University of Virginia Library

Search this document 
Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

collapse section 
 I. 
 II. 
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
collapse sectionVIII. 
  
 IX. 
 X. 
Chapitre X.
collapse sectionXI. 
  
 XII. 
collapse section 
 I. 
 II. 
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
collapse section 
  
collapse section 
 I. 
 II. 
collapse sectionIII. 
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
collapse section 
 I. 
 II. 
collapse sectionIII. 
  
  
  
  
collapse section 
 I. 
 VII. 
 VIII. 

  
  

Chapitre X.

La prise du Fort de S. Laurent.

MOrgan avoit détaché, comme
j'ay dit, quatre vaisseaux de sa
Flotte, pour aller prendre Chagre. Ces
vaisseaux estoient commandez par le
Capitaine Bradelet, qui avoit beaucoup
d'experience pour de semblables entreprises.
Trois jours aprés son départ de


136

Page 136
l'Isle de Sainte Catherine, il arriva à la
veuë du Fort de S. Laurent.

Ce Fort est à l'embouchure de la

Fort de S.
Laurent.
Riviere de Chagre, & bâti sur une
montagne haute, & large environ de
trente toises, tout autour escarpée de
roches, & accessible seulement du costé
de la terre, où elle est coupée par un
fossé sans eau de six toises de profondeur.
Ce Fort a un Parapet d'une toise
de haut. On y entre par le moyen d'un
pont-levis; il y a des casemates qui empêchent
l'accés du fossé & des palissades.

Il y a en haut plusieurs batteries de
canon qui donnent de tous costez, accompagnées
de plusieurs corps de garde.
On trouve un degré entaillé dans le
roc, par lequel on descend sur le bord
de l'eau, où l'on voit deux autres batteries
couvertes & flanquées à fleur
d'eau. Sur le bord de la mer, au bout
de la montagne qui compose le Fort,
est une Tour presque aussi haute que
la montagne, sur laquelle il y a huit
pieces de canon qui défendent l'entrée
de la Riviere.

De cette Tour on passe au Fort par
un degré secret fait en Vignoc. Les


137

Page 137
maisons qui sont en haut dans le Fort,
ne sont faites que de palissades, & couvertes
de feüilles de Palmistes. Les magasins
aux poudres, & autres munitions
de guerre, sont dans des voûtes
sous terre, qu'on a faites exprés dans la
montagne. Je ne diray rien davantage
de ce Fort, parce que l'on en peut voir
la situation dans la Carte que je donne
de l'Istume de Panama.

Les Espagnols ayant aperceu ces vaisseaux,
commencerent à mettre le pavillon
Royal, & à canoner d'une terrible
maniere. Les Avanturiers furent
moüiller à un quart de lieuë de cette
Riviere, au port de Naranjas, où ils
demeurerent jusques au lendemain matin,
qu'ils mirent quatre cens hommes
à terre, pour estre conduits par l'Indien
que j'ay dit, qui estoit leur guide.

Il les mena par l'endroit le moins perilleux
& le plus accessible. Ils ne pouvoient
pas manquer, n'y ayant que celuy
par où ils alloient; cependant ils
eurent beaucoup de peine le long du
chemin; car il y avoit en ce lieu où
ils descendirent, une Vigie qu'ils ne

Route que
se font les
Avanturiers
purent prendre, & ne laisserent pas de
se faire une route avec leurs sabres, &

138

Page 138
à coups de sabre.
Ils trouvent
un Fort
au bruit du
canon.
furent jusques à deux heures aprés midy
pour arriver au Fort, quoy qu'il n'y
eust pas plus de demie lieuë; & ils ne
l'auroient pas facilement trouvé, si le
bruit du canon ne les avoit fait juger
que le Fort estoit situé à l'endroit d'où
venoit ce bruit.

A la fin ils se trouverent sur une petite
montagne élevée au dessus du Fort
d'où ils avoient entendu tirer du canon.
Ils auroient pû facilement le battre
& s'en rendre maistres sans perdre
un seul homme; car de cette éminence
ils découvroient tout ce qui se passoit
dans le Fort; mais en estant éloignez
plus que de la portée du fusil, ils ne
pouvoient rien faire, encore moins y
apporter du canon.

Les Espagnols qui les apercevoient,
ne branlerent pas pour cela, & les voulurent
laisser approcher, afin de faire
plus d'expedition: si bien que nos Avanturiers
fort fatiguez descendirent dans
une petite Plaine découverte, & se trouverent
ainsi sous le canon des Espagnols,
qui leur en envoyerent une volée, &
firent ensuite une décharge de toute
leur mousqueterie; ce qui causa bien
du fracas parmi les Avanturiers, qui ne


139

Page 139
pouvoient rendre le change aux Espa-
Terrible
effet du canon
des a
gez.
gnols, parce que le fossé leur empêchoit
de gagner la palissade. Tout ce
qu'ils pouvoient dans cette occasion
estoit de tuer les Espagnols qui viendroient
charger le canon: mais lorsque
malgré leurs efforts ils le faisoient joüer,
tout le recours des Avanturiers estoit
de se jetter par terre pour s'en garantir.

Cela dura de cette sorte jusqu'au soir;
les Avanturiers avoient déja beaucoup
de blessez & de morts, & commençoient
à se ralentir, & à vouloir se retirer,
lorsque les Espagnols, qui les
voyoient dans ce desordre, leur crierent,
Ah, chiens d'Heretiques, Anglois
endiablez, vous n'irez pas à Panama
comme vous le croyez; & quand
vos camarades seront icy, nous leur en
ferons autant qu'à vous.
Ces paroles firent
connoistre aux Avanturiers qu'ils
estoient découverts; & cependant les
Espagnols les chargeoient à coups de
canon, de mousquets & de fléches, car
ils avoient aussi des Indiens avec eux,

Extremité
des assiegeãs.
qui blessoient plus de monde avec leurs
fléches, que les Espagnols avec leurs
mousquets.

Enfin la nuit venoit, & les Avanturiers


140

Page 140
commençoient à lâcher pied, &
à se demander les uns aux autres ce
qu'ils devoient faire; une partie même
s'estoit déja retirée, le Commandant
avoit les deux jambes cassées d'un coup
de canon. Mais lorsque les François parloient
ensemble du mauvais succés de
cette entreprise; une fléche vint tout à
coup percer l'oreille & l'épaule à l'un
d'eux, qui l'arracha sur le champ de
sa playe avec une fermeté admirable,
disant à ceux qui estoient prés de luy,
Accident
qui fait changer
les choses
de sace.
Attendez, mes freres, je m'en vais
faire perir tous les Espagnols avec cette
fléche.
A l'instant il tira de sa poche
plein sa min de coton, qu'il noüa au
bot de ce te fléche, y mit le feu, &
aprés en avoir rompu le fer, enfonça la
Expedient
qui reüssit.
cane da is son fusil, & la tira sur une
maison du Fort, qui, comme j'ay déja
dit, ne sont couvertes que de feüilles
de Palmistes. Cela commença à fumer;
les autres s'en apercevant, ramasserent
des fléches, & firent la mesme chose;
ce qui produisit un si bon effet, que
plusieurs maisons du Fort furent enflammées.

Presque en mesme temps je fus frapé
de l'objet le plus digne de compassion


141

Page 141
qu'on verra peut-estre jamais: un camarade
que j'aimois, se presenta à moy dans
un état déplorable; il avoit une fléche
enfoncée bien avant dans l'œil; ce mal-
Objet Pitoyable.

heureux répádant une prodigieuse quantité
de sang de son œil blessé, & autant de
larmes de celuy qui ne l'estoit pas, me
prioit avec instance de luy arracher cette
fléche qui luy causoit beaucoup de douleur;
& comme il vit que la pitié m'empeschoit
de le secourir assez promptement
il se l'arracha luy-mesme. Aprés le
bon succés dont j'ay parlé, nos gens sentant
brûler leur cœur d'un feu plus ardent
que celui qu'ils venoient d'allumer,
firent revenir ceux qui s'estoient retirez,
les animerent, & se rallierent avec eux;
& estant cachez à la faveur de la nuit,
les Espagnols ne tiroient plus si seurement
que de jour, outre que la lumiere
des maisons qui brûloient, les empeschoit,
& servoit aux Avanturiers,
qui à la lueur de cet embrasement,
voyoient agir les Espagnols, & en
tuoient autant qu'il en paroissoit: le feu
prit aussi à leur poudre, ce qui leur nuisit
beaucoup, & servit à leurs ennemis;
mais ils ne trouvoient point encore
moyen d'entrer dans ce Fort.


142

Page 142

Quelques-uns d'eux s'aviserent de
faire une bréche de cette maniere. Plusieurs
se coulerent dans le fossé, & mon-

Courage &
effort des
Avanturiers.
tant l'un sur l'autre jusqu'à ce qu'ils
pussent atteindre la palissade: ils y mirent
le feu qui reüssit bien: car aussitost
que les pieux furent enflammez,
ils brûloient aussi viste que les matieres
les plus combustibles.

Les Espagnols s'en estant aperceus,
jetterent dans le fossé quantité de pots
à feu qui consumoient beaucoup d'Avanturiers
avant qu'ils se pussent retirer.
D'autre costé les Espagnols estoient
occupez à éteindre le feu qui avoit pris
au Fort, & qui augmentoit toûjours,
quelques efforts qu'ils fissent pour en
empescher les progrez; & par malheur
il faisoit un furieux vent qui le portoit
par tout. La palissade brûloit aussi d'une
grande force.

Cependant les Avanturiers ne perdoient
rien de ce qui se passoit; & sitost
que quelque Espagnol paroissoit à
la lueur du feu, ils ne manquoient pas
de l'abattre. Cela leur donna courage,
& une assurance certaine de prendre le
Fort. Le jour estant venu, les pieux
de la palissade, qui servoient de gabion


143

Page 143
& de parapet, se trouverent consumez,
& la terre qu'ils soûtenoient tomba
tout d'un coup dans le fossé. Neanmoins
les Espagnols ne laisserent pas de
Vigoureuse
resistance des
Espagnols.
tenir toûjours bon sans quitter la bréche
qu'ils défendoient vaillamment:
leur Commandant les faisoit battre jusques
dans le feu qui les gagnoit; & n'étant
plus couverts, autant qu'il en venoit
à cette bréche, ils estoient tuez &
tomboient dans le fossé; si bien qu'ils
furent ensin contraints de l'abandonner.

Ce que voyant les Avanturiers, ils

Les Avanturiers
montent
à la bréche,
& vont
attaquer leurs
ennemis retranchez.

y monterent aussi tost, & furent chercher
les Espagnols, qui s'estoient retranchez
dans quelques Corps de garde,
où ils avoient du canon, & se
battoient encore. On offrit de leur donner
quartier, mais ils n'en voulurent
point; le Commandant même se fit tuer
sans jamais vouloir se rendre. Quelquesuns
desesperez, & craignant de tomber
dans les mains de leurs ennemis, se precipiterent
& moururent.

De cette maniere les Avanturiers se

Prise du
Fort.
virent inopinément maistres de ce Fort,
par le moyen du feu, sans lequel ils
n'auroient pû l'esperer, quand mesme

144

Page 144
ils y seroient venus avec toute leur Flotte.
Ils ne trouverent que quatorze hommes
en vie dans ce Chasteau, & neuf
ou dix blessez, cachez dans des trous
parmi les morts. Ces gens dirent qu'ils
estoient le reste de trois cens quatorze
hommes qui défendoient ce Fort, &
que le Commandant se voyant ruiné
par le feu, avoit dépesché quelquesuns
pour donner avis au President de
Panama de ce malheur, afin qu'il se
tinst sur ses gardes, & qu'il s'en garantist.

Avis que
dõnent quelques
prisonniers.

Ces prisonniers ajoûterent que depuis
six semaines on avoit receu nouvelle
de Cartagene, qu'un Irlandois
ayant esté pris parmy une troupe de voleurs
Anglois venus pour piller la riviere
de la Hache, avoit dit qu'il se formoit
une Flotte considerable pour aller
à Panama, & que ceux-cy n'estoient
venus à la Riviere de la Hache qu'à
dessein d'avoir des vivres pour leurs
vaisseaux.

Il estoit vray qu'un Irlandois avoit eu
la lâcheté d'abandonner les Avanturiers,
& d'aller avertir les Espagnols de leur
venuë; mais il ne sçavoit pas leur principal
dessein, qui estot d'attaquer


145

Page 145
Panama. Les prisonniers firent encore
entendre que le President de Panama
s'estoit fortifié sur la riviere de Chagre,
en cas que le Fort fust pris; qu'il y
avoit plusieurs embuscades d'Espagnols
que les Avanturiers ne pouvoient jamais
éviter; que luy mesme estoit dans
une campagne proche de Panama, avec
deux mille hommes d'infanterie, quatre
cent hommes de cavalerie, & six
cent Indiens, avec deux cent Mulatres,
qui chassoient deux mille Taureaux
destinez pour rompre les troupes des
Avanturiers, & enfin les tailler en pieces.

Aussi-tost que les Avanturiers se fu-

Soins des
Avanturiers
aprés leur victoire.

rent emparez du Fort, ils songerent à
mettre leurs blessez dans un lieu où ils
pussent reposer à leur aise, & y estre
pensez par les Chirurgiens, qui n'avoient
fait qu'appliquer un simple appareil
à leurs blessures, pour étancher
le sang, encore ne l'avoient-ils fait qu'à
ceux qui en avoient de grandes. On ne
trouva point de lieu plus commode
que la Chapelle pour les mettre. Il y en
avoit soixante qui ne pouvoient se lever,
sans ceux qui marchoient portant
le bras en écharpe, ou ayant la teste

146

Page 146
bandée. Ils jetterent tous les Espagnols
qui estoient morts, du haut en bas du
Fort, & les cadavres des Anglois &
François furent mis dans de grands trous
qu'on fit faire par des Esclaves & par
des Espagnols qui estoient restez. Quelques
femmes aussi Esclaves furent employées
à solliciter les blessez.

Les Avanturiers firent reveuë entr'eux,
pour sçavoir combien d'hommes
ils pourroient avoir perdus. Ils trouverent
que le nombre des morts se
montoit à cent dix, & celuy des bles-

Visite & rérablissement

du Fort.
sez à quatre-vingt. On rétablit le Fort
& la Bréche le mieux qu'il fut possible,
afin de se mettre en défense, en
cas que les Espagnols vinssent pour le
reprendre avant la venuë de Morgan.

On y trouva quantité de munitions,
tant de guerre que de bouche, que l'on
mit en ordre, & on tâcha de les bien
conserver à cause qu'il n'y en avoit pas
beaucoup sur la Flotte, & en suite on
fit entrer les Vaisseaux dans la Riviere.

Occupation
de Morgan
dans l'Isle de
Sainte Catherine.

Morgan qui estoit resté sur l'Isle de
Sainte Catherine, quatre jours aprés le
départ des Vaisseaux dont je viens de
parler, fit faire diligence aux autres qui

147

Page 147
estoient restez avec luy, & leur ordonna
de s'embarquer avec leurs vivres, &
tous les prisonniers qu'il partagea sur les
Bâtimens de la Flotte, chacun selon sa
grandeur.

Dom Joseph Ramirez de Leiba, qui
estoit Gouverneur de cette Isle au nom
du Roy d'Espagne, & qui commandoit
la garnison, fut mis sur le Navire
de Morgan avec ses principaux Officiers,
leurs femmes & leurs enfans:
Morgan fit aussi encloüer le canon des
Forts & le jetter à l'eau, toutefois en
des lieux où l'on pût le repescher, parce
qu'il vouloit revenir prendre possession
de cette Isle; en cas que son dessein
ne réussit pas, il eut soin de faire
aussi brûler tous les affuts, les maisons
de l'Isle, excepté l'Eglise & les
Forts, où l'on ne toucha point.

Aprés cette destruction toute la Flotte
leva l'ancre, & fit voile vers la terre
ferme. Le lendemain il survint un mauvais
temps qui la dispersa; mais comme
tout le monde sçavoit le rendezvous,
chacun s'y trouva, quoy qu'en
des temps differens; car les derniers
arriverent quatre jours aprés les premiers,
& tous ensemble dix jours aprés la
prise du Fort.


148

Page 148

Départ &
joye de Morgan.

Morgan avec son Vaisseau estant à la
veuë du Fort, & y appercevant le pavillon
du Roy d'Angleterre, eut une
telle joye, qu'il voulut entrer dans la
Riviere avant que de reconnoistre s'il
n'y avoit point de peril, & sans mesme
attendre un Canot qui venoit au devant
de luy, pour l'avertir qu'à l'entrée de
cette Riviere il y avoit un rocher caché
sous l'eau. Il ne manqua pas d'y toucher,
luy & un autre Vaisseau: & dans
le temps qu'il vouloit se retirer, il survint
un vent du Nord qui éleva la mer,
Chagrin qui
se mesle à sa
joye.
& fit crever son Navire qui échoüa,
sans toutefois perdre un seul homme.

Morgan estant entré dans la Riviere
de Chagre avec toute sa Flotte, employa
les prisonniers de l'Isle Sainte Catherine
à travailler au rétablissement du
Fort, faisant reparer tout ce que le feu
avoit consommé, horsmis les maisons;
au contraire, il en fit abatre qui estoient
restées, de peur que ce qui estoit arrivé
aux Espagnols, n'arrivast à luymesme;
c'est à dire, qu'on ne se servist
pour les brûler, du mesme moyen
qu'avoient fait les siens. Aprés il visita
les vivres, les munitions de guerre, fit
la reveuë de son monde, ordonna ceux


149

Page 149
qui devoient rester pour garder le Fort,
Son arrivée
au Fort, &
ses precautions.

& ceux qui devoient aller à Panama.

On avoit trouvé deux petits Bâtimens
à plat-fond faits exprés pour naviger
sur cette Riviere; cinq ou six
hommes montent dessus & poussent de
fond, ils peuvent avoir soixante pieds
de long, & vingt-cinq de large: Morgan

Ordre que
donne Morgan.

commanda d'y mettre quelques pieces
de canon, & quelques berges de
fonte, avec autant de monde qu'ils en
pouvoient contenir. Il en fit mettre
aussi sur deux petites Fregates legeres,
dont une avoit quatorze pieces de canon,
& l'autre huit, & le reste dans
des Canots. Tout estant ainsi ordonné,
il laissa cinq cent hommes dans le
Fort de Saint Laurent, dont il donna
le commandement au Capitaine Maurice,
laissa 150. hommes sur les Vaisseaux
pour les garder, & en prit avec
luy treize cent des mieux armez, &
des plus robustes à soussrir la fatigue.

Cependant les prisonniers Espagnols
avoient donné l'épouvante aux Avanturiers,
disant que le President de Panama
avoit esté averti prés de deux
mois auparavant, & s'estoit tellement
precautionné, qu'il n'y auroit point


150

Page 150
d'apparence de rompre ses forces & de
Diversité de
pensées.
le deffaire. D'ailleurs, comme il y a
des superstitieux par tout, il se trouvoit
des gens parmi les Avanturiers
mesme, qui tiroient mauvais augure
de ce que Morgan avoit perdu son Navire
en entrant dans la riviere de Chagre,
& qu'il y avoit pery tant de monde
à l'attaque du Fort. Ils estoient encore
i timidez à cause des embuscades
qui se pourroient rencontrer sur la Riviere,
& qu'il faudroit essuyer. Les
plus courageux au contraire se consoloient
de cela, disant que si les Espagnols
tenoient bon, c'estoit le meilleur,
& une marque certaine qu'il y auroit
bon butin. Voilà ce qui se passoit alors,
& comme les sentimens estoient partagez
entr'eux.