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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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 I. 
 II. 
 III. 
Chapitre III.
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
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Chapitre III.

La prise de la ville du Port au Prince
par Morgan.

MOrgan' comme j'ay déja dit,
voyant Mansvvelt mort, resolut
avec son conseil de faire une descente
sur les terres des Espagnols; & pour cet
effet, aprés avoir équipé un Vaisseau,
il donna rendez-vous aux Avanturiers
dans les Cayes de l'Isle de Cuba: Dans
le peu de temps qu'il fut là, il forma
une Flotte de quatre Vaisseaux & de
sept cens hommes, qui se montrerent

Proposition
de Morgan à
son Equipage.
tous fort contens de luy, resolus de

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le suivre & de luy obeïr.

Alors on fit une chasse-partie generale,
qui contenoit ce qu'on donneroit
au Commandant, & aprés à chaque
particulier Equipage: On en fit une à
l'égard du Capitaine du Vaisseau. On
mit dans la chasse-partie generale, que
quiconque feroit quelque mauvaise action
seroit puny, comme de se tuer, ou
de se blesser l'un l'autre; ce qui fut fait
pour éviter les querelles qui pouvoient
naistre, comme autrefois entre les deux
Nations, sçavoir l'Angloise & la Françoise;
ce qui avoit empesché l'execution
du dessein qu'on avoit pris: &
comme cette Flotte estoit également
remplie de ces deux Nations, chacun
en tomba d'accord, & tous les Officiers
François promirent, que si quelqu'un
des leurs commettoit quelque
chose qui fût contre l'équité, ils autoriseroient
Morgan à le punir, & mesme
luy préteroien main-forte.

Tout estant ainsi conclu on tint
conseil, sçavoir quelle place on devoit
attaquer; on proposa celle de la Panama,
parce qu'elle estoit facile à surprendre
de nuit, & qu'on pourroit enlever
le Clergé & tous les Moynes, auparavant


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que les Forts fussent en état de se
défendre, qu'on auroit le temps de se
sauver, & que la rançon qu'on tireroit
de ces gens-là seroit suffisante, &
vaudroit mieux que le pillage que l'on
pourroit faire dans une petite Ville.
Cependant personne n'appuya cette entreprise;
on proposa en suite le Port au
Prince,
ville champestre de l'Isle de
Cuba, où l'on dit qu'il y avoit bien de
l'argent, à cause qu'il s'y faisoit grand
commerce de cuirs, & qu'étant éloignée
du bord de la Mer, les Espagnols
ne se deffiroient point qu'on les vint jamais
attaquer, ce qui en faciliteroit
beaucoup la prise; ce dessein fut approuvé
de tous les Avanturiers qui se preparerent
pour l'executer.

Morgan fit lever l'ancre à tous ses Bâtimens,
& la Flotte fut mouiller au
Port de Sainte Marie, qui est le Port
de la Ville dont nous parlons. Ils ne furent
pas tout contre la terre, de peur

Precaution de
Morgan pour
n'estre point
découvert.
d'estre découverts de quelques Chasseurs
Espagnols qui étoient au bord de
la Mer; mais ils furent moüiller dans
de petites Isles qui sont là tout vis à
vis.

La nuit, un Espagnol qui avoit esté


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quelque temps prisonnier avec les Avan-
Trahison
d'un Espagnol.

turiers Anglois, se jetta à l'eau & nagea
à une de ces petites Isles, & de là à
la grande, où il fut vîtement donner
avis au Port au Prince de ce qui se passoit;
car depuis le temps qu'il estoit
avec ces gens, il avoit un peu appris
d'Anglois.

Le Gouverneur se mit promptement
en défense; il ordonna aussi-tost à chaque
Bourgeois de prendre les armes; il
demanda du secours aux lieux voisins:
si bien qu'en peu de temps il mit huit
cens hommes sur pied, fit couper tous
les arbres qui estoient sur le grand chemin,
& faire des embuscades, afin de
repousser l'ennemi s'il estoit possible. Il
marchoit à la teste de tous ces gens
dans une grande prairie, & attendoit
les Avanturiers, croyant qu'il les empescheroit
d'aller jusques à la Ville.

Les Avanturiers venant au grand
chemin, & trouvant qu'il estoit couvert
d'arbres qu'on avoit jettez par terre,
virent bien qu'ils étoient découverts;
ils ne perditent pourtant pas
courage, ils prirent leur chemin au travers
des bois, & en peu de temps arriverent
à la Havana, ou prairie, où


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le Gouverneur estoit avec tout son
monde.

En mesme temps le Gouverneur Es-

Avanturiers
entourez de
la Cavalerie
Espagnole.
pagnol les fit entourer de loin par quelque
Cavalerie qu'il avoit; mais cela
ne les épouvanta point, au contraire ils
Défaite &
fuite des Espagnols.

commencerent à battre la quaisse, à
déployer leurs drapeaux, & à donner
à tort & à travers sur les Espagnols,
qui tinrent ferme & se défendirent
bien au commencement; mais voyant
que les Avanturiers ne portoient presque
pas un coup à faux, ils prirent la
fuite & se refugierent dans leur Ville,
où renfermez dans les maisons ils tiroient
par les fenestres.

Les Avanturiers voyant cela firent
mine de vouloir brûler la Ville, & ils
l'auroient fait, si alors les Espagnols ne
se fussent rendus. On les chassa dans la
grande Eglise, où on les tint prisonniers
Cependant les Avanturiers pilloient
tant qu'ils pouvoient, trouvoient
assez dequoy dans les maisons, mais il
n'y avoit point d'argent, car les Espagnols
l'avoient serré; & malgré l'embarras
où les jette le soin de se deffendre,
ils ne manquent jamais de prevoyance
à cet égard. Les Avanturiers


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donnerent la gêne à plusieurs Espagnols,
pour leur faire confesser où étoit
leur argent: Les Moynes s'étoient sauvez,
si bien qu'on n'en pouvoit prendre,
quoy qu'on allast tous les jours en
party, d'où l'on emmenoit des prisonniers.

Morgan & les siens ayant demeuré
en cette petite Ville quinze jours, fit
demander aux principaux prisonniers
qu'il avoit la rançon de Ville, ou sinon
qu'il la brûleroit; ils députerent quelques-uns
des leurs qui apporterenr la
rançon, & outre la somme qu'ils donnerent,
ils amenerent encore au Port
de Sainte Marie, où estoient les Vaisseaux
de Morgan, cinq cens Vaches
qu'il avoit demandées pour les ravitailler;
car son dessein estoit de faire encore
quelque descente ailleurs, n'estant pas
satisfait de ce qu'il avoit pris au Port
au Prince,
qui ne pouvoit pas monter
à grand' chose.

Les Avanturiers demeurerent encore
quelque temps au bord de la Mer au
Port de Sainte Marie, pour tuer ces
Vaches & les saler. Cependant ils se divertissoient
& joüoient, car ces gens
sont de fort bonne humeur quand ils


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ont fait capture. Il y avoit pourtant
toûjours quelques François & quelques
Anglois qui querelloient ensêmble;
mais l'accord fait entre les deux Nations
les tenoit en bride l'un & l'autre,
quoy que cela n'empeschast pas que
deux ayant eu quelque differend ne se
fissent un appel; & l'Anglois ne se jugeant
pas si fort que le François, qui
estoit tres-adroit à tirer, en allant au lieu
qu'ils avoient choisi pour se battre,
l'Anglois donna un coup de fusil au
François par derriere, qui le renversa
mort. Les François s'en estant apperçus
Appel d'un
Anglois à un
François. Punition
exemplaire.

furent s'en plaindre à Morgan, qui
condamna l'Anglois, & luy fit casser
la teste en presence de tous ceux de sa
Nation, dont quelques-uns n'estoient
pas contens. Cependant cela se passa
sans plus de bruit, & chacun fut satisfait
d'un costé & d'autre, ou du moins
fit semblant de l'estre.

Les Espagnols n'ayant pas achevé de
payer la rançon de la Ville, faisoient
attendre Morgan, disant que le monde
étoit dispersé, & qu'ils ne pouvoient
pas si-tost apporter cette somme; mais
quelques-uns des gens de Morgan ayant
esté en party amenerent un Esclave


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Lettres interceptées.

noir prisonnier, lequel avoit des lettres
pour ceux du Port au Prince, que le
Gouverneur de Saint Iago leur ecrivoit,
par lesquelles il leur donnoit avis
de prolonger le plus qu'ils pourroient
le payement de la rançon, & que dans
peu il viendroit les secourir luy-mesme
en personne, avec assez de monde pour
deffaire entierement leurs ennemis.

Morgan ayant vû & examiné cette
lettre, pressa les Espagnols qu'il avoit
en ôtage pour la rançon: cependant il
fit embarquer le butin qu'il avoit déja
fait, de peur d'inconvenient: & voyant
que les Espagnols le payoient toûjours
de bonnes paroles, sans en pouvoir tirer
autre chose, il se hasta de saler & faire
embarquer la viande, afin de se tirer
de là; car il n'aimoit pas à se battre, à
moins qu'il n'y eust de quoy gagner.

Morgan & ses gens s'embarquerent
donc ainsi, sans attendre le Gouverneur
de Saint Iago, qui eust voulu
peut estre partager le butin avec eux,
ou leur oster: De là ils furent sur une
petite Isle, pour voir à quoy montoit
leur prise, & ils trouverent qu'ils

A quoy monte
le Butin.
avoient bien cinquante à soixante mille
écus, tant en argent monnoyé que rompu,

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sans le pillage d'étoffe & soye, de
toiles & autres marchandises qui montoient
encore à beaucoup plus que cela.
Ils partagerent ces choses, & n'eurent
chacun que soixante ou quatre-vingts
écus; ce qui estoit bien peu, & ne suffisoit
pas pour payer leurs dettes.

Morgan, qui non plus que bien
d'autres, n'avoit pas envie de retourner
à la Jamaïque avec si peu de chose,
proposa un nouveau dessein, afin de
faire une autre descente, & une prise
plus considerable. Tous les Anglois en
étoient d'accord, mais beaucoup de
François mécontens de cette Nation ne

Anglois &
François se
separent.
voulurent pas; & comme ils avoient
leurs propres Equipages & leurs Bâtimens,
ils se separerent, & aimerent
mieux aller en course croiser, que de
suivre Morgan, quoy que personne ne
se plaignît jamais de luy, parce qu'il se
montroit toûjours affectionné pour eux,
& les protegeoit en des choses mesmes,
où ils n'avoient pas trop de raison; ce
qui donnoit aussi de la jalousie aux Anglois.
De sorte que Morgan voulant
contenter tout le monde, ne contenta
personne.