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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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Chapitre VII.
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Chapitre VII.

Description du Vigogne. Droits qui se
levent, tant sur sa laine, que sur
d'autres choses.

LAna Vicua, c'est la laine du Vigogne,
qui est une des meilleures
Marchandises qui viennent du Perou;
& je quitte un moment le manuscrit,
pour faire la description de cet animal,
qu' on sera bien aise de connoistre à
cause de sa grande utilité.

Le Vigogne est de la grandeur d'une
Chévre, & a la figure d'une Brebis;
sa laine est brune, & meslée souvent
d'espace en espace de petites taches blanches:
il y en a quelquefois qui l'ont
de couleur cendrée. Ces animaux se
rencontrent par troupes dans les montagnes
du Perou; mais outre que leur
laine est tres-profitable, on trouve encore
dans leur estomach la pierre de Be-

Ce que c'est
que la pierre
de Bezoar,
où & dequoy
elle s'engendre.

zoar, autrefois si estimée chez les peuplesde
l'Europe, & qui l'est encore beaucoup
parmi les Espagnols: Cette Pierre
s'engendre dans le corps de ces animaux,

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par l'usage d'une certaine herbe
qui croist sur les montagnes du Perou,
& qui leur sert de nourriture.

Le Roy d'Espagne voyant que cette
laine estoit si necessaire pour les
beaux Ouvrages de Manufacture, comme
draps, chapeaux, & autre chose,
jugea à propos qu'on en permît le transport
dans les païs Etrangers, & qu'on
établist un droit dessus: ce qui a esté
executé; mais les fraudes qui se commettent
dans ce genre de commerce,
font qu'il n'en revient presque rien au
Roy: car on les fait passer en mattelats,
& en tant de manieres cachées,
que bien qu'il s'en transporte toûjours
beaucoup, il ne s'en declare pourtant
que tres-peu.

Le Roy ordonna encore qu'on ap-

Vigognesa pportez
en Esgne
n'ont
sceu peupler.
portast de ces Vigognes en Espagne, afin
de les faire peupler sur les lieux, mais
ce climat se trouva si peu propre à ces
animaux qu'ils y moururent tous. Ie reprends
le manuscrit.

Comme le vin & l'huile qui se consomment
dans l'Amerique sont tirez
d'Espagne, & qu'ils rapportent de
grands revenus au Roy, à cause des
droits qu'on y a imposez; on a trouvé


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bon de défendre absolument de planter
des Vignes & des Oliviers dans les
Indes; mais s'en estant trouvez beaucoup
de plantez dans le Perou, avant
cette défense, en sorte que ce Royaume
ne prend ny vin ny huile chez les
Espagnols. On a imposé deux par cent
sur tout ce qui se fait de vin & d'huile
Papier timbré
de l'Amerique.

dans le païs.

On a imposé aussi un droit sur le papier
dans l'Amerique, que l'on a fait
timbrer comme en Espagne, afin d'éviter
toutes les fraudes qui pourroient
se commettre aux obligations, & autres
actes d'importance; & le Roy a ordonné,
que personne ne pourroit faire, ny
vendre de ce papier dans les Indes qui ne
fust timbré, ny passer publiquement aucuns
écrits, qu'ils ne fussent sur ce
papier; faisant distinction des timbres
selon la consequence de la chose: comme,
par exemple, le premier timbre
d'une feüille vingt-quatre reales, & le
second d'une feüille, six reales. Le premier
timbre d'une demie feüille, une
demie reale, & le second à proportion.

Le poivre est aussi affermé, & est
donné au plus offrant; mais le piment
est là en si grande quantité, qu'on y


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consume fort peu de poivre.

Le Pape Alexandre VI. donna au

Dixmes Ecclesiastiques

de l'Amerique
accordées
par le Pape
au Roy d'Espagne.

Roy d'Espagne toutes les dixmes Ecclesiastiques
des Indes, à condition
qu'il feroit bastir des Eglises, instruire
les Sauvages dans la Religion Catholique,
Apostolique & Romaine. Ce qu'il
a ponctuellement executé, laissant pour
ce sujet le dixiesme accordé par sa Sainteté,
& ne se reservant que le dix-huitiesme,
répondant aux droits d'Espagne;
de sorte que les revenus de tous
les Eveschez ont esté partagez, & employez
comme on a dit. L'Evesque
tire la moitié du revenu, & le reste est
partagé en neuf parties, dont le Roy en
prend deux, les Eglises & les Hôpitaux
trois, & les Curez les quatre restantes,
dont ils sont obligez de donner
le huitiesme au Sacristain.

Le dixiesme de tous les Archeveschez
& Eveschez remis par sa Sainteté,
venant à vacquer retourne au Roy,
comme proprietaire de ces biens: & les
deniers qui en proviennent, assemblez
& mis dans son Epargne, pour aprés
estre partagez par son ordre en trois
parties: la premiere desquelles va à l'Evesque
qui entre en possession du Benefice,


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la seconde à l'entretien des Eglises,
& la troisiesme aux pauvres. Cette
troisiesme partie est apportée en Espagne
sans estre mise dans les coffres du
Roy, afin d'y estre ensuite distribuée à
ceux que l'on trouve à propos.

Le droit de
la Bulle de la
Croisade,
pourquoy un
des plus
grands revenus
du Roy
d'Espagne.
Le droit de la Bulle de la Croisade
est un des plus grands revenus que le
Roy d'Espagne tire de l'Amerique,
comme chacun est libre de le payer,
chacun donne plus qu'on ne luy demande,
afin de montrer le zele que
l'on a de s'attirer la benediction de sa
Sainteté. Il y a encote une Bulle de
composition accordée par le Pape, à
tous ceux qui donneront douze reales,
lesquels auront l'absolution de trente
ducats des biens qu'ils possedent, qui ne
sont pas à eux, & ne sçachant pas à qui
ils appartiennent. Ces Bulles se distribuent
tous les deux ans. Il y en a de
quatre piastres pour les Archevesques,
les Evesques & les Abbez Il y en a de
deux piastres pour les Inquisiteurs &
pour les Curez. Il y en a d'une piastre
pour les Prestres & pour les Laïques.

Le droit de Nejada, ou droit de table,
a esté établi sou tous les Benefices,
& est demeuré jusqu'à ce que le droit


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de Media-Anata eust esté mis, lequel
est seulement resté sur les Eclesiastiques,
depuis l'Archevesque jusqu'au
simple Prestre. Ce droit fut accordé à
Philipe III. par Urbain VIII. en
1626. pour le temps de quinze années,
lequel temps expiré Innocent X l'a
continué & authorisé, à condition que
ce revenu seroit employé à faire la guerre
aux Infideles, Tous ces droits sont
payez & assemblez à un mois prés du
terme, & on le compte sur le pied
qu'on les a reçûs cinq ans auparavant.

Le droit de Media Anata se paye
en deux termes & se prend sur la moitié
des revenus du Benefice pendant une
année, dont une partie se paye contant,
& l'autre un an aprés. Il y a encore
plusieurs Reglemens, & sortes de faveurs
& de graces qui concernent ce
droit, si bien que cela est un revenu
tres-important à la Couronne, & rend
mesme plus que ne fait toute l'Espagne.

Afin que tous ces droits & ces revenus
soient reçûs avec fidelité & avec
certitude, & mis dans l'Epargne du
Roy, on a commis dans chaque Province
des Officiers Royaux tirez de la


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Chambre des Comptes, & ces Officiers
ont leur Substitut dans les lieux où
ils ne peuvent aller en personne. Outre
ces principaux Officiers, il y a encore un
Facteur, pour avoir soin de voir & de
remarquer toutes les Marchandises sur
lesquelles on peut profiter; un Procureur
Fiscal pour avoir soin des vivres
& des munitions de guerre, tant par
mer que par terre, un Ecrivain du
Roy, qui a soin d'écrire tous les ordres
qu'on envoye par toutes les Provinces,
& de tenir Registre des Mines
& des Navires. Il y a aussi d'autres Officiers
qu'on nomme Teneurs de Livres
qui pour le soulagement du public
tiennent Registre de tout ce qui
entre & sort, afin d'en informer leurs
Superieurs. Tout cela pour faire une
recepte exacte de tous les revenus du
Roy, aprés quoy on assemble tout ce
qui doit chaque année estre embarqué
pour l'Espagne dans les Gallions du
Roy, tant pour son compte que pour
celuy des particuliers: ce qui se monte
à plus de cinq cent cinquante millions
de marcs d'or & d'argent, qui se trouvent
enregistrez dans la Chambre des
Comptes du Conseil Royal des Indes,

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sans y comprendre ce qui vient qui n'est
pas enregistré; car il est certain que la
troisiesme partie de l'or, de l'argent &
des autres richesses qui viennent des Indes,
ne l'est pas. Cependant on compte
d'enregistré de la montagne de Potosi
seule, depuis 1545. jusques en 1667.
trois cent millions de marcs d'argent;
tout ceci encore sans compter les pierres
precieuses, comme rubis, granats,
émeraudes, agathes, bezoar & autres
choses de grande valeur, sans compter
encore, le corail, la cocenille, l'indigot,
le sucre, le tabac, l'ambregris,
le bois de campesche, les cuirs, la casse
fistulée, le cacao, de quoy on fait le
chocolat.

Enfin, les revenus ordinaires que le

A quoy se
montent les
revenus que
le Roy d'Espagne
tire de
l'Amerique.
Roy d'Espagne tire de l'Amerique se
montent à cinq millions deux cent cinquante
mille livres de nostre monnoye,
ce qui se doit entendre franc & quitte
de tous frais. Et bien que ces revenus
du Roy soient fort considerables, l'on
peut dire qu'ils le seroient infiniment
davantage, si ses Sujets ne le fraudoient
point.

Aprés le dénombrement de tout ce
qui est sous la domination du Roy d'Es-


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Page 374
pagne dans l'Amerique, on peut voir
dans la suite ce que les plus grands Monarques
de l'Europe y possedent.