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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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Chapitre VI.

Histoire de l'Avanturier Monbars,
surnommé l'Exterminateur.

SI-tost que nous fûmes embarquez,
nous levâmes l'ancre, & fismes voile
vers l'Isle de Cuba, où nous arrivâmes
quinze jours aprés nostre départ.
En verité il estoit temps que nous y
arrivassions; car nous ne pouvions plus
tenir nostre Navire à l'eau, le fonds en
estant tout pourry & mangé de vers.
A l'instant les deux Indiens que nous
avions, & nos Chasseurs, furent dans
un Canot à terre. Sur le soir les Indiens
revinrent avec de la Tortuë &
du Lamentin, & les Chasseurs avec du
Sanglier & de la Vache, en sorte qu'ils
apporterent à manger pour plus de deux
cens hommes.


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A l'heure mesme nostre chagrin se
dissipa, nos fatigues furent oubliées, &
au lieu que durant nostre misere nous
nous nuisions à dix pas les uns des autres;
alors nous prenions plaisir à nous
approcher, & à nous faire mille amitiez,
ne nous appellant plus que freres.
En un mot nous estions tous satisfaits,
& resolus de demeurer long-temps
dans ce lieu, afin de nous bien remettre.
Par bonheur nous n'avions-là aucuns
ennemis que les Espagnols, mais nous
les cherchions plûtost qu'ils ne nous
cherchoient; les Avanturiers n'ayant
rien plus à cœur que de pour suivre sans
relasche ceux de cette Nation.

On diroit mesme que la Providence
les a suscitez, pour punir les Espagnols
de toutes leurs injustices. En effet,
comme les Espagnols ont esté, &
sont encore le fleau des Indiens, l'on
peut dire que les Avanturiers sont &
seront toûjours le fleau des Espagnols;
mais je n'en sçache point parmy eux,
qui leur ait plus fait de mal que le jeune
Monbars, surnommé l'Extermina-

Morbars,
pourquoy dit
l'Exterminateur.

teur, parce qu'il en a assommé sans remission,
tout autant qu'il en a rencontré.


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L'Olonois mesme à ce qu'on prétend,
n'a jamais esté si redoutable que luy aux
Espagnols, bien qu'il ait dû l'estre beaucoup.
En effet, nous venons de voir que
presque en un moment, il a coupé la teste
à je ne sçay combien de gens de cette
Nation. On trouve mesme sur ce sujet
une grande difference entre ces deux Avanturiers,
en ce que l'Olonois a souvent
fait mourir plusieurs Espagnols qui ne lui
resistoient pas, & que Mombars n'en a
jamais tué un seul qui ne luy ait resisté.

Cela me fait souvenir d'un incident
que je raporte maintenant, de crainte
qu'il ne m'échape dans la suite; car les
choses qui regardent l'Avanturier Mombars,
sont à l'heure que je parlesi confuses
dans mon esprit, que je les reciteray plûtost
selon l'ordre qu'elles se presenteront
à ma memoire, que selon le temps qu'elles
sont arrivées: Et je rapporte cet incident,
non pas tant pour la rareté du fait,
que pour la singularité de l'avanture qui
luy a donné lieu.

Un jour que Mombars estoit en
mer, il fut obligé de descendre à terre
pour les besoins de son vaisseau, & fort
surpris de trouver des Espagnols dans
un lieu, où l'on n'en devoit point rencontrer.


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Les Espagnols marchoient
dans une plaine assez éloignée de l'endroit
où estoit alors Mombars. Ils paroissoient
en bon ordre & bien armez.
Mombars craignant qu'ils ne prissent la
fuite, s'ils voyoient tout son monde,
ne fit paroistre que quelques Indiens
qui ne l'abandonnoient point, parce
qu'ils l'aymoient & qu'il les aymoit
aussi. Les Espagnols ne manquerent
pas de se jetter sur ce petit nombre
d'Indiens, qui s'étoient avancez exprés
pour leur faire donner dans l'ambuscade.
Mombars qui observoit les ennemis,
fondit à son tour sur eux, & avec
tant d'impetuosité & de courage, qu'ils
se disposoient à se rendre, pourveu
qu'on leur laissast la vie; lors que Mombars
leur cria en Espagnol qu'ils n'avoient
rien à esperer, à moins qu'ils ne
le tuassent avec tous les siens.

Ces paroles terribles, suivies de plus
terribles effets, contraignirent les Espagnols
à se battre jusqu'à l'extremité, où
ils furent bien-tost reduits par la valeur
de Mombars, qui ne leur fit point de
quarier. A l'heure mesme on avança
dans le païs, où l'on trouva de l'eau en
abondance, des fruits & d'autres chos


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necessaires à la vie, dont on s'accommoda,
aussi bien que des armes des Espagnols,
& de tout ce qui merita d'estre
emporté. En suite on se rembarqua
& l'on fit voile.

Voilà comme Mombars & les siens
ont combattu & défait les Espagnols
en un lieu où ils ne pensoient pas mesme
les trouver. C'est pourquoy, comme
il a esté deja dit, ils en furent fort
surpris: & certainement ils avoient raison
de l'estre, puis qu'ils n'estoient venus
en cet endroit que par une avanture
extraordinaire comme on le peut voir
par ce qui suit.

Les Espagnols montoient une Barque
remplie de plusieurs Negres, dont
ils alloient commercer à leur ordinaire.
Ces Negres estant tous d'intelligence ensemble,
& dans le dessein de se sauver,
trouverent l'invention de percer la Barque
en plusieurs endroits, par lesquels
ils faisoient entrer l'eau & l'empeschoient
anssi d'entrer par le moyen de tampons
faits exprés, qu'ils mettoient & ostoient
quand ils le vouloient, & cela si adroitement
qu'on n'en pouvoit rien appercevoir.

Une fois que les Espagnols s'entretenoient


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assez tranquilement, ainsi qu'ils
ont accoûtumé de faire à cause de leur
humeur flegmatique; l'eau survenant
tout à coup, les obligea d'interrompre
leur entretien, & de courir par tout retirer
des hardes que l'eau gâtoit considerablement.
Les Negres qui avoient
causé le desordre, s'empresserent comme
à l'envy pour l'arrester, & y réussirent
si bien, que les Espagnols admiroient
leur promptitude & leur adresse à étancher
la Barque d'eau. Ce fut là le premier
essay de leur ruse, qu'ils resolurent
de mettre en pratique jusqu'à ce
qu'ils eussent trouvé un temps favorable
pour en profiter au gré de leurs
desirs. Ainsi donc ils prenoient occasion
du moindre vent & de la moindre
tempeste pour faire entrer l'eau, & la
faisoient entrer autant de fois qu'ils le
jugeoient à propos, pour faire croire
que la Barque estoit méchante.

Les Espagnols commençoient déja à
en estre fort persuadez, parce que le plus
souvent au milieu de leur repas, & de
leur sommeil mesme, ils estoient surpris
par des inondations d'autant plus
incommodes, qu'elles estoient toûjours
impréveuës. Un jour que la Barque


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estoit proche d'un Recif où les Negres
l'avoient conduite à dessein, à
l'instant ils déboucherent toutes les ouvertures;
de maniere que les Espagnols
se voyant prests d'estre submergez, abandonnerent
la Barque & les Negres, &
se jetterent sur le Recif, d'où ils gagnerent
une langue de terre voisine, & enfin
l'endroit où Mombars les avoit trouvez
& taillez en pieces.

Un Negre cependant étonné que l'eau
entroit de toutes parts, & avec une
abondance & une impetuosité qu'il n'avoit
point encore veuë, jugea qu'il faloit
promptement boucher les ouvertures,
ou se resoudre à perir. Mais il
n'en pût trouver aucune, & crût ses
camarades dans la mesme peine, ne pouvant
pas s'imaginer qu'ils eussent laissé
inonder la Barque de cette sorte, s'ils
avoient pû l'empescher. Alors effrayé
d'un peril si évident, il fut assez malheureux
pour se sauver avec les Espagnols.
Il regarda aussi-tost pour découvrir
ce qu'estoient devenus ses Compagnons,
& les apperceut en pleine mer
qui avoient arresté l'eau, & qui joüissoient
de la Barque. A cette veuë le Negre
parut au desespoir, ce qu'il ne fit que


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trop connoistre en pietinant des pieds
& s'arrachant les cheveux. Les Espagnols
s'en étonnerent, parce qu'ils
croyoient sa destinée meilleure que celle
de ses Camarades, qu'ils regardoient
comme des gens perdus, ou prests à se
perdre; prévenus qu'ils estoient du mauvais
état de la Barque.

Mais comme de leur naturel ils sont
méfians, ils soupçonnerent quelque chose
de l'emportement du Negre, luy firent
plusieurs questions qui l'embarasserent,
& qui redoublerent leurs soupçons. Ils
le menacerent des plus cruels tourmens,
s'il ne leur disoit la verité; & comme
il ne les contentoit pas; des men ces ils
en vinrent aux effets, le tourmenterent
cruellement, & le forcerent d'avoüer la
chose. C'est de luy qu'on a sçû tout ce
que l'on vient de raconter.

Cependant Mombars continuoit son
voyage pour une grande expedition,
dont on ne dit rien à cette heure, puis
qu'avant que de passer outre, il est necessaire
pour l'intelligence de ce qui va suivre,
& pour la satisfaction du Lecteur,
de reprendre de plus haut l'histoire de ce
brave Avanturier, qui sans doute en vaut
bien la peine.


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L'Olonois qui le connoissoit particulierement,
m'a assuré qu'il estoit d'une
des bonnes familles de Languedoc,
& qu'il a esté tres-bien élevé, sur tout
qu'il s'est appliqué à tous les exercises
d'un Gentil-homme, comme à tirer
des armes, disant quelquefois qu'il apprenoit
à tuer des Espagnols. Ce qui fait
voir qu'il a une grande antipatie pour
eux: Voicy ce qui luy a donné lieu.

On pretend que dans sa jeunesse il a

Son antipatie
pour les Espagnols:

Cause de cette
antipatie.
lû plusieurs Relations qui parlent de la
conqueste que les Espagnols ont faite des
Indes, & par consequent des cruautez
inoüies qu'ils ont exercées en la faisant.
Cette lecture n'a pas manqué d'exciter
sa haine pour les Vainqueurs, & sa compassion
pour les Vaincus: En sorte
qu'il a toûjours témoigné un grand desir
de les vanger, & beaucoup de joye,
lors qu'il aprenoit que les Indiens avoient
eu quelque avantage sur eux:
car on sçait que ces peuples ont souvent
battu les Espagnols. On dit encore,
qu'il prenoit un singulier plaisir, lors
qu'on luy raportoit quelques malheurs
arrivez aux Espagnols, que luy-mesme
se plaisoit d'en raconter, & qu'un jour,
au sujet de leur tyrannie, il recita cette

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petite histoire, qu'il avoit trouvée,
sans doute, dans quelques unes des Relations
qu'il avoit leuës.

Un Espagnol, disoit-il une fois aux
gens de son âge, avoit esté établi Gouverneur
dans une contrée d'Indiens, qui
n'estoient pas fort endurans, & par malheur
cet homme estoit cruel dans son
Gouvernement, & insatiable dans son
avarice. Ces Indiens qui ne pouvoient
plus souffrir sa barbarie, ny suffire à ses
exactions, le furent trouver, & luy firent
entendre, en luy montrant quantité
d'or, qu'ils avoient trouvé le moyen
de le contenter; & sans perdre de temps,
se jetterent sur luy, & le tenant serme,
luy firent avaler cet or fondu, luy disant
de s'en soûler, & ne cesserent point
de luy en faire avaler, qu'il n'expirast
dans leurs mains. C'est ainsi qu'il rémoignoit
son animosité contre les Espagnols.
Une autre-fois il en donna des
preuves beaucoup plus réelles dans une
occasion assez plaisante.

On avoit sait une Comedie qui devoit
estre joüée par les Ecoliers du College
où il étudioit. Parmi les Acteurs
on introduisoit sur la Scéne un François
& un Espagnol. Monbars representoit


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le François, & un de ses Camarades
l'Espagnol. L'Espagnol estant sur
le Theatre dit plusieurs invectives contre
le François, meslées d'une infinité
de Rodomontades offençantes. Monbars
sentit aussi-tost émouvoir sa bile,
& réveiller l'aversion qu'il avoit contre
les Espagnols: Aversion qui estoit née,
& qui croissoit tous les jours avec luy,
De maniere qu'impatient & furieux
tout ensemble, il interrompit son Camarade
au milieu de son discours; des
paroles en vient aux coups, & si l'on
n'estoit venu luy oster des mains le pretendu
Espagnol, il n'auroit pas manqué
de le tuer. Ce qui n'estoit pas de
la piece.

Cependant Monbars se formoit de
jour en jour, & son pere qui estoit aisé,
& qui l'aimoit beaucoup, songeoit déja
à l'établir; mais lors qu'on luy demandoit
ce qu'il vouloit faire, il ne répondoit
autre chose, finon qu'il vouloit
aller contre les Espagnols.

Comme il vit que l'on s'opposoit à
son dessein, il se déroba de la maison de
son pere, & fut trouver un de ses Oncles
au Havre de Grace, qu'il sçavoit
estre riche, & commander un vaisseau


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pour le Roy, avec ordre de croiser sur
les Espagnols, contre lesquels nous
estions alors en guerre. Il dit son intention
à son Oncle, qui l'aprouva, le
voyant bien fait & né pour les armes.
Il loüa mesme l'envie qu'il avoit de se
signaler contre les Espagnols, en écrivit
à son pere, & peu de jours aprés fit
voile pour aller joindre la Flotte que
l'on équipoit.

Durant le voyage, dés que l'on découvroit
quelque vaisseau, il demandoit
à l'instant s'il estoit Espagnol. Enfin
il en parut un, on l'en avertit, il
fut transporté de joye, courut à ses armes,
& brûloit d'impatience de se voir
aux mains avec les Espagnols. Son Oncle
fit donner la chasse à ce Vaisseau, &
en approcha d'assez prés pour discerner
qu'on se disposoit à mettre le seu au
canon. Comme il vit, quoy qu'il pût
dire à son neveu, qu'il s'exposoit inconsiderement
& en homme sans experience,
il le fit enfermer, puis essuya
tout le canon des ennemis, & par bonheur
ce fut sans beaucoup d'effet. Aprés
cela on joignit le Vaisseau Espagnol,
& l'on en vint à l'abordage. Aussitost
on lâcha le jeune Lion qui fondit


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le sabre à la main sur les ennemis, se
mêla impetueusement, & se fit jour
parmi eux, & suivi de quelques-uns,
que sa valeur animoit, il passa deux fois
d'un bout à l'autre du vaisseau, & renversa
autant de fois tout ce qui se trouva
sur son passage.

Les Espagnols alors avoient beau demander
quartier, on ne leur en faisoit
point; tellement qu'il ne put échaper
que ceux qui se jetterent dans la mer;
encore s'ils ne perirent pas par le fer,
il est à présumerqu'ils perirent par l'eau:
car Monbars ne voulut jamais souffrir
que l'on pardonnast à un seul. En suite
on visita le vaisseau, où l'on trouva
de grandes richesses; par exemple trente
mille balles de toile de coton, des
tapis velus, & autres ouvrages des Indes
de grande valeur; deux mille balles
de soye reprise; deux mille petites
bariques d'Encens, mille de cloux de
Girofle; puis une cassette remplie de
dramans bruns, dont les plus gros paroissoient
de la grosseur d'un bouton
commun. Elle estoit entourée de plusieurs
barres de fer, & fermée à quatre
serrures. On y rencontra encore beaucoup
d'autres choses aussi riches que
precieuses.


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Lorsque tout le monde estoit ravi
d'une si belle prise, Monbars se réjoüissoit
à la veuë du grand nombre
d'Espagnols qu'il voyoit tuez: car cet
Avanturier n'est pas comme les autres,
qui ne combattent que pour le butin;
il ne combattoit seulement que pour la
gloire, & pour punir les Espagnols de
leur cruauté. On m'a assuré qu il avoit
fait dans cette rencontre des actions si
extraordinaires, qu'on auroit peine à
les exprimer, & peut-estre plus à les
croire. Cependant je n'en voy pas la
raison, puisqu'il est certain que Monbars
est brave, hardi, determiné, disant
peu, & faisant beaucoup.

Portrait de
Monbars.
Je me souviens de l'avoir vû en passant
aux Honduras. Il est vif, alerte,
& plein de feu, comme sont tous les
Gascons. Il a la taille haute, droite &
ferme, l'air grand, noble & martial,
le teint bazané. Pour ses yeux, l'on n'en
sçauroit dire ni la forme, ni la couleur,
estant cachez comme sous une voûte
obscure, à cause que ses sourcils noirs
& épais se joignent en arcade au dessus,
& les couvrent presque entierement.
On voit bien qu'un homme fait de
cette sorte ne peut estre que terrible:

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aussi dit-on que dans le combat il commence
à vaincre par la terreur de ses regards,
& qu'il acheve par la force de
son bras.

Malgré la fureur du carnage, on
avoit épargné quelques Matelots, &
d'autres Officiers, parce que l'on en
avoit besoin, & qu'ils n'estoient pas
Espagnols. Ils donnerent avis que le
vaisseau qu'on venoit de prendre estoit
suivi de deux autres encore plus richement
chargez, que la tempeste avoit
écartez, qui ne manqueroient pas d'arriver
dans peu de jours, & que le rendez-vous
estoit donné au Port Margot.
J'avois oublié de dire que ce combat
s'estoit donné vers S. Domingue, d'où
ce port n'est pas éloigné; mais je n'ay
point marqué la route de ce vaisseau, à
cause que je ne l'ay pas bien sceuë, &
que je n'ay entrepris de décrire que la
route des vaisseaux où j'ay esté.

L'oncle de Monbars prosita de l'avis
qu'on luy donnoit, & crut que les
vaisseaux dont on parloit valoient bien
la peine d'attendre dans le port que j'ay
nommé, sept ou huit jours, & plus,
s'il le faloit. Il ne douta point mesme
que la prise n'en fust certaine & sans


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danger, en se servant d'une ruse assez
ordinaire, qui estoit de ne laisser paroistre
au port que le seul vaisseau Espagnol
dont il s'estoit rendu maistre,
estant presque seur que les vaisseaux de
cette Nation le voyant au rendez-vous,
ne manqueroient pas de le joindre, &
d'estre pris.

Là-dessus Monbars aperceut plusieurs
Canots qui tiroient vers le vaisseau. Il
demanda ce que c'estoit: on luy répondit
que c'estoit des Boucaniers qui venoient,
attirez par le bruit du combat,
ou plûtost pour avoir de l'eau de vie.
Ils presenterent à l'oncle de Monbars
quelques paquets de cette chair de Sanglier,
qu'ils sçavent si bien aprester,
qui est, comme je l'ay dit ailleurs, d'une
odeur admirable, vermeille comme
la Rose, & dont on auroit envie de
manger en la voyant seulement. On
receut tres-bien leur present, & on leur
donna de l'eau de vie en abondance.
Ils s'excuserent sur ce qu'ils presentoient
si peu de cotte viande, & dirent pour
raison, que depuis peu la Cinquantaine
Espagnole avoit battu le païs, ravagé
leurs Boucans, & tout emporté. Comment
souffiez-vous cela, dit brusquement


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Monbars? Nous ne le souffrons
pas aussi, repliquerent-ils avec la même
brusquerie, & les Espagnols sçavent
bien quelles gens nous sommes;
c'est pourquoy ils ont pris le temps que
nous estions tous à la chasse; mais nous
allons joindre plusieurs de nos camarades
qu'ils ont encore plus mal traitez
que nous, & leur cinquantaine, fût elle
devenuë centaine, & mesme milliéme,
nous en viendrons bien à bout. Si vous
voulez, dit Monbars, qui ne demandoit
qu'où est-ce? je marcheray à vôtre
teste, non pas pour vous commander,
mais pour m'exposer tout le premler,
& vous montrer ce que je feray
contre les Espagnols.

Les Boucaniers qui voyoient à sa
mine qu'il estoit homme d'expedition,
l'accepterent volontiers; & Monbars se
tourna vers son oncle, & luy en demanda
la permission que son oncle ne put
luy refuser, considerant qu'il avoit encore
long-temps à estre là, & que cependant
il ne pourroit jamais retenir
son neveu, emporté comme il estoit. Il
luy donna quelques gens de son âge &
de sa valeur pour l'accompagner; & il
luy en donna peu, parce qu'il ne vouloit


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pas dégarnir son vaisseau, ayant
peur d'estre attaqué. En suite le neveu
quitta l'oncle, en luy promettant qu'il
seroit bien-tost auprés de luy. Vous ferez
bien, luy dit-il, car je vous assure
que les vaisseaux que j'attens, pris ou
manquez, je partiray à l'heure même.
Il luy parloit de la sorte, non pas qu'il
eust dessein d'en user ainsi, il l'aimoit
trop tendrement; mais pour precipiter
son retour.

Aussi-tost Monbars suivi des siens,
passa avec joye dans un des Canots des
Boucaniers. Cependant un secret chagrin
se mêloit à cette joye, & il se
trouvoit comme partagé: d'une part il
apprehendoit que les vaisseaux qu'on
attendoit n'arrivassent, qu'on ne se battist
en son absence, & qu'il ne pust partager
le peril ni la gloire du combat: de
l'autre les Boucaniers l'assuroient qu'ils
ne seroient pas long temps sans rencontrer
les Espagnols; ce qui le determina,
estant persuadé que s'il trouvoit dans
peu l'occasion de battre les Espagnols
sur terre, il seroit assez tost revenu
pour les battre encore sur mer.

Il ne croyoit pas si bien dire; car à
peine eut-il abordé dans une prairie entourée


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de bois & de colines, qu'on vit
paroistre quantité de Cavalerie Espagnole
leste & bien montée, qui s'estoit
ainsi assemblée, sçachant que les Boucaniers
s'assembloient aussi. Monbars
qui sentoit redoubler sa haine à la veuë
des Espagnols, alloit donner teste baissée,
sans considerer leur multitude, & le
petit nombre des siens; lors qu'un Boucanier
qui estoit auprés de luy, homme
de cœur & d'experience, luy dit:
Attendez, il n'est pas temps; & si l'on
veut faire ce que je feray, nous allons
avoir ces gens là sans qu'il en échape
un seul. Ces mots, sans qu'il en échape
un seul,
arresterent à l'instant Monbars;
car s'il estoit bien aise de triompher
des Espagnols, il l'estoit encore
plus d'en triompher sans qu'il en échapast
un seul. En mesme temps celuy qui
avoit proferé ces paroles fit faire alte à
ses camarades, & tourner le dos aux
Espagnols, comme s'ils ne les avoient
point veus. Aussi-tost il déroula une
tente de toile, qu'il portoit en bandoliere;
c'est de cette sorte que les Boucaniers
ont accoûtumé de porter leurs
tentes lors qu'ils vont en campagne, &
sous laquelle ils reposent par tout où ils

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se rencontrent: l'on se peut bien ressouvenir
que je l'ay dit ainsi en parlant
de ce qui les regarde. Cet homme
donc dressa cette tente; tous ses camarades
aidez de leurs Engagez, qui les
Ruse de
guerre remarquable.

avoient joints dans la prairie, firent la
mesme chose, sans trop penetrer son
intention, ils se confioient sur son
adresse, qui les avoit déja plusieurs fois
tirez d'affaire.

Dans ce moment on fit paroistre
plusieurs flacons d'eau de vie, & d'autres
choses propres à se bien réjoüir.
A cette veuë les Espagnols, qui observoient
la contenance des Boucaniers,
crurent qu'ils les tenoient déja, s'imaginant
qu'ils ne campoient de cette
sorte que pour se regaler. Ils jugerent à
propos de leur en donner tout le loisir,
c'est à dire de leur donner tout le temps
de s'accabler d'eau de vie, ainsi que
les Boucaniers ont accoûtumé de faire
quand ils en ont à souhait, comme ils
en avoient alors; & cela à dessein
de les surprendre dans cet accablement,
& de les vaincre sans peine, les
victoires aisées & sans danger accommodant
toûjours les Espagnols. C'est pourquoy
pour mieux tromper encore les


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Boucaniers, & les delivrer de toute
crainte, ils se déroberent à leurs yeux,
& quitterent le haut de la coline pour
descendre dans le bas.

D'autre costé celuy qui estoit l'autheur
du stratagême, le fit sçavoir de
main en main à ses camarades, songea
à tous les moyens qui le pouvoient
faire reüssir, envoya secrettement vers
les autres Boucaniers des païs circonvoisins,
les avertir de l'état où ils
estoient, & de les venir secourir, mais
sur tout de se cacher dans les bois; &
cependant, de peur de surprise, il fit
observer les Espagnols.

Sur la brune les Boucaniers s'écoulerent
tout doucement de leurs tentes, &
passerent dans les bois, où ils trouverent
ceux qu'ils avoient mandez, bien
armez, & tout prests à combattre; comme
aussi leurs Engagez qu'ils avoient
amenez avec eux. Monbars alors mouroit
d'impatience de voir les Espagnols,
& s'imaginoit qu'ils ne viendroient jamais.
Eux cependant attendoient le
plus qu'il leur estoit possible, se figurant
que plus ils attendroient, plus ils
trouveroient les Boucaniers plongez
dans la débauche; & que les trouvant


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comme morts, ils n'auroient plus qu'à
les ensevelir sous leurs tentes.

A la pointe du jour on aperceut qu'ils
faisoient quelque mouvement. Peu de
temps aprés on les vit descendre en bon
ordre de la mesme coline où ils avoient
paru la premiere fois, quelques Indiens
marchant devant eux en maniere
d'Enfans perdus. Les Boucaniers les attendoient
de pied ferme, & bien postez,
en sorte pourtant qu'ils ne pouvoient
estre vûs, & ne perdoient rien
de ce que leurs ennemis faisoient. Comme
ils avoient eu l'industrie de dresser
leurs tentes fort éloignées les unes des
autres, cela obligea les Capitaines de diviser
leur Cavalerie par petits escadrons,
& de les envoyer fondre sur chacune
de ces tentes, où ils croyoient trouver
les Boucaniers, qui les surprirent étrangement
en sortant de toutes parts, &
chargeant à propos & sans relâche ces
pelotons de Cavalerie Espagnole ainsi
dispersée, ils abattoient tantost les
hommes, tantost les chevaux, & le
plus souvent tous les deux ensemble.

Exploits de
Monbars contre
les Espagnols.

Monbars monté sur un cheval Espagnol,
dont il avoit tué le maistre,
couroit par tout où l'on faisoit resistance,

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sans s'arrester où l'on n'en faisoit
pas. Il alla presque seul charger inconsiderément
un escadron de Cavalerie,
& plus inconsiderément encore s'en
laissa environner. Il auroit sans doute
cedé au nombre, s'il n'avoit esté promptement
secouru & dégagé par les Boucaniers;
& voyant que les ennemis
écartez fuyoient à droite & à gauche,
il les poursuivoit à droite & à gauche,
les tuoit ou les renversoit, & se fit enfin
remarquer & sentir aux Espagnols
par des coups qui leur furent aussi funestes
que nouveaux.

Là dessus un Boucanier s'apercevant
que les fléches des Indiens les incommodoient
beaucoup: Quoy, leur cria-til
en Espagnol, & en leur montrant Monbars,
ne voyez-vous pas que Dieu vous
envoye un Liberateur, qui combat
pour vous delivrer de la tyrannie des
Espagnols, & cependant vous combattez
pour vos tyrans? A ces mots les
Indiens s'arresterent, crurent ce que le
Boucanier leur disoit, en voyant ce
que Monbars faisoit, se joignirent à ses
costez, & tournerent leurs fléches contre
les Espagnols. Aussi-tost les fléches,
la mousqueterie & les autres armes assaillirent


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les Espagnols de toutes parts,
& les abattirent differemment.

Monbars regardoit ce jour comme le
plus beau jour de sa vie, voyant les Indiens
à ses costez, qui le secondoient,
l'applaudissoient, & le regardoient comme
leur protecteur. Il prenoit plaisir
alors à les vanger de toutes les cruautez
que les Espagnols avoient exercées contr'eux,
nageoit dans la joye, de voir
ceux qu'il haïssoit nager dans leur sang;
& on luy entendit prononcer ces formidables
paroles, en fendant un Espagnol
de son sabre, Je voudrois que ce
fust là le dernier.
Jamais peut-estre, à
ce que l'on m'a rapporté, n'a-t'on vû
un carnage si horrible, les vivans mais
choient par tout sur les morts, & les
morts faisoient par tout tomber les vivans.
En un mot la déroute fut si grande
& si generale, que les chevaux ne
parurent vistes, & les hommes adroits
que pour fuïr devant le vainqueur.

Les Boucaniers qui estoient en train
de vaincre, & les Indiens en goust de
la liberté, prierent Monbars de vouloir
profiter de sa victoire, de venir ravager
les habitations des Espagnols, &
d'exterminer ceux qui estoient restez


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dessus, qu'on ne manqueroit pas de
trouver consternez de la défaite des
leurs, & d'en délivrer le pays. Monbars
y consentit volontiers, & marchoit
à leur teste, lors qu'il entendit
un coup de canon qui venoit du port
où estoient les vaisseaux de son oncle.
Il partit en diligence, croyant que les
vaisseaux Espagnols estoient arrivez, &
qu'on en estoit aux mains; mais à son
arrivée il trouva tout tranquile, le coup
qu'il avoit oüi estoit le coup de partance,
que son oncle avoit fait tirer, pour
l'avertir, jugeant au bruit de la mousqueterie
qu'il entendoit, que le lieu où
sa donnoit le combat n'estoit pas éloigné.
En effet son oncle alloit partir,
ne voulant pas attendre davantage les
vaisseaux Espagnols, & estant pressé
d'aller où le service du Roy de France
son Maistre l'appelloit. Il fut ravi de
voir son neveu de retour, victorieux,
& sans blessures, & d'entendre les éloges
qu'on donnoit à sa valeur & à ses
exploits.

Les Boucaniers qui ne pouvoient
plus quitter Monbars, & dont le païs
est par tout où ils trouvent bonne
chasse, s'embarquerent avec luy. Les


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Indiens qui prévoyoient bien le danger
qu'il y avoit de retourner dans leur
pays aprés avoir abandonné les Espagnols,
firent la mesme chose, en sorte
que le vaisseau qu'on avoit pris sur les
Espagnols se trouva tout rempli de
gens braves & éprouvez. On arma les
Indiens de fuzils & de sabres, dont ils
estoient aussi adroits à se servir que de
l'arc & des fléches. En suite l'oncle
donna le commandement de ce vaisseau
à son neveu, & pour Lieutenant un
vieil Officier habile, afin qu'il pust
l'aider dans le besoin de son conseil & de
son experience, & fit aussi-tost mettre
à la voile.

Je n'ay point sceu ni quelle route il
tint, ni où il avoit dessein d'aller; mais
je sçay bien qu'aprés avoir vogué huit
jours par un assez beau temps, il fut
attaqué au sortir d'une grande baye,
par quatre vaisseaux Espagnols, qui furent
sur luy avant qu'il pust les éviter;
ce qu'il auroit fait sans doute, voyant
qu'un seul de ces vaisseaux estoit plus
grand & mieux équipé que tous les
fiens. Ils alloient, dit-on, au devant
de la grande flotte chargée de l'argent
des Indes, qui venoit alors, & qui estoit


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attenduë depuis long-temps par le vray
maistre, par toute l'Espagne, la Hollande,
les Marchands, & avec beaucoup
d'impatience par les pirates.

L'oncle de Monbars se vit donc

Combat naval.

tout d'un coup attaqué par ces quatre
vaisseaux, & voyant qu'ils venoient
fondre tous ensemble sur luy, il trouva
le moyen de les diviser, & peu de temps
aprés il fut entrepris par deux de ces
grands navires. Il se défendit vaillamment,
& fit reculer bien loin ceux qui
penserent l'aborder. Ayant déja combatu
plus de trois heures, ne voyant
aucun secours, parce que son neveu
estoit fort occupé contre les deux autres
navires, & terriblement pressé par
eux; l'oncle se resolut à un dernier effort,
& le fit avec tant de furie, que
les deux navires allerent à fonds les premiers,
& luy aprés, avec la satisfaction
d'avoir vû perir se ennemis.

Ainsi perit l'oncle de Monbars,
grand homme de mer & de guerre,
aprés s'estre défendu fort long temps
avec autant de bonheur que d'adresse;
en sorte que ses ennemis ne l'auroient
pû surmonter, tout gouteux qu'il estoit,
pour peu qu'il eust esté secouru: car


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ni les douleurs de sa goute, qui l'empeschoient
de marcher; ni la multitude
des Espagnols, qui l'assailloient de
toutes parts, ne purent l'empescher de
faire toutes les actions d'un grand Capitaine.

Monbars de son costé en faisoit d'extraordinaires,
outré de la perte de son
oncle, & impatient de le vanger. Il se
voyoit aussi pressé par deux grands
vaisseaux, & soûtenoit tous leurs efforts
avec tant de valeur & de fortune,
qu'il en coula un à fonds, & aborda
l'autre. Les Indiens qui le virent entrer
par un bout de ce vaisseau, se jetterent
promptement à l'eau, & furent à la
nage à l'autre bout, où entrant à l'improviste,
& surprenant les Espagnols
par derriere, ils en enleverent beaucoup
à brasse-corps, qu'ils jetterent dans la
mer, & en expedierent aussi beaucoup
d'autres à coups de sabre dans le navire
mesme, tandis que Monbars de son
costé, secondé des siens, passoit au fil
de l'épée tous ceux qu'il trouvoit devant
luy; de maniere qu'il se vit maître
en peu de temps d'un navire plus
grand & mieux équipé que ceux qui
avoient peri. Il fit plonger aussi-tost


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plusieurs Indiens à l'endroit où son oncle
avoit enfoncé, afin de tirer son
corps; mais leur recherche fut inutile,
& Monbars se sentit également affligé
d'avoir perdu son oncle, de ne pouvoir
luy rendre les derniers devoirs, &
de n'avoir plus d'Espagnols à luy sacrifier.

Si Monbars avoit conceu tant de haine
contre les Espagnols, pour avoir
massacré les Indiens, l'on peut bien s'imaginer
que cette haine fut extrémement
redoublée depuis qu'ils eurent
causé la mort de son oncle. Il cherchoit
donc tous les moyens de la vanger,
& se trouvoit mesme assez fort
pour l'entreprendre, attendu qu'il se
voyoit monté de deux vaisseaux des
plus beaux & des meilleurs voiliers qui
fussent peut-estre alors sur la mer, &
que celuy de son oncle allant à fonds,
il s'en estoit sauvé les plus braves gens,
& qu'il avoit perdu peu des siens. Làdessus
les Boucaniers luy proposerent
de faire une descente dans un lieu qui
se rencontroit sur leur route, & tout
propre à exercer sa vengeance, à cause
de la multitude des Espagnols qui l'habitoient.


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Il n'en falut pas davantage pour l'y
faire resoudre, & tourner ses vaisseaux
de ce costé là; mais il ne put executer
son dessein avec tant de promptitude,

Descente
considerable.
ni de secret, que le Gouverneur du
païs n'en fust averti, qui donna bon
ordre à tout: car il mit en embuscade
dans les bois & dans les crevasses des
montagnes, quelques Negres qu'il avoit,
& d'autres Soldats de la milice du Roy
d'Espagne. Outre cela il prit avec luy
huit cens hommes de pied, disposez
en trois bataillons, & quelques cent à
six-vingts chevaux, tous en bataille, &
luy à leur teste, avec quatre pieces de
canon, lesquelles commencerent à tirer,
pour incommoder la descente de
Monbars, qui leur fit rendre la pareille
avec tout le canon de ses vaisseaux.

Tant s'en faut que les canonades des
ennemis fissent peur aux assaillans,
qu'au contraire elles ne firent qu'allumer
l'ardeur des Boucaniers & des Indiens:
car suivant l'exemple de Monbars,
qui tout le premier s'estoit jetté
à terre, ils y furent aussi-tost que luy,
en sorte que celuy qui se trouva le dernier
à se jetter s'estima le plus malheureux,
Ils furent tous en un moment en


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bataille & aux mains avec les ennemis,
qui eroyant les surprendre à demi débarquez,
avoient fait avancer un de
leurs bataillons, soûtenu de deux autres,
pour les charger avant qu'ils fussent
en ordre; mais les ennemis furent
eux-mesmes si brusquement chargez par
les Boucaniers, qu'à peine la salve des
mousquetades fut achevée, qu'ils eurent
à leur flanc Monbars avec tous
les Indiens, qui les enfonça. Ainsi le
premier bataillon des ennemis estant
renversé sur les deux autres, & poursuivi
chaudement, ils regagnerent la coste
plus viste qu'ils n'en estoient descendus;
& Monbars les ayant joints, en
fit un prodigieux carnage, penetra bien
avant dans le pays, le parcourant en
victorieux, & eut la satisfaction de
venger pleinement sur les Espagnols la
mort de son oncle, & le massacre des
Indiens.

Je ne finirois jamais, si j'entreprenois
de rapporter tout ce qu'a fait l'Avanturier
Exterminateur; aussi ne me
suis-je arresté, en parlant de ses actions,
qu'à celles qui m'ont frapé davantage,
& dont je me suis mieux ressouvenu:
car elles sont en trop grand nombre


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pour n'en pas oublier quelques-unes,
& pour les pouvoir dire toutes: & d'ailleurs
je ne veux point dissimuler que
je ne puis vaincre la repugnance que j'ay
à parler de ce dont je n'ay pas esté témoin.
Ce n'est pas que je ne croye ses
exploits veritables, mais enfin je ne les
ay pas vûs, & l'on sçait qu'on est toûjours
bien plus assuré en rapportant
les choses qu'on a veuës soy-mesme,
que celles que l'on a apprises des autres.