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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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 I. 
 II. 
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
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Chapitre VIII.
  
 IX. 
 X. 
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 XII. 
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Chapitre VIII.

Prise de la Riviere de la Hache par
les gens de Morgan.

LEs quatre Navires que Morgan
avoit détachez arriverent à la veuë
de la Riviere de la Hache six jours
aprés leur départ de l'Isle Espagnole,
où ils furent pris de calme; ce qui les
fit découvrir par les Espagnols, qui se
mirent aussi tost en défence, voyant
bien que ces quatre Navires avoient
quelque dessein, qui ne leur pouvoit
estre que tres-prejudiciable; si bien
qu'une partie d'eux travaillerent d'une
grande force à faire des retranchemens,
afin d'empescher les Avanturiers
de se mettre à terre, pendant qu'une
autre estoit occupée à cacher leurs biens
pour ne rien laisser dans le Bourg.

Ce calme dura jusqu'au soir, qui empescha
les Avanturiers d'approcher,


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Dans ce temps il vint un petit vent de
terre, dont un Navire qui estoit là
moüillé prit l'occasion d'échaper, mais
comme il n'estoit pas si bon voilier
qu'eux, ils le devancerent, & l'obligerent
à se rendre. Ce Navire leur vint
fort à propos, car il estoit chargé de
Maïs pour Cartagene, & fut reconnu
par quelques François: c'estoit celuy
que l'Olonois avoit pris chargé de
Cacao, & que Monsieur Ogeron avoit
envoyé en France avec sa charge, &
aprés son retour l'avoit donné à un
Avanturier nommé le Capitaine Champagne,
qui fut pris par les Espagnols,
qui depuis l'avoient vendu à ce mesme
Capitaine Marchand qui le montoit
alors. Il dit que c'estoit le douziesme
Perte considerable
d'un
Marchand.
Navire que les Avanturiers, tant François,
qu'Anglois luy avoient pris dans
l'espace de cinq années, & que nonobstant
toutes ces pertes il avoit encore
gagné cinq cens mille écus. On peut
juger par là s'il y a des gens riches dans
l'Amerique.

Aprés que nos Avanturiers se furent
saisis de ce Navire, ils vinrent moüiller
devant la Riviere de la Hache, vis
à vis du Bourg de la Rancheria, où ils


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esperoient le lendemain matin descen-
Les Avanturiers
descendent
à terre,
& combattent
les Espaguols.

dre à terre, ce qu'ils firent dés la pointe
du jour. Les Espagnols n'oublierent
rien pour les en empescher, s'estant retranchez
au bord de la mer: mais malgré
tous leurs efforts, les Avanturiers
à la faveur de leur canon mirent leur
monde à terre, & obligerent les Espagnols
à se retirer au Bourg, où ils
étoient aussi bien fortifiez, & dans la
resolution de leur en deffendre l'entrée.

Les deux parties s'opiniatrerent tellement,
que le combat dura depuis dix
heures du matin jusques au soir, où à
la fin les Espagnols ayant perdu beaucoup
de monde, furent obligez de se
retirer, & de prendre la fuite. Les Avanturiers
estant entrez dans le Bourg,
& n'y trouvant que les maisons vuides,
sans perdre de temps poursuivirent les
Espagnols, où ils en firent une partie de
prisonniers, à qui dés le lendemain ils
donnerent la gêne cruellement, pour
leur faire dire où estoit leur bien; aprés
ils furent en party, où ils prenoient
tous les jours de nouveaux prisonniers,
plusieurs Esclaves & quantité de pillage.
Les Espagnols pour se garantir de


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ces violences, firent des barricades par
les chemins, où ils se mirent en embuscade
pour se défendre, & faire autant
de mal aux Avanturiers qu'ils en recevoient,
& enfin les obliger à se retirer.

Aprés qu'ils eurent demeuré dans ce
Bourg un mois, & ne trouvant plus
rien à prendre, le Capitaine Bradelet
Anglois leur Commandant resolut de
partir, & fit avertir les Espagnols de
songer à payer rançon pour leur Bourg,
sinon qu'il le brûleroit; ils reçurent
cette proposition fort froidement, & la
rejetterent mesme avec mépris: mais
lors qu'ils le virent prest à l'executer, ils
demanderent à composer: les Avanturiers
qui venoient là plûtost pour avoir
des vivres que du butin, leur prescrivirent
de donner une certaine quantité
de Maïs, qui avec celuy qu'ils avoient
déja pris pouvoit suffire pour toute la
Flotte.

Remarque
importante.
On s'est apperceu, sans doute, que
je suis tombé dans quelques redites au
sujet des Avanturiers, & cela parce
qu'ils font souvent les mesmes choses,
ce qui peut-estre ne sera pas agreable;
mais l'on doit faire reflexion qu'il ne

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faut pas qu'un Historien craigne tant
d'estre ennuyeux, qu'il ne songe encore
davantage à estre fidele: C'est à quoy
je me suis appliqué dans cette Relation,
que je reprends pour dire, que Morgan
étonné que ces quatre Vaisseaux
tardoient si long-temps à venir, ne sçavoit
que soupçonner. Tantost il s'imaginoit
qu'ayant fait un grand butin
ils s'en seroient retournez à la Jamaïque,
tantost il craignoit qu'ils n'eussent
esté battus, à cause que le lieu où
Perplexité
de Morgan
ils estoient allez, pouvoit facilement
estre secouru de Cartagene & de Sainte
Marthe.

Enfin ne sçachant que juger d'un si
long retardement, il balançoit à prendre
des mesures pour un nouveau dessein,
dont il avoit déja fait quelques
ouvertures à ses meilleurs amis, & en
estoit venu jusqu'à le vouloir communiquer
à tous, & pour cela avoit fait
assembler le conseil, lors qu'on apper-

Retour des
Vaisseaux.
çut cinq Vaisseaux & une Barque. On
envoya à l'instant les reconnoistre; mais
comme ils avoient le vent favorable, ils
ne tarderent pas à tirer Morgan de peine
en arrivant auprés de luy. Aussitost
le Capitaine Bradelet luy rendit

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Page 114
conte de ce qui s'estoit passé: En mes-
Equité de
Morgan.
me temps Morgan donna ordre que le
Maïs fût partagé à toute la Flotte selon
la quantité de monde que chaque
Vaisseau contenoit: quant au pillage
on le donna à ceux qui avoient risqué
leur vie pour avoir ces vivres.

Le Navire que l'on avoit pris vint
fort à propos, car un Capitaine François
nommé le Gascon avoit perdu le
sien, & Morgan luy donna celuy cy
du consentement de tout le monde:
Enfin cette Flotte estant ainsi preste à
faire voile, Morgan marqua le rendezvous
au Cap Tibron, afin que si
quelqu'un estoit écarté de la Flotte par
quelque tempeste, il la pût joindre en ce
lieu.

Le Cap Tibron est la pointe de l'Occident
de l'Isle Espagnole, lieu trescommode
pour toutes sortes de Vaisseaux,
qui y peuvent prendre du bois
& de l'eau, choses necessaires, & sans
lesquelles on ne peut naviger.

Morgan fut le premier au rendezvous,
où il attendit sa Flotte qui y fut
aussi en peu de jours Il y vint encore
quelques Vaisseaux de la nouvelle
Angleterre, qui avoient armé à la Jamaïque,


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Page 115
dans le dessein de joindre Morgan,
lequel aprés avoir sejourné un peu
de temps au Cap Tibron, se vit Chef
d'une Flotte de trente sept Vaisseaux,
tant petits que grands, Celuy qu'il
avoit estoit le plus considerable, & monté,
comme je l'ay déja dit, de 24. pieces
de canon, & de huit Berges de fonte.
Tous les autres étoient montez
de 16. 14. 12. 10. jusques à quatre pieces
de canon, qui estoient les moindres.

On fit reveuë, & on trouva au
nombre de deux mille deux cens hommes
tous armez à l'avantage, & resolus
de se bien battre pour avoir bon pillage.

Aprés cette reveuë Morgan tint conseil
de guerre avec tous les Capitaines,
& les autres principaux Officiers, pour
resoudre quelle place on attaqueroit.
On en proposa trois, sçavoir, Panama,

Les Avanturiers
ne songent
point au
peril, mais au
butin.
Cartagene, & la Vera Crux, dans le
Golfe de neuve Espagne. On ne fit
point de reflexion sur les forces que
ces places pouvoient avoir, on ne songea
qu'à examiner s'il y avoit bien des
richesses, & au moyen de les avoir.

Dans cette contestation on trouva


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que Panama estoit celle dont la prise
seroit la plus avantageuse, parce qu'elle
estoit la plus riche des trois, supposé
que les Gallions du Perou fussent arrivez,
où l'on pourroit prendre l'argent
du Roy & des Genois, outre celuy des
particuliers; ce qui pourroit monter à
une somme considerable, & qui en valoit
la peine. Il ne faut que de semblables
motifs pour faire entreprendre à ces
gens-là des choses encore plus difficiles.

Enfin on arresta l'attaque de Panama,
& les moyens dont on se serviroit
pour y reussir, & on conclut de prendre
l'Isle de Sainte Catherine, pour
avoir des guides qui conduiroient l'armée
à Panama, parce que cette Isle
estant comme la galere des Indes du

Isle de Sainte
Catherine,
Galere des
Indes.
Roy d'Espagne, on y trouveroit des
Bandits releguez qui seroient bien-aises
de servir de guide, & de sortir ainsi de
l'esclavage.

Il faut avoüer que la fortune a plus
de part dans les entreprises des Avanturiers,
que leur bonne conduite; car
d'aller attaquer cette Isle, n'ayant d'autre
but que d'avoir un guide, c'estoit une
grande temerité, puisque si elle eust


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Page 117
voulu combattre, deffenduë comme
elle estoit par une bonne garnison, &
par l'avantage de ses Forts, elle auroit
pû défaire trois armées comme celle des
Avanturiers, ce que l'on connoistra assez
par la suite.

Aprés cela on fit la chasse-partie, &
on assembla tous les Capitaines pour
convenir ensemble de ce qu'on donneroit
à Morgan pour son Amirauté. On
proposa de luy accorder sur chaque

Ce qu'on
donna à Morgan
pour son
Amirauté.
cent hommes le lot d'un homme. Cela
fut publié par toute la Flotte, dont
on demeura content. Aprés tous les
Officiers convinrent en leur particulier
de ce qu'on donneroit à chaque Capitaine
pour son Vaisseau, qui furent,
huit, dix, douze lots, ou parts d'hommes,
selon que le Vaisseau estoit grand,
outre son lot encore avec les autres.

On fit aussi un compromis pour recompenser
ceux qui se signaleroient;
& comme il se trouve des curieux qui
ne veulent rien ignorer, c'est pour les
satisfaire que j'insere icy cette chassepartie,
contenant quelque chose de plus
particulier que celles qu'on a déja veuës,
ainsi qu'on le va connoistre par les articles
suivans.


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Page 118

Chasse-partie remarquable.

Celuy qui osteroit le pavillon ennemy
d'une Forteresse pour y arborer le
Pavillon Anglois, auroit outre sa part
cinquante piastres.

Celuy qui prendroit un prisonnier
lors qu'on voudroit avoir des nouvelles
de l'ennemy, auroit, outre son lot,
cent piastres.

Les Grenadiers auroient pour chaque
grenade qu'ils jetteroient dans un
Fort, cinq piastres outre leur part.

Quiconque prendroit un Officier de
consideration dans un combat, y risquant
sa vie, seroit recompensé selon le
merite de l'action.

Dans ces mesmes articles on n'y avoit
pas oublié les estropiez.

Celuy qui auroit perdu les deux
jambes, recevioit quinze cens écus, ou
quinze Esclaves, au choix de l'estropié,
en cas qu'il y eust assez d'Esclaves.

Celuy qui auroit perdu les deux
bras, auroit dix-huit cent piastres, ou
dix-huit Esclaves, au choix de l'estropié,
comme on l'a dit.

Celuy qui auroit perdu une jambe,


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sans distinction de la droite ou de la gauche,
auroit cinq cent piastres, ou six
Esclaves.

Celuy qui auroit perdu une main ou
un bras, sans distinction du droit ou
du gauche, auroit cinq cens écus, ou
six Esclaves.

Pour la perte d'un œil, cent piastres,
ou un Esclave, au choix de l'estropié.

Pour la perte des deux yeux, deux
mille piastres, ou vingt Esclaves, au
choix de l'estropié.

Pour la perte d'un doigt, cent piastres,
ou un Esclave, le tout au choix
de l'estropié.

En cas qu'une partie ou membre fust
estropié, tellement que la personne ne
s'en pust aider, il auroit la mesme recompense
que si ce membre avoit esté
emporté ou coupé.

En cas que quelqu'un fust blessé au
corps, & obligé de porter la canule, il
auroit cinq cent piastres, ou cinq Esclaves,
à son choix.

On devoit recevoir toutes ces recompenses
outre la part ordinaire de l'estropié,
& ces recompenses devoient estre
prises sur le total du butin avant que de
le partager. On insera aussi dans ce compromis,


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qu'en cas qu'on prist quelque
vaisseau, fusse en mer, ou dans un havre,
on devoit le partager à toute la
Flotte, hormis que s'il estoit estimé
plus de dix mille écus, il y en auroit
mille pour le premier vaisseau de la
Flotte qui l'auroit abordé, & de chaque
dix mille écus que le vaisseau pourroit
valoir, celuy qui l'auroit pris en
auroit mille écus d'avance à partager entre
son Equipage seul.

Chaque Equipage promit au Chirurgien
& au Charpentier une recompense;
à l'un pour ses remedes, & à l'autre
pour son travail; sçavoir au premier
deux cent piastres outre son lot; & au
dernier cent outre son lot.

Le tout estant ainsi reglé, & chacun
satisfait, Morgan delivra des Com-

Commissions
accordées
par Morgan
aux Capitaines
de sa
Flotte.
missions aux Capitaines qui n'en avoient
point: elles estoient données en vertu
de celle que le General de la Jamaïque
avoit accordée à Morgan pour prendre
sur les Espagnols par droit de represailles,
parce qu'ils s'emparoient de tous
les navires Anglois, qui estoient obligez
d'entrer dans leurs ports de l'Ameique.
Aprés il se fit reconnoistre de
ous comme Amiral & General, fit

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Page 121
prêter le serment de fidelité, & partagea
sa Flotte en deux escadres sous deux
differens pavillons; une sous le pavillon
Differens
pavillons
Avanturiers.
Royal d'Angleterre, qu'il portoit au
grand mats; & l'autre sous le pavillon
blanc, quoy qu'Anglois.

Ceux qui estoient de son Escadre,
portoient derriere un pavillon rouge
avec une croix blanche, qui est le pavillon
du Parlement; & sur le Beaupré,
le pavillon Royal meslé de trois couleurs,
sçavoir bleu, blanc & rouge.
Ceux qui estoient de l'Escadre blanche,
portoient derriere un pavillon blanc
avec quatre petits carreaux rouges à un
des coins; & sur le Beaupré, le pavillon
Royal, comme j'ay dit. Morgan
crea aussi des hauts Officiers, qui commandoient
ces Escadres; comme un
Amiral du pavillon blanc, deux ViceAmiraux,
& deux Contre-Amiraux.
Quoy que ces Dignitez ne fussent
qu'honoraires, ceux qui les avoient, ne
laissoient pas d'estre obligez & soûmis à
Morgan. Outre tout cela il y avoit des
ordres pour chaque vaisseau particulier,
en cas de combat, ou de nuit, ou dans

Signal en
cas de combat.

un mauvais temps. Il y avoit encore un
signal particulier, auquel chaque vaisseau

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se devoit mettre & ranger à son devoir,
comme on fait ordinairement en
Europe dans les Flottes de consequence.
Tout estant ainsi ordonné, Morgan
commanda qu'on se tinst prest à lever
l'ancre, & au premier signal, de
mettre à la voile.