University of Virginia Library

Search this document 
Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

collapse section 
 I. 
 II. 
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
 VII. 
 VIII. 
 X. 
Chapitre X.
 X. 
 XI. 
 XII. 
 XIII. 
collapse section 
 I. 
collapse sectionII. 
  
  
collapse sectionIII. 
  
 IV. 
collapse sectionV. 
  
 VI. 

  

Chapitre X.

Maniere de preparer le Chocolat,
& d'en user.

LEs Espagnols prennent les grains
du Cacao, les font rostir dans une
poële percée, comme on fait les marrons
en Europe; aprés ils en ostent la
petite peau qui est dessus, les mettent


96

Page 96
sur une pierre & les broyent, jusques
à ce qu'ils soient reduits en paste, à laquelle
ils ajoûtent deux fois autant de
sucre, avec du poivre & de la Banil-
Composition
du Chocolat.
le, du Musc, de l'Ambre-gris. Aprés
qu'ils ont bien meslé toutes ces choses
avec cette paste, ils en font des Rouleaux,
ou de petits pains qu'ils gardent;
& quand ils s'en veulent servir, ils rapent
de ces rouleux comme on fait de
la muscade; en suite ils mettent de
l'eau chauffer dedans des pots de cuivre
ou d'argent qu'ils ont exprés. Cela
fait ils la versent dans des tasses de
Fayance, de Porcelaine, ou de Coco, qui
Maniere d'en
user,
ne servent qu'à cet usage. Ils ont un
petit morceau de biscuit tout prest
qu'ils trempent dedans. Voila de la
maniere qu'ils le preparent, & qu'ils en
usent.

Proprietez
de la Banilla.
Mais afin que le Lecteur n'ignore,
& n'ait rien à desirer pour la parfaite
preparation de cette liqueur; je diray
encore ce que c'est que la Banilla, qui
entre dans la composition du Chocolat,
& qui est la principale chose qui
sert à luy donner du goust & de la
force.

La Banilla est une petite gousse qui


97

Page 97
croist d'une plante assez haute, qui a de
petites feüilles. Ces gousses sont longues,
étroites, & remplies d'un suc
mielleux & de tres bonne odeur, elles
sont pleines d'une petite semence presque
imperceptible, & qui ne sert qu'au
Chocolat. Sa proprieté naturelle est
d'échauffer & de fortifier l'estomach,
ce qui augmente la vertu du Chocolat,
qui est plus froid que chaud.

A proprement dire, il est anodin,

Remede qui
tempere les
douleurs
d'entrailles.
parce qu'il tempere toutes les grandes
douleurs d'entrailles. Je me suis une
fois guery d'une dissenterie assez vehemente
avec les seuls grains de Cacao
mangez cruds: ce fut un Indien qui
m'enseigna ce remede. On en tire encore
une huile qui est aussi douce, &
qui se compose tout de mesme que celle
d'amende. Cette huile est merveilleuse
pour la brûlure. Les Espagnols
s'en servent pour cela, & fort efficacement.

L'Orme de ce païs-là n'est dissemblable
des nostres, qu'en ce qu'il est
plus petit, qu'il a les feüilles beaucoup

Effets de la
semence de
l'Orme.
plus grandes, & qu'il raporte une semence
bien differente; elle tombe de
l'arbre quand elle est seche, & est faite

98

Page 98
comme un petit morceau de liege arondy.
Estant maschée, elle laisse un admirable
goust dans la bouche. Quantité
d'oyes sauvages viennent dans cette
Isle; lors que la graine tombe de l'Orme
elles la mangent, & en deviennent
si grosses, qu'elles sont obligées de demeurer
plus d'un mois aprés que cette
graine leur a manqué; à cause qu'elles
ne peuvent voller, tant elles sont
grasses & pesantes. J'en ay plusieurs
fois assommé à coups de baston qui
ne pouvoient marcher, encore moins
s'élever de terre.

Le Palmiste franc est un arbre de
130. pieds de hauts ou environ, les
queuës de ses feüilles sont d'une substance
maniable, couverte d'une peau
blanche comme neige, mince comme
du papier & douce comme de la soye,
sur laquelle on peut aussi bien & mieux
écrire que sur l'écorce du Tillier, dont
les Anciens se servoient avant l'inven-

Invention
des anciens
Boucaniers.
tion du papier & du parchemin. Les
Boucaniers autrefois n'ayant ny papier,
ny ancre, ny plume, faisoient des
plumes de certains petits roseaux, comme
font les Turcs encore aujourd'huy,
& se servoient du suc de Genipas au

99

Page 99
lieu d'ancre, écrivoient sur cette petite
peau qui leur servoit de papier, & par
ce moyen s'envoyoient des lettres les
uns aux autres, & entretenoient correspondance,

Le Palmiste épiné est ainsi nommé,
à cause que depuis le pied jusqu'au
sommet il est garny d'épines, qui sont
longues de quatre doigts, de figure
platte, extremément subtiles, dures &
penetrantes. On les voit autour de cet
arbre par cordons, à quelque distance

Histoire au
sujet du Palmiste
épiné.
les uns des autres. Il y a de certains Indiens
de la terte ferme de l'Amerique
Meridionale nommez Aruargues, qui
se servent de ces épines pour tourmenter
leurs ennemis quand ils les ont faits
prisonniers de guerre. Voicy la maniere:
Ils attachent le prisonnier à un
arbre, & le lardent de ces épines si
prés à prés, qu'on ne peut mettre un
pouce entre deux. Ces épines ont un
grand bout dehors, environné de cotton
trempé d'huile de Palme, étant
ainsi accommodées ils y mettent le feu,
& malgré ce tourment, le miserable
qui le souffre ne laisse pas de chanter
encore. Un Espagnol m'a raconté cette
petite histoire, que j'ay bien voulu mettre

100

Page 100
icy à l'occasion des Palmistes: & sur
ce que je luy demandois pourquoi ceux
qui souffroient ce tourment chantoient,
il ne m'en pût rendre d'autre
raison que l'experience; peutestre
aussi, ajoûtoit-il, que ces Barbares
croyent que ces mal-heureux chantent,
lors qu'ils se plaignent fortement;
mais il se trompoit, car j'ay
sceu depuis, & c'est une verité constante,
que la coûtume de ces sortes d'Indiens,
lors qu'ils ont fait quelques prisonniers
de guerre, & qu'ils les font
mourir par les plus cruels tourmens,
est de les contraindre de chanter, &
voila sans doute pourquoy le miserable
dont je parle chantoit. J'ay nommé
ces arbres Palmistes, à cause que les
habitans les nomment ainsi, quoy que
l'on doive dire Palmiers.

L'Acaiou est un arbre qui croist
extremément haut & gros, les François
l'appellent ainsi, du nom que les
Sauvages luy donnent, & les Espagnols
Cedro. J'en ay veu deux tables

Tables deCedie
d'une
grandeur extraordinaire.

chez les RR. PP. Chartreux de Xeres
en Andalousie Province d'Espagne,
qui estoient chacune tout d'une
piece, & avoient quatre-vingt dix pouces

101

Page 101
de long, & soixante & dix de large.
Ces deux tables leur avoient esté apportées
de Saint Domingue, qui est la
ville capitale de l'Isle dont nous parlons.
Ce bois est beaucoup en usage
dans l'Amerique: on en fait de fort
belles sculptures, c'est à quoy il est le
plus propre; car outre qu'il est tresbeau
de couleur, & de tres-agreable
odeur, il n'est nullement cassant, &
c'est ce qui le fait estimer le plus de ceux
qui le travaillent.

Le Mangle est de trois especes differentes,
mais je ne parle que d'une seule,
qui est celle qui croist dans les lieux
que la mer inonde. Ces arbres ont leur

Effet des racines
du
Mangle.
racine hors de terre, fort élevée & quelquefois
plus que de branches; si bien
que le tronc de l'arbre est entre les
branches & les racines. Ils sont tellement
entrelassez par leurs racines les
uns dans les autres, que l'on pourroit
faire quelquefois plus de dix lieuës
sur ces arbres, sans mettre pied à terre.
Il y a des Indiens dans certains endroits
de l'Amerique qui bâtissent des
maisons dessus. Oa voit souvent des
branches de ces arbres si avancées dans
la mer, qu'il s'y amasse des rochers

102

Page 102
d'huitres; tellement que cela donneroit
lieu aux Voyageurs de dire qu'ils
ont veu croistre, aussi bien des huitres
aux arbres, que de certains ont assuré
avoir veu des Oyes provenir de quelques
arbres dans l'Ecosse & dans l'Irlande.

Gomme dont
les Sangliers
guerissent
leurs blessures.

Il y a une sorte d'arbre que les Boucaniers
François nomment Gommier,
& la gomme, qu'il jette, gomme de
cochon, à cause que les Sangliers s'étant
mordus les uns les autres, vont
avec leurs crocs donner des chocs à
cet arbre, & le dépoüillent entierement
de son écorce; aussi-tost il jette
une gomme, tout de mesme que la
vigne au printemps rend de l'eau, lors
qu'on la coupe. Les Sangliers se frottent
contre cet arbre, aux endroits où
il jette sa gomme, afin d'en faire entrer
dans leurs playes, & se guerissent
parfaitement. Elle est aussi admirable
pour guerir toute sorte de playes; &
les Sauvages s'en servent communément
dans leurs plus grandes blessures.

Qualitez du
bois à enyvrer.

Le bois à enyvrer, est ainsi nommé,
à cause de l'effet qu'il produit; lors
qu'estant pris, ou son écorce battuë
dans un sac, & mise dans de l'eau dormante,

103

Page 103
enyvre tous les poissons qui
sont en la place, où on l'a jettée, & les
fait venir, en sorte qu'on les prend à
la main. Cet arbre croist environ haut
comme le poirier, & a les feüilles presque
semblables à un treffe.

Le Quinquina qu'on nous apporte

D'où vient
le Quinquina.
de l'Amerique, qui fait changer &
mesme cesser pour quelque temps les
fiévres, n'est autre chose que l'écorce
de cet arbre. Les Espagnols l'apportent
de S. Francisco de Quinto, Province
du Perou, & disent qu'elle ne croist
que là.

Le Copal est un grand arbre, sem-

Usage du
Copal.
blable au gommier, dont nous avons
parlé. Quelques Indiens idolatres se
servent de cette gomme, pour brûler
sur leurs Autels, comme nous nous
servons de l'encens.

Le Manioc croist de la hauteur d'un
homme, ses feüilles sont partagées en
cinq branches sur une mesme queuë,
comme les cinq doigts de la main, &
pas plus larges. Ces branches s'écartent
dés le pied de l'arbre. Il produit
deux ou trois racines grosses comme la
cuisse, & pezent bien souvent jusques
à soixante ou soixante-dix livres. C'est


104

Page 104
de ces racines que les Chrestiens & les
Indiens font du pain de cette maniere.

Adresse des
Indiens à preparer
le Manioc.

Aprés qu'ils ont arraché ces racines,
ils les grattent avec des rapes de
cuivre ou de fer blanc, semblables à
celles dont on se sert pour le sucre,
mais grandes de deux pieds de long &
d'un pied de large; quand il est ainsi
rapé, ils le mettent dans des sacs de
toile forte & claire, & ensuite sous une
presse, afin d'en tirer le suc, qui est
un dangereux poison: car si un animal
en boit, ou mange de ces racines
vertes, il meurt aussi-tost. Ce suc est
fort corrosif, je l'ay reconnu, en lavant
de certains ulceres, qui sont devenus
fort beaux, & de facile gueri-
Remede contre
le suc venimeux
du
Manioc.
son. Le plus grand remede contre ce
venin, c'est de faire avaler de l'huile
aux personnes, ou aux animaux quien
ont pris. Bien que ce soit un grand
poison, il ne laisse pas d'estre utile:
car quand on l'expose au Soleil dans
des vaisseaux avec du piment, il aigrit,
& est aussi bon aux sauces que le vinaigre.
Je n'en ay veu que chez les
Espagnols. Ce suc ainsi pressé, il reste
dans le sac une matiere qui ressemble
à de la farine, & on la laisse secher au

105

Page 105
Soleil, on la garde pour s'en servir
quand on veut, & pour la transporter
sans qu'elle se gâte; les autres la
mettent d'abord sur de grandes platines
de fer, qui viennent de Suede, dont
les Chapeliers se servent à faire leurs
chapeaux. On y fait un feu assez moderé,
& cela se cuit comme une tourte,
dont les habitans vivent.

Les Sauvages le font de la mê-

Invention
des Sauvages.
me maniere, avec cette difference qu'au
lieu de rape, ils se servent d'une piece
de bois, dans laquelle ils enchassent
de petites pierres dures & pointuës.
Au lieu de sacs de toile, ils usent d'écorce
d'arbre, dont ils sont un tissu
fort propre: & pour des platines de
fer, il en ont de terre qu'ils font euxmesmes.

Cette racine est aussi utile en Ame-

Boisson des
Ameriquains.
rique, que le bled en Europe. On en
fait une boisson, qui vaut bien nostre
biere. Cet arbrisseau ne vient point
de semence comme les autres: on
coupe de ces branches par pieces, environ
d'un pied de long: on fait des
trous environ de demi pied avant dans
la terre, où on enfoüit ces branches
coupées, ayant soin de mettre certains

106

Page 106
nœuds en haut; car autrement,
ils ne produiroient rien.

La Nanna est une plante qui produit
un des meilleurs fruits, & des
plus delicats qui croissent dans toute
l'étenduë de l'Amerique. Ce fruit est
semblable à un artichaut, sa substance
ressemble à celle d'une poire fort suc-

Subtilité de
la Nanna.
culente, son suc est extremément
agreable, & subtil en un point, que
quand on en mange un peu trop, il
ouvre toutes les petites veines & arteres
qui sont dans la bouche: de maniere
que l'on saigne beaucoup, sans pourtant
en ressentir aucune incommodité.

Il n'est pas besoin que je donne icy
la description du Tabac: car il est si
connu par toute l'Europe, qu'il n'y a
aucune nation qui ne s'en serve, n'en
connoisse les proprietez, & ne l'ayme
avec passion; jusques-là que les Turcs,
à qui l'Alcoran deffend expressement
d'en user, sur peine d'un grand peché,
ne laissent pas d'en prendre abondamment;
car dans le temps de leur
Carême appellé Ramazan, pendant lequel
ils ne mangent point de tout
le jour, ils ne cessent point de prendre
du tabac en fumée, avec cette


107

Page 107
précaution qu'ils ont grand soin d'avaller
cette fumée, de peur que l'on ne
s'en apperçoive à l'odeur, ou autrement.
Voicy la maniere que se cultive
cette fameuse, plante dans l'Amerique.

On prepare un quarré de terre,

Maniere de
cultiver le
Tabac, & de
l'aprester.
comme j'ay dit qu'on faisoit pour le
Cacao, où l'on plante de la semence.
On arrose tous les jours ce quarré,
& on le couvre pendant l'ardeur du
Soleil. Quand il ne fait point soleil
& qu'il ne pleut pas, il faut l'arroser
tout de mesme. Cette semence estant
levée hors de terre, elle forme une
petite tige comme la laittuë, on la
change de place, de mesme que cette
plante, & on la met à trois pieds de
distance l'une de l'autre; on n'y doit
point souffrir d'herbes étrangeres. Lors
que les feüilles sont devenuës grandes,
& qu'elles se cassent quand on y touche,
c'est une marque que le tabac est
meur: alors il faut le couper, & le
laisser deux ou trois heures au Soleil,
puis amasser toutes les plantes deux à
deux, pour les pendre à des perches,
jusques à cinq étages les unes sur les
autres, dans des loges qui sont seulement
couvertes, de peur que le tabac

108

Page 108
ne soit moüillé; mais ouvertes de
toutes parts, afin que l'air y puisse
mieux entrer, & de crainte que le tabac
ne s'échauffe & ne pourrisse.

Avant le levé du Soleil on dépend
ces perches, afin de tenir les feüilles
du tabac souples, de peur qu'elles ne
se cassent & ne deviennent en poudre,
& on en tire toutes les jambes.

Quand il est sec, on met toutes les
feüilles ensemble en paquet, & avant
que de les tordre, on les laisse tremper
dans l'eau de la mer, & on les
tord aprés qu'elles y ont trempé. Il

Qualité du
Tabac de
Verine.
faut remarquer que le tabac de Verine
est le meilleur de tous, que les
femmes le fument aussi-bien que les
hommes, & que c'est une chose aussi
surprenante en ce païs de voir des femmes
qui ne fument point, que d'en
voir en France qui fumeroient.

Quoyque le tabac soit si celebre
par toute la terre, & dans un si grand
usage, je n'en ay jamais bien compris
la raison: & toutefois je puis dire
que la medecine que j'exerce depuis
si long-temps, m'a donné quelque
connoissance de ce qui peut estre utile
ou contraire à la santé.