à devenir foibles, n'ayant
point mangé depuis leur départ, faute
de rien tirer, ny mesme de gibier.


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Quelques-uns mangeoient des feüilles
d'arbres, mais toutes n'estoient pas
bonnes pour cela. Il estoit nuit avant
que tout le monde fût passé; si bien
qu'il falut coucher sur le bord de la
Riviere avec beaucoup d'incommoditez,
à cause que les nuits sont froides, &
qu'ils estoient peu vétus.

Le 21. qui estoit le quatriesme de
la marche, les Avanturiers trouverent
le moyen d'avancer, si bien qu'une
partie alloit par terre, & l'autre dans
des Canots par eau avec chacun un
Guide. Ces Guides marchoient à deux
portées de mousquet avec vingt ou
trente hommes pour descouvrir les embuscades
Espagnoles, sans faire beaucoup
de bruit, afin de surprendre quelques
prisonniers pour sçavoir leurs
sorces; mais les espions Espagnols é-

Subtilité des
espions Espagnols.

toient plus subtils que les Avanturiers;
& comme ils sçavoient tres-bien les chemins,
ils avertissoient de ce qui se passoit,
une demie journée avant que les
Avanturiers dussent arriver.

Environ sur le midy les deux Canots
qui ramoient devant, rebrousserent
chemin, & firent sçavoir qu'ils avoient


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découvert une embuscade. Aussi-tost
chacun prepara ses armes avec une joye
inconcevable, croyant trouver là bien
dequoy manger, car les Espagnols ont
soin en quelque part qu'ils aillent,
d'estre bien fournis de vivres. Quand
ils furent à la veuë de cette embuscade,
ils commencerent à faire des cris épouvantables,
& à courir, c'estoit à qui se-
Avanturiers
trompez dans
leur attente.
roit le premier: mais ils demeurerent
plus morts que viss, trouvant cette
place abandonnée.

Les Espagnols à la verité s'y estoient
retranchez, mais sçachant que les Avanturiers
venoient en grand nombre,
comme les espions leur avoient marqué,
ils crurent que la place n'estoit
point tenable, & laisserent là leurs retranchemens,
qui pouvoient contenir
quatre cent hommes. Ils estoient munis
d'une forte pallissade en forme de
demie-lune, dont les pieux estoient
des arbres entiers & fort gros.

Lors qu'ils s'en estoient allez, ils avoient
emporté leurs vivres, & brûlé ce
qu'ils n'avoient pû emporter. On trouva
quelques Canastres, qui sont des
coffres de cuir, qui servirent beaucoup
à ceux qui s'en saisirent les premiers,


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car ils les couperent en pieces afin de
les manger; mais ils n'eurent pas le
temps de les preparer, estant obligez de
marcher.

Morgan voyant qu'il ne trouvoit
point de vivres, avança tant qu'il put,
afin d'en avoir pour luy & pour ses
gens. Ils marcherent le reste du jour,
& arriverent le soir à un lieu nommé
Torna Muni, où ils rencontrerent encore
une embuscade, mais abandonnée
comme l'autre. Ces deux embuscades
leur avoient donné une fausse
joye, au lieu de fausse alarme, car ils
n'aspiroient qu'à trouver de la resistance.

Ayant donc passé outre, ils avancerent
dans le bois plus qu'ils n'avoient
fait, ayant toûjours suivi la Riviere,
afin de trouver des vivres; mais ce fut
en vain, car où il y avoit la moindre
chose, les Espagnols le détruisoient,
de peur que les Avanturiers n'en profitassent,
croyant les obliger par là à
retourner à leurs Vaisseaux, ce qui leur
auroit esté inutile de faire, puis qu'il n'y
avoit point aussi de vivres.

Il falut neantmoins songer à reposer,
car la nuit estant venuë, on ne


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voyoit plus à marcher dans le bois.
Ceux qui avoient encore quelques
morceaux de Canastre souperent, mais
ceux qui n'en avoient point, ne man-
Ce que c'est
que Canastre,
& comme on
en peutvivre.
gerent rien. Ces Canastres ne sont pas
de cuir tané, ce sont de ces peaux de
Bœuf qui sont seches, & dont ils font
ces Canastres semblables à nos manequins.
Ceux qui ont toûjours vécu
de pain à leur aise, ne croiroient peutestre
pas qu'on pût manger du cuir,
& seront curieux de sçavoir comme on
l'accommode pour le manger.

Je diray donc que les Avanturiers
le mettoient tremper dans l'eau, le battoient
entre deux pierres, & aprés en
avoir gratté le poil avec leurs coûteaux,
le mettoient rôtir sur le feu, &
l'avaloient haché en petits morceaux.
Je puis assurer qu'un homme pourroit
vivre de cela, mais j'ay peine à croire
qu'il en pust devenir bien gras.

Le 22. qui estoit le cin quiesme de
la marche. Dés le matin les Avanturiers
continuerent leur chemin, & arriverent
sur le midy à un lieu nommé
Barbacoa, où ils trouverent encore des
barricades abandonnées, sans y avoir


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laissé des vivres. Mais comme il y avoit
en ce lieu plusieurs habitations, les Avanturiers
chercherent par tout, & à
force de chercher ils trouverent deux
sacs de farine enfoüis dans terre avee
quelques fruits, qu'on nomme Plantanos.
A l'instant ces deux sacs de fa-
Découverte
& distribution
de sacs
de farine.
rine furent apportez à Morgan, qui les
fit distribuer à ceux qui avoient le
plus de besoin de nourriture, parce
qu'il n'y en avoit pas assez pour tout le
monde.

Ceux qui eurent de cette farine, la
délayerent avec de l'cau, & en firent
une pâte sans levain, dont ils en prenoient
des morceaux qu'ils envelopoient
dans des feüilles de Bananier, &
les faisoient ainsi cuire sous la braise,
les autres dans l'eau; ils apeloient ces
morceaux de pâte ainsi cuite, des pouplains.

Aprés ce repas ils reprirent leur
marche, ceux qui estoient fort las &
fatiguez de la faim & du chemin, se
mirent dans les Canots sur la Riviere,
les autres marcherent par terre jusques
à un lieu nommé Tabernillas, où il y
avoit quelques habitations abandonnées
& dégradées, comme les premieres,


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où ils coucherent.

Le lendemain 23. qui estoit le sixiéme
de la marche: Ces gens n'eurent pas
besoin de réveil-matin, car leurs estomachs
vuides n'envoyoient pas de vapeurs
au cerveau pour les assoupir. Ils
reprirent donc leur marche à l'ordinaire,
estant obligez de se reposer souvent,
à cause de leur foiblesse qui les empeschoit
d'avancer; & lors qu'ils se reposoient,
chacun alloit dans le bois chercher
quelques graines d'arbres pour
manger.

Ce mesme jour ils arriverent sur le
midy à une habitation un peu écartée
du chemin, qu'ils trouverent pleine de
Maïs encore en épi. Il fit beau voir
chacun se jetter dessus, & le manger tel
qu'il estoit, parce que la precipitation
de leur marche ne leur donnoit pas le
temps de le faire cuire, & la faim encore
moins.

Les Avantusiers
aperçoivent
&
poursuivent
des Indiens.
Un peu aprés qu'ils eurent trouvé
ce Maïs, ils apperçurent quelques Indiens
qui marchoient devant eux, ils
commencerent à les poursuivre, croyant
qu'ils rencontreroient quelque embuscade
d'Espagnols; ceux qui avoient

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du Maïs le jetterent pour n'estre point
embarrassez à courir, ils tirerent sur les
Indiens, dont ils en tuerent quelquesuns
& poursuivirent les autres jusqu'à
Santa Crux, où les Indiens passerent
la Riviere & eschaperent aux
Avanturiers, qui neantmoins les suivirent
de bien prés, passant aussi la Riviere
à la nage: ces Indiens leur
crioient de loin, ah Perros Inglezes à
la Savana, à la Savana, ally nos veremos,

qui veut dire, ab chiens d'Anglois,
venez à la Savana nous vous
y attendons.

Les Avanturiers avoient ainsi passé
la Riviere, à cause que leurs Canots
n'alloient pas si viste qu'eux, parce que
la Riviere serpente en cet endroit, &
oblige à faire de grands détours.

La nuit surprit les Avanturiers, qui
furent obligez de coucher là, afin de
reprendre leurs forces & de se prepares
à se battre, parce que les Indiens qu'ils
avoient rencontrez leur firent juger,
qu'ils ne marcheroient plus guere sans
trouver de la resistance.

Le lendemain 24. qui estoit le septiesme
du départ: Ils firent une décharge


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generale de leurs armes, les nettoyerent,
& les rechargerent, croyant
en avoir bien-tost besoin. Aprés ils passerent
la Riviere, marcherent jusques
à midy, & arriverent à la veuë du
Bourg nommé Crux, où ils virent
une grande fumée qui s'élevoit; Ils
crurent que les Espagnols estant retranchez,
brûloient quelque maison qui
leur pouvoient nuire, cela leur donnoit
courage, chacun rioit, sautoit
Réjoüissance,
& raillerie
des Avanturiers.

d'aise. Il y en avoit qui railloient, &
disoient que les Espagnols faisoient rôtir
la viande pour les regaler.

Deux heures aprés ils arriverent au
Bourg de Crux, qu'ils trouverent en
feu, sans y voir une seule personne,
Ces Indiens qu'ils avoient poursuivis,
estoient les autheurs de cette incendie
qui consuma tout, excepté les Magazins
du Roy & les Escuries. On avoit
mesme chassé toutes les bestes qui étoient
autour, dans l'esperance que les
Avanturiers seroient obligez de retourner
faute de vivres.

Ce Bourg est la derniere place où
l'on peut monter sur la Riviere; c'est
là qu'on aporte la Marchandise de Chagre,
afin d'estre transportée de là par


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terre sur des Mulets jusqu'à Panama,
qui n'est éloigné que de huit lieuës
de ce Bourg. C'est pourquoy il y a
de fort beaux Magazins & de belles Escuries.

Les Avanturiers resolurent de demeurer
là le reste du jour, afin de se reposer
un peu, & de chercher dequoy vivre.
On fit défense à tous de s'écarter
du Bourg, à moins qu'on ne formast
un party de cent hommes, dans la
crainte que l'on avoit que les Espagnols
ne prissent quelqu'un. Cette défense
n'empescha pourtant pas cinq ou six
Anglois de sortir pour chercher des

Quelques
Avanturiers
s'écartent, &
sont pris.
fruits dans une habitation. Il y en eut
un de pris par des Indiens qui fondirent
sur eux.

On trouva dans un des magasins du
Roy quelques gerres de vin du Perou,
& une Canastre de biscuit. Morgan,
de peur que ses gens ne s'enyvrassent,

Adresse de
Morgan, pour
empescher ses
gens de s'enyvrer.

fit courir le bruit que les Espagnols
avoient empoisonné ce vin, & que personne
n'eust à en boire. Quelques-uns
qui en avoient déja bû, ayant l'estomach
vuide & affoibli par la faim, vomirent;
ce qui fit croire à plusieurs
que ce vin estoit empoisonné, & n'en

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voulurent point boire. Il ne fut pourtant
pas perdu, car il y en avoit entr'eux
qui n'auroient pû s'empescher
d'en boire, quand ils auroient esté assurez
qu'il auroit esté empoisonné.

Pendant que les plus actifs cherchoient
de quoy vivre, ceux qui étoient
dans le Bourg préferoient le repos
au manger, tuant tous les Chiens
& les Chats qu'ils purent prendre, &
les mangeoient avec un peu de Maïs
qu'ils avoient apporté. Les Canots qui
se trouvoient inutiles, parce qu'ils ne
pouvoient monter plus avant, furent
renvoyez avec soixante hommes, ayant
ordre de demeurer sur la Riviere où
estoient les navires. On cacha seulement
un Canot sous des broussailles, en cas
que dans un besoin on en eust affaire
pour avertir les autres.

Le lendemain 25. huitiéme de la marche.
Dés que l'aurore parut, Morgan
fit reveuë de son monde, & trouva
qu'il avoit onze cent hommes tous capables
de combattre, & bien resolus de
le suivre Il leur fit dire que cet homme
qu'on avoit cru pris le jour precedent
par les Indiens, estoit revenu, s'étant


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seulement écarté dans le bois Il en
usa ainsi, de peur qu'ils ne crussent que
cet homme n'eust decouvert leur dessein,
& que cela ne leur fist perdre courage.

Dans ce mesme temps il choisit deux

Comme
Morgan dispose
les gens,
de peur de
surprise & de
combat.
cent hommes pour servir d'enfans perdus,
& marcher devant, afin d'investir
les ennemis, & que le gros ne fust point
surpris, particulierement dans le chemin
qu'ils avoient à faire de Crux à Panama,
où en plusieurs endroits il estoit
si étroit, qu'il n'y avoit que pour passer
deux hommes de front. Ces deux
cent hommes estoient des mieux armez
& des plus adroits tireurs de l'Europe,
la pluspart tous Boucaniers François,
estant certain que deux cent de ces genslà
valent mieux que six cens autres.

Morgan fit du reste un corps de bataille,
une avant & arriere-garde, & en
cas de combat, une aisle droite & une
gauche, avec des gens de reserve, qui
marchoient toûjours au milieu en avançant.
L'aisle droite avoit l'avant-garde,
& en retournant chemin, l'aisle gauche.
Voilà l'ordre que Morgan tint dans sa
marche depuis Crux jusques à Panama.

Sur les dix heures il arriva avec son


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Lieu pourquoy
nommé
Quebrada
obscura.
monde à un lieu nommé Quebrada obscura,
qui veut dire Crisque obscure. Elle
n'estoit pas mal nommée, car le Soleil ne
Pluye de
fléches sans
voir personne.

l'éclaire jamais. Les Avanturiers furent
assaillis d'une pluye de fléches qui leur tua
huit ou dix hommes, & en blessa autant.
Ils se mirent aussi-tost en défense; mais
ils ne sçavoient à qui ils avoient affaire,
ne voyant que des rochers, des arbres
& des precipices; ils tirerent à bouleveuë,
sans sçavoir où, ny voir personne.

Les Avanturiers
tirent
au hazard, &
l'on voit tomber
des hommes.

Cependant cette décharge ne laissa
pas de faire effet; car on vit tomber
deux Indiens dans le chemin, un desquels
se releva tout en sang, & voulut
pousser une fléche qu'il tenoit à sa
main, dans le corps d'un Anglois; mais
un autre para le coup, & acheva de le
tuer. Cet homme avoit la mine d'estre
le Commandant de cette embuscade,
qui apparemment n'estoit que d'Indiens,
car on ne vit que des fléches. Il
avoit sur la teste un bonnet de plumes
de toutes sortes de couleurs, tissuës en
forme de couronne.

Quand ces Indiens virent que cet
homme leur manquoit, ils lâcherent
pied, & depuis sa mort on ne tira pas


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une seule fléche. On trouva encore
deux ou trois Indiens dans le chemin,
mais ils n'estoient plus en vie. Il est vray
que ce lieu estoit fort commode pour
une embuscade, car cent hommes resolus
eussent pû empescher le passage
aux Avanturiers, & les désaire tous,
s'ils eussent voulu opiniâtrer: mais
comme ces Indiens estoient sans conduite,
& peu aguerris, dés les premiers
qu'ils virent tomber des leurs, ils se
crurent perdus; outre qu'ils avoient ti-
Indiens
perdent courage
ayant
perdu leur
Chef.
ré toutes leurs fléches sans regle ny mesure,
& que les arbres & les broussailles
au travers desquels ils les lançoient,
en avoient rompu la force, & empesché
le coup. C'est pour cette raison que les
Avanturiers en furent peu incommodez,
qui en cette occasion ne s'amuserent
pas trop à regarder d'où les fléches
venoient; mais tâcherent à se tirer
de ce mauvais chemin, & à gagner le
plat païs, d'où ils pussent découvrir
leurs ennemis. Il y avoit eu autrefois
une montagne en cet endroit, qu'on
avoit coupée pour abreger le chemin,
& pour faire passer plus facilement les
Mulets chargez:

Au sortir de là les Avanturiers entrerent


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dans une grande prairie, où ils se
reposerent un peu, pour y penser ceux
qui avoient esté blessez à l'embuscade.
Ces Indiens parurent à une demie lieuë
de là sur une éminence où il n'y avoit
point d'arbres, & qui estoit proche du
grand chemin par où les Avanturiers
devoient passer. Morgan détacha cin-
Morgan
e d'avoir
des prisonniers
quante hommes, qui furent par derriere,
afin d'en surprendre quelqu'un, &
de sçavoir des nouvelles des Espagnols:
mais ce fut vainement, car ces gens
sçavoient tous les détours, & marchoient
toûjours à leur veuë; tantost
ils estoient devant, & tantost derriere.

Deux heures apré, on les vit encore
à deux portées de mousquet sur la même
éminence où ils avoient déja paru,
pendant que les Avanturiers estoient
sur une autre vis-à-vis. Entre ces deux
éminences il y avoit un grand fond
plein de bois de haute futaye, où les
Avanturiers croyoient qu'ils eussent
une embuscade, parce qu'ils y descendoient;
cependant il n'y en avoit point,
& ils n'y descendoient que pour se cacher
à la veuë des Avanturiers, & prendre
un autre chemin, ne faisant que
voltiger autour d'eux, afin d'en prendre


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Page 169
quelqu'un. Bien souvent ils leur
crioient, A la prairie, à la prairie,
chiens d'Anglois.

Ce mesme soir les Avanturiers furent
obligez de camper de bonne heure, parce
qu'il commençoit à pleuvoir. Ils eurent
bien de la peine à trouver dequoy
se loger & se nourrir, car les Espagnols
avoient tout brûlé, & chassé le bétail;
si bien qu'ils furent contraints de s'écarter
du chemin, afin d'en chercher.
Ils trouverent environ à une lieuë du
grand chemin une Hate, dont les maisons
n'estoient point brûlées; mais il
n'y en avoit pas assez pour loger tout
le monde; si bien que pour garantir du
moins les munitions & les armes de la
pluye, on ordonna qu'un certain nombre
de chaque Compagnie entreroient
dans les maisons pour garder les armes,
afin qu'en cas d alarme, chacun sceust
promptement les retrouver.

Cependant ceux qui estoient dehors
tâcherent à faire des Baraques, qu'ils
couvrirent d'herbes comme ils purent,
pour dormir un peu la nuit. On posa
des Sentinelles avancées pendant ce
temps, & on fit bonne garde; car on
craignoit les Indiens & les Espagnols


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avec leurs lances, qui pendant la pluye
ne laissent pas de faire un grand effet,
lorsque les armes à feu sont tout à fait
inutiles.

Le lendemain 26. neuviéme jour de
la marche, Morgan commanda qu'on
déchargeast toutes les armes, à cause de
la pluye, de peur qu'en venant à l'occasion
elles ne manquassent. Ce qui fut
fait; & estant rechargées, les Avanturiers
reprirent leur marche. Ils avoient
un tres-mauvais chemin à faire, car
c'estoit toutes prairies, & pays découvert,
où il n'y avoit point de bois; si
bien qu'ils estoient obligez d'essuyer
l'ardeur du Soleil.

La troupe d'Indiens du jour precedent
reparut encore, & ne cessa de les
observer: tantost, comme on l'a déja
dit, ils estoient devant, & tantost der-

Indiens qui
paroissent
& disparoissent
en même
temps.
riere. Morgan, à qui il importoit
beaucoup d'avoir un prisonnier, fit
détacher cinquante hommes pour cela,
& promit à celuy qui en prendroit un,
trois cents écus outre sa part ordinaire.

Sur le midy les Avanturiers monterent
une petite montagne, de laquelle
ils découvrirent la mer du Zud, & un


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grand navire avec cinq Barques qui
partoient de Panama, pour aller aux
Isles de Taroga & Tarogilla, qui n'en
sont éloignées que de trois ou quatre
lieuës. Ils se réjoüirent à cette veuë,
esperant que leur fatigue seroit bien-tost
terminée. Leur joye augmenta encore,
lorsque descendant de cette montagne,
ils se trouverent dans une vallée où il
y avoit une prairie pleine de toute sorte
de bétail, que plusieurs Espagnols à
cheval chassoient: mais apercevant les
Avanturiers, ils abandonnerent ces animaux
pour se sauver.

C'estoit un plaisir de voir ces gens
fondre sur ces bestes: l'un tuoit un
Cheval, l'autre une Vache, l'autre une
Mule, l'autre un Asne, & enfin chacun
abattoit tout ce qui se presentoit.
Pendant qu'une partie estoit à la chasse,
l'autre allumoit du feu pour faire rotir
la viande. Dés qu'on en apportoit,
chacun en coupoit vîtement un morceau
qu'il faisoit griller sur la flame,
& la mangeoit. Mais à peine avoient-

Morgan fait
donner une
fausse allarme,

ils commencé ce repas, que Morgan fit
donner une fausse allarme.

Tout le monde aussi-tost fut sous les
armes, & prest à donner. Il salut donc


172

Page 172
marcher; neanmoins chacun demeura
saisi de quelque morceau de viande à
demi rotie, ou toute cruë, qu'ils portoient
en bandoliere. Il est vray que
Avanturiers
essroyables.
ces gens en cet état estoient capables, à
leur seul aspect, d'épouvanter les plus
hardis; car en guerre aussi bien qu'en
amour, l'on sçait que les yeux sont toûjours
les premiers vaincus. Ils allerent
ainsi jusqu'au soir, qu'ils camperent
sur unepetite éminence, d'où ils aperceurent
les Tours de la Ville de Panama.

A cette veuë ils s'écrierent de joye
par trois fois; & deux cents hommes
parurent à la portée du mousquet, qui
commencerent à leur répondre. Quel-

Approche
de Panama;
legere escarmouche.

ques-uns des Avanturiers s'approcherent
pour les salüer de quelques coups
de fusil; mais ils s'enfuïrent en criant:
Manana, manana, perros a la Savana:
qui veut dire, demain, demain,
chiens que vous estes, nous vous verrons
à la Savane.

Morgan fit donc camper ses gens sur
une petite éminence, d'où il pouvoit
découvrir les Espagnols tout autour de
luy. Il y avoit encore plus de deux
heures de Soleil; mais il ne voulut point


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Page 173
passer outre, afin d'avoir un jour entier
pour le combat, resolu de le commencer
le lendemain de grand matin.
Cependant il fit battre les Tambours,
joüer les Trompettes, & déployer les
Drapeaux. Les Espagnols en firent autant
de leur costé. Il parut aussi plusieurs
Compagnies d'Infanterie, & quantité
Marche de
la Cavalerie
Espagnole.
d'Escadrons de Cavalerie tout autour
des Avanturiers, environ à la portée d'un
canon.

Cela dura jusqu'à la nuit fermante,
que Morgan fit faire bonne garde, &
mettre double Sentinelle. Il faisoit donner
de temps en temps de fausses allarmes,
afin de tenir toûjours ses gens en
haleine, qui estoient fort réjoüis, esperant
le lendemain faire bonne chere.

Cela n'empescha pas que ceux qui
avoient encore de la viande ne la mangeassent
telle qu'elle estoit, car il ne fut
permis d'allumer du feu que pour fumer.
Chacun avoit son ordre particulier,
en cas que les Espagnols vinssent
attaquer de nuit; & aprés cela, se reposa
qui put. Cependant les Espagnols tirerent
toute la nuit du canon.

Le lendemain 27. dixiéme & dernier


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jour de la marche, les Espagnols firent
Les Espagnols
font
battre la Diane.
Morgan
leur répond,
& met ses
gens en bataille.

battre la Diane les premiers. Morgan leur
répondit; & si-tost qu'il fut jour l'on vit
paroistre autour de son armée plusieurs
petits Escadrons de Cavalerie, qui venoient
l'observer. Morgan commanda
à ses gens de se preparer au combat; &
dans ce moment un des Guides donna
avis à Morgan de ne pas suivre le grand
chemin, parce que les Espagnols y pouvoient
estre retranchez, & faire bien du
carnage.

On trouva cela à propos, & on lais-

Défilé penible.

sa le grand chemin à la droite en défilant
dans un petit bois, où le chemin
estoit si mauvais, que tous autres gens
que les Avanturiers auroient eu de la
peine à y passer. Aprés deux heures de
cette marche, les Avanturiers arriverent
sur une petite éminence, d'où ils découvrirent
l'armée des Espagnols, qui
estoit tres-belle, & qui marchoit en bon
ordre. La Cavalerie estoit aussi leste
Ordre &
magnificence
de l'armée
Espagnole.
que quand elle va au combat des
Taureaux. L'Infanterie ne luy cedoit
en rien; on ne voyoit que des habits de
soye de toutes sortes de couleurs, qui
paroissoient beaucoup par la reflection
des rayons du Soleil.


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Les Avanturiers à cette veuë commencerent
à faire trois cris qui auroient
épouvanté les plus hardis. Les Espagnols
en firent de mesme, & les deux
partys avançoient toûjours les uns contre
les autres.

Quand on fut prest à donner, Morgan
fit ranger son armée en bataille seulement
pour la forme; car il est impossible
d'obliger ces gens de garder leur
rang, comme on fait en Europe. Les

Détachement
des Enfans
perdus.
deux cent Enfans perdus furent devant
s'opposer à la Cavalerie, qui esperoit
venir fondre sur les Avanturiers, avec
deux mille Taureaux animez, que les
Espagnols chassoient de l'autre costé:
mais leur dessein fut rompu par deux
moyens; le premier, qu'ils rencontrerent
un lieu un peu marécageux, où les
chevaux ne vouloient point passer. Le
second fut que les Enfans perdus les
prévinrent, & mettant un genoüil à
Leur feu
continuel.
terre, commencerent à faire une futieuse
décharge: la moitié tiroit pendant que
l'autre chargeoit, si bien que le feu ne
discontinuoit point, outre que chaque
coup portoit, car ils ne tiroient point
qu'ils n'abattissent ou l'homme, ou le
cheval.


176

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Ce combat dura environ deux heu-

Défaite de
l'armée Espagnole.

res, où toute la Cavalerie fut défaite,
sans qu'il en échapast plus de cinquante
qui prirent la fuite. Cependant l'Infanterie
voulu avancer; mais si-tost
qu'elle vit cette défaite, elle tira seulement,
& aprés jetta les armes, & s'enfuit
en défilant à costé d'une petite
montagne hors de la veuë des Avanturiers,
qui croyoient qu'elle vouloit venir
les surprendre par derriere.

Quand la Cavalerie fut défaite, les
Taureaux ne servirent plus de rien; car
ceux qui les conduisoient ne pouvoient
pas en estre les maistres. Les Avanturiers
s'apercevant de cela, envoyerent
contre ces animaux quelques Fuseliers
qui firent voltiger leurs drapeaux devant
eux avec des cris terribles; de sorte
que ces Taureaux prirent l'épouvante,
& coururent d'une telle force, que
ceux qui les conduisoient furent aussi
contraints & bien aises de se retirer.

Lorsque les Avanturiers virent que
les Espagnols ne se ralioient point, &

Les Avanturiers
poursuivent
les
Espagnols.
qu'au contraire ils fuyoient çà & là par
petites troupes, ils commencerent à
donner dessus, & en prirent une grande
partie qui fut tuée. Quelques Cordeliers

177

Page 177
qui estoient dans cette armée,
furent pris & amenez à Morgan, qui
les fit mourir sur l'heure.

On prit aussi un Capitaine de Cavalerie
blessé, qu'on trouva parmy les
morts, qu'on amena à Morgan, qui

Morgan s'informe
de l'état
de la place.

ne voulut pas davantage de prisonniers,
disant qu'ils ne feroient qu'embarasser
jusqu'à ce qu'on fust maistre de tout.
Il interrogea ce Capitaine des forces
qu'il y avoit dans la Ville; lequel répondit
que tout le monde en estoit sorti
au nombre de deux mille hommes
d'Infanterie, & de quatre cent de Cavalerie,
avec six cent Indiens, & deux
mille Taureaux; qu'il y avoit quinze
jours que ces gens là couchoient dehors
dans la Savana, où ils estoient campez;
qu'on avoit abandonné la Ville, ayant
envoyé toutes les femmes & les richesses
aux Isles de Taroga; qu'on avoit
laissé dans la Ville cent hommes avec
vingt-huit pieces de canon braquées
dans les avenuës de la place & des principales
ruës, en cas qu'on fust contraint
de se retirer dans la Ville, où il croyoit
que le President, voyant que la campagne
luy estoit desavantageuse, se seroit
retiré; car il avoit encore bien du monde,

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pourveu qu'il les pust ralier. Il
Lieux gabionez
de
sacs de farine.
ajoûta que les lieux où estoit ce canon
estoient gabionez avec des sacs de farine
de la hauteur d'un homme. Il donna
aussi avis qu'on ne prist pas le chemin
de Crux, parce que, disoit-il, on
trouveroit à l'entrée de la Ville une Redoute
avec huit pieces de bronze, qui
pour roient bien faire du fracas.

Morgan ayant appris ces nouvelles,
rassembla ses gens, & leur dit qu'il ne
falloit point perdre de temps, & que si
on donnoit le loisir aux Espagnols de
se ralier dans la Ville, on ne la pour-

Morgan
fait marcher
contre la Ville.

roit plus prendre; c'est pourquoy il faloit
marcher contre elle le plus promtement
qu'il seroit possible, afin d'y
estre aussi-tost qu'eux, & de leur en
empescher l'entrée. En mesme temps
il fit reveuë, & l'on trouva qu'il n'y en
avoit que deux de morts, & deux de
blessez.

Les Espagnols
perdent
beaucoup de
monde, les
Avanturiers
peu. Reflexiõ
de l'Autheur
à cer égard.
L'on croira peut-estre cecy une fable,
veu les differentes forces des deux
partys, dont l'un estoit plus considerable
que l'autre, & tous deux également
animez: car il est étonnant que les
Avanturiers se soient retirez du combat
avec si peu de perte, & les Espagnols

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Page 179
avec un si grand desavantage, qu'il en
demeura plus de six cent sur la place.
Je ne puis pourtant me dispenser de l'écrire,
en ayant esté témoin moy-même.
A la verité si je ne l'avois pas vû,
je ne pourrois pas me persuader que cela
fust; & peut-estre que ceux qui liront
ce Voyage se trouveront dans la
mesme peine: cependant plusieurs personnes
peuvent rendre témoignage que
je dis vray: car il passe tous les jours des
François de ces Contrées en celles-cy,
à qui je laisse la censure de tout ce que
j'ay écrit.

Morgan voyant qu'il avoit perdu si
peu de monde, s'avança vers la Ville,
exhortant ses gens à ne se pas abandonner
les uns les autres, mais à combattre
courageusement comme ils avoient
déja fait, sans leur déguiser toutefois
que ce second combat ne seroit pas si
facile que le premier. Les Avanturiers
conduits par le Capitaine de la Cavalerie
Espagnole, qu'ils avoient fait prisonnier,
marcherent par le chemin qui
vient de Portobello à Panama, où il n'y
avoit aucun peril. Entrant dans la Ville,
& voyant qu'il n'y avoit personne,
ils couroient l'un d'un costé, l'autre de


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l'autre, sans songer à l'avis qu'on leur
Avanturiers,
par imprudence,
donnent
dans le
canon des ennemis.

avoit donné d'éviter le canon qui estoit
dans la grande place, une partie d'eux
furent y donner en poursuivant quelqu'un
qu'ils avoient vû fuïr.

Aussi-tost on tira le canon, qui en
blessa vingt-cinq ou trente, & en tua
bien autant, sans pouvoir faire que
cette décharge: car à l'instant les Avanturiers
fondirent sur les Canoniers, &
passerent au fil de l'épée tous ceux qu'ils
trouverent dans la Ville. Dés que Morgan
se vit maistre de Panama, il fit assembler
tout son monde, à qui il défendit
de boire de vin, disant que les
prisonniers Espagnols l'avoient averti
qu'il y en avoit beaucoup d'empoisonné.
Cela n'estoit pourtant pas; mais
Morgan le disoit ainsi, afin d'empêcher
ses gens de s'enyvrer; ce qu'ils auroient
fait sans doute, s'ils n'avoient pas
craint d'estre empoisonnez.