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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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Chapitre III.

La vie & les Actions du Capitaine Roe
quatriéme Avanturier.

ROC, surnommé le Bresillian, est
n? à Groningue ville tres-celebre
de la Frize Orientale, & faisant partie
des Etats Generaux des Provinces


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Unies des Pays-Bas: ses parens estoient
Marchands de profession. Les Hollandois
ayant pris le Bresil sur les Portugais,
& s'en estant rendus paisibles possesseurs,
les parens de Roc vendirent ce
qu'ils avoient à leur païs, pour s'établir
au Bresil, & y mener toute leur famille,
dont Roc estoit du nombre,
qui ne fut pas plûtost dans ce païs,
qu'il s'applique à en apprendre les
mœurs, & particulierement les langues,
tant Indiennes que Portugaises, qu'il
parle comme si elles luy estoient naturelles.

Lorsque les Portugais ont repris le
Bresil sur les Hollandois, plusieurs familles
craignant que le gouvernement
des Portugais ne fust plus rude à supporter
que celuy de leur Nation, resolurent
de tout quitter; & Roc qui
estoit déja un homme fait, ses parens
estant morts, fut de ceux qui abandonnerent
le Bresil, & vinrent se retirer
parmy les François dans les Isles Antilles,
qui leur appartiennent, où les Hollandois
trafiquoient beaucoup alors.

Il n'y fut pas long temps qu'il parla
la langue Françoise comme la sienne propre;
mais ne s'accommodant pas si bien


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avec les François qu'il se l'estoit imaginé,
il resolut de chercher ailleurs un
lieu & une Nation qui luy fussent plus
agreables.

Il passa de là à la Jamaïque avec les
Anglois, dont la langue ne luy fut pas
plus difficile à apprendre que l'avoient
esté les autres. Il voulut éprouver la vie
d'Avanturier, & s'embarqua à cette fin
sur un vaisseau de ces gens là, dont il
fut fort bien receu. Les Anglois vi-

Roc se fait
Avanturier,
prend un vaisseau
Espagnol,

voient en fort bonne intelligence avec
luy, & luy avec eux: si bien qu'il n'eut
pas fait trois voyages comme simple
compagnon de fortune, qu'un Equipage
s'estant revolté contre son Capitaine,
le prit pour chef, & luy donna
une Barque ou Brigantin qu'il avoit.

Roc eut le bonheur dans peu de
jours de prendre un navire Espagnol
assez riche, qu'il amena à la Jamaïque,
où il fut receu & traité comme Capitaine:
depuis il a toûjours demeuré dans
ce lieu là, & y demeure encore.

Il est si terrible, que les Espagnols
ne le peuvent entendre nommer sans

Portrait de
Roc,
trembler. Il a l'air mâle, & le corps
vigoureux, la taille mediocre, mais ferme
& droite, le visage plus large que

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long, les sourcils & les yeux assez grands,
le regard fier, & toutefois riant Il est
adroit à manier toutes les armes dont
se servent les Indiens & les Catholiques;
aussi habile à la chasse qu'à la
pesche; aussi bon Pilote que rave Soldat,
& terriblement emporté dans la
débauche Il marche toûjours avec un
sabre nud sur le bras; & si par malheur
quelqu'un luy conteste la moindre
chose, il ne fait point de difficulté de
le couper à moitié, ou de luy abattre
la teste; c'est pourquoy il est redoutable
à toute la Jamaïque: & cependant
l'on peut dire qu'on l'aime autant quand
il est à jeun, qu'on le craint quand il
a bû.

Il a une fort grande aversion pour

Roc redoutable
& cruel
aux Espagnols.

les Espagnols; aussi leur est-il si cruel,
que quand il en prend, & qu'ils ne
veulent pas dire où est leur argent, ou
ce qu'il leur demande, il les tourmente
de telle sorte, qu'ils en meurent.
Beaucoup d'eux croyent qu'il est Espagnol,
à cause qu'il parle fort bien leur
langue. Ils disent que c'est un scelerat,
qui s'est sauvé d'Espagne, & qui veut
mal à la Nation. Lors qu'il équipe un
vaisseau pour aller en course, il va ordinairement

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dans les parcs où sont les
Sangliers que les Espagnols y entretiennent;
& quand il prend des Espagnols
qui ne veulent pas dire où ils sont, il
les fait mourir martyrs. Il a eu mesme
la barbarie d'en attacher à un bâton, de
les mettre sur deux fourches, & de les
faire tourner devant le feu, comme la
viande que l'on mange rotie.

Un jour qu'il estoit au rivage de Cam-

Il fait naufrage.

pesche, pour faire quelque prise sur
les Espagnols, il fut agité d'une tempeste
qui jetta son Bâtiment à la
coste, & le mit en pieces. Il eut le
temps neanmoins de se sauver avec tout
son monde, les armes, les munitions,
& de se resugier à terre, desolé d'estre
en païs ennemy, sans avoir aucun lieu
d'en sortir. Cependant comme il n'estoit
pas homme à se laisser abattre aux revers
de la fortune, qui sont assez ordinaires
aux Avanturiers, il encouragea
ses gens, leur promit de les retirer de là,
& leur commanda de mettre toutes
leurs armes en état, & de marcher vers
le golse de Triste, où il esperoit de
trouver quelques-uns de ses camarades.
Ensuite Roc marchant à leur teste, ils
ne firent point de difficulté de prendre

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le grand chemin, comme s'ils avoient
esté des gens à ne rien craindre; &
qu'ils eussent reduit tout le païs. Cependant
quelques Indiens les ayant apperceus
en avertirent les Espagnols, qui
vinrent aprés eux au nombre de cent,
tous bien montez & bien armez.

Quand Roc les vit, au lieu d'apre-

Comhat &
intrepidité de
Roc.
hender, il commença à se réjoüir, &
dit à ceux qui l'accompagnoient, courage
mes freres, nous avons faim: mais
nous ferons bien-tost un bon repas;
vous n'avez qu'à me suivre. Bien loin
d'attendre les Espagnols, ou de les fuir,
il alla au devant d'eux & les défit entierement,
sans avoir perdu que deux de
ses gens tuez & deux de blessez.

Nos Avanturiers prirent assez de
chevaux pour se monter, & achever
le chemin qu'ils avoient à faire; ils
trouverent mesme des vivres, du vin
& de l'eau de vie que les Espagnols
avoient apporté avec eux, ce qui les
remit tout à fait, & leur donna assez
de courage, pour se batre tout de nouveau,
contre deux fois autant de monde,
s'ils y avoient esté contraints.

Aprés donc s'estre bien rafraîchis,
ils monterent à cheval & continuerent


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leur route. Ayant ainsi marché deux
jours, ils apperceurent d'assez loin une
barque, proche du bord de la mer,
elle appartenoit aux Espagnols qui
estoient venus là couper du bois de
Campesche, qui sert à la teinture.
Nostre Avanturier fit cacher son monde,
& fut luy sixiéme à pied, proche
de la barque, pour la prendre; à
cette fin il se cacha dans un haslier,
où il passa la nuit, & le lendemain à
la pointe du jour, lors que les Espagnols
descendoient à terre dans leur canot
pour aller couper du bois, nostre
Avanturier les receut fort bien: mais
non pas à leur souhait. Il s'empara in-
Il s'empare
d'une barque.

continent de la barque, & fit venir ses
gens. Il trouva dans cette barque fort
peu de vivres; mais un paquet de sel
d'environ deux cens livres pezant, dont
il fit saler une partie des meilleurs chevaux
aprés qu'on les eut tuez, en atte
dant qu'on trouvast d'autres vivres.
Il donna encore aux Espagnols de la
barque les chevaux qui luy restoient,
leur disant. Allez, je ne vous fais point
de tort, car ces chevaux valent mieux
que vostre barque, outre que vous ne
courez point risque d'estre noyez.


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Nostre Avanturier estant remonté
de bâtiment ne songea plus qu'à faire
capture. Il avoit encore vingt-six hommes
sains, il alla devant la ville de
Campesche, voir s'il n'y pourroit rien
prendre. Quand il y fut, il laissa son
bâtiment au large & descendit avec
huit hommes dans son canot, pour
tâcher d'enlever quelque bâtiment;
mais cela ne luy reussit pas: car il fut
pris des Espagnols, & mené aussi-tost
au Gouverneur avec ses camarades,
qui les voulut tous faire pendre.

Roc qui estoit aussi intrepide que

Roc pris &
l'invention
qu'il trouva
pour éviter la
mort,
subtil, s'avisa d'une feinte pour intimider
le Gouverneur, & empescher qu'il
ne luy joüast quelque mauvais tour.
Il y avoit fait connoissance avec un
Esclave, qu'il pria de luy rendre service,
luy promettant de le retirer d'esclavage.
Cet Esclave entendant parler
d'estre mis en liberté, luy promit tout
ce qu'il voulut. Le Gouverneur ne te
connoist point, luy dit Roc: dis luy
que tu as esté pris des Avanturiers
avec ton Maistre, qu'ils t'ont mis à
terre avec cettelettre pour luy apporter,
& que pour cela on t'a donné la liberté:
& aprés retourne t'en sans parler à
personne.


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Il avoit écrit cette lettre, comme si
elle venoit de quelque fameux Avanturier;
qui sceust que Roc estoit pris
& menaçoit le Gouverneur, que s'il
arrivoit mal à telle personne de leurs
camarades qui estoit entre ses mains,
il pouvoit s'assurer qu'autant d'Espagnols,
qu'il prendroit, il ne leur donneroit
point de quartier. A la verité
cela intimida ce Gouverneur, qui fit
reflexion sur ce que la ville de Campesche
avoit déja esté prise par une
troupe de ces gens là, & manqué une
seconde fois à l'estre. C'est pourquoy
il ne parla plus de pendre Roc, au
contraire il le fit mieux traiter, & par la
premiere occasion il l'envoya en Espagne,
sans se douter que nostre Avanturier
sceût la raison qui l'obligeoit à
luy faire tant de graces.

On le mene
en Espagne
sur les Galions
du Roy.
Roc fut donc ainsi embarqué sur la
flotte des Galions du Roy d'Espagne,
où il se fit aimer de tous les Espagnols.
Les Capitaines luy representerent, que
s'il vouloit servir le Roy d'Espagne,
ils luy feroient donner tel employ qu'il
souhaiteroit. Il dissimuloit sa pensée tant
qu'il pouvoit, afin d'estre bien traité:
& m'a dit luy-mesme qu'il gagna pendant

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le voyage à cinq cens écus à pescher:
car il est fort adroit à harponner
du poisson, ou à le tirer dans l'eau
avec des fleches; & comme les Espagnols
qui negocient aux Indes ont
beaucoup d'argent, & qu'ils sont délicats;
ils ne font pas difficulté de donner
vingt écus pour un poisson frais
dans des lieux comme cela.

Dés que le Capitaine Roc fut ar-

Il trouve le
moyen de repasser
à la
Jamaïque,
rivé en Espagne, il chercha d'abord
l'occasion d'aller en Angleterre, où
delà il repassa bien-tost à la Jamaïque,
& y revint en meilleur équipage, qu'il
n'en estoit party, hormis qu'il n'avoit
point de bâtiment. Ceux qui avoient
esté pris avec luy, furent aussi envoyez
en Espagne, & bien traitez pendant le
voyage à sa consideration, car il ne
les abandonna point. Si-tôt qu'il fut
de retour à la Jamaïque, il n'aspira
qu'à aller piller les Espagnols, sur lesquels
il a fait diverses captures, qui luy
ont fort bien reüssi, quoy que la derniere
ait esté assez malheureuse, mais
non pas pour luy.

Estant sorti de la Jamaïque avec un

Nouvelle
course de
Roc.
Corsaire, il se rencontra encore avec deux
François, dont le principal se nommoit

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Tributor, vieux Avanturier, & fort
experimenté dans les courses Ces deux
Avanturiers s'associerent ensemble pour
aller faire une descente sur la Peninsule
de Iucatum. Et pour prendre une
ville, nommée Merida, Roc y ayant
déja esté, servoit de guide, bien qu'ils
eussent quelques prisonniers Espagnols
Entreprise
de Roc découverte.

qui les y conduisoient aussi. Cependant
ils ne pûrent si bien prendre leurs
precautions qu'ils ne fussent découverts
avant de se mettre en chemin, par des
Indiens qui en avertirent les Espagnols,
& leur donnerent le temps de faire venir
du monde de plusieurs endroits,
afin de défendre la place. De sorte que
quand nos Avanturiers y arriverent,
on les receut d'une autre maniere qu'ils
n'avoient prévû: & lors qu'ils se virent
découverts, ils furent battus en
queuë par les Espagnols, qui les taillerent
presque tous en pieces, & en
firent beaucoup de prisonniers.

Le Capitaine Roc évita de l'estre,
quoy qu'il ne fust pas celuy qui s'exposast
le moins: car il tiendroit à la
plus grande lâcheté du monde, si un
autre avoit tiré ou donné un coup
avant luy: ou s'il n'avoit pas esté le


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dernier dans un combat où mesme il se
verroit le plus foible; estant toûjours
plûtost prest à se faire tuer qu'à ceder.
J'en puis parler certainement pour
m'estre trouvé avec luy dans l'occasion:
Enfin malgré tout cela, il s'est
tiré de ce méchant pas: & son camarade
Tributor qui estoit François, y est demeuré,
avec presque tous ces gens.
Voila ce qui s'est passé de plus memorable
jusqu'à present dans la vie du
Capitaine Roc.

Les Espagnols voyant d'une part
qu'il leur estoit impossible de resister
aux Avanturiers, dont ils recevoient
tous les jours de nouvelles insultes,
n'oserent presque plus naviger, & au
lieu qu'auparavant ils avoient accoûtumé
de mettre quatre navires en mer,
ils n'en mettoient plus qu'un. D'autre
part, les Avanturiers accoûtumez à
ne vivre que de butin: voyant qu'ils
ne prenoient plus tant de navires, com-

Avanturiers
s'associent
plusieurs ensemble,
&
pourquoy.
mencerent à s'ennuyer, à s'associer
plusieurs ensemble, à faire des descentes,
& enfin à prendre & piller des petites
villes & bourgades.

Le premier qui entreprit cela, fut
un nommé Loüis Scot, Anglois de


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nation, lequel avec ses associez prit la
ville de saint Francisco de Campesche,
la pilla, la mit à rançon; & aprés l'avoir
abandonnée, s'en retourna à la
Jamaïque. Luy party, Mansweld y
vint & fit plusieurs descentes qui luy
reüssirent. Un jour il équipa une flote
avec laquelle il tenta de passer par le
Royaume de la nouvelle Grenade, &
delà à la mer du Sud, & en passant de
piller la ville de Cartage dans le mesme
Royaume; mais il n'en pût venir à
bout à cause de la dissention qui se
mit entre ses gens, Anglois & François
de nation. Ils estoient toûjours
en contestation pour les vivres; quand
les uns en avoient, ils n'en vouloient
point donner aux autres.

Je ne parle point icy de ces fameux Avaturiers
qui ont esté autrefois dans l'Amerique,
& qui y ont fait des progrés
si surprenans, comme ce celebre Holandois,
lequel prit une riche flote sur
les Espagnols. L'on voit tout cela
dans les Histoires qu'ont écrit divers
Auteurs de l'Amerique. Je ne diray
rien icy que ce que j'ay veu moymesme,
& ce qui s'y est passé depuis
vingt ans, & en quel état se trouvent
presentement ces contrées.


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David V. Avanturier.

Jean David Holandois de nation,
s'estant refugié à la Jamaïque, a fait de
riches prises sur les Espagnols, & des
actions assez hardies; les places ordinaires
où il alloit croiser, estoient la côte
de Caraco, & celles de Cartagene, ou
Boca del Tauro, à dessein d'attendre
les navires qui passoient pour aller à
Nicarague.

Un jour ayant manqué son coup,

Coup hard
de David
quel en fut
le succés.
& long temps battu la mer, sans avoir
rien pris; il resolut d'entreprendre une
chose assez perilleuse avec son Equipage,
qui estoit en tout de quatre-vingt-dix
hommes: c'estoit d'aller dans le Lagon
de Nicarague,
& de piller la ville de
Grenada qui est sur le bord de ce Lagon.
Il avoit un Indien de ce pais qui
luy promettoit de l'y mener, sans estre
découvert; son équipage fut toûjours
prest à le suivre, & d'executer tout
ce qu'il pourroit entreprendre.

Les choses en cet état, il entra dans la
riviere avec son navire, où il monta
jusqu'à l'entrée du Lagon, qui peut
estre à trente lieuës du bord de la mer,


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là il cacha son navire à l'abry de grands
arbres qui sont sur le bord de l'eau,
& mit quatre-vingt de ses gens, dont
il estoit du nombre, dans trois canots,
& laissa dix hommes pour garder le
vaisseau. Il partit avec ces canots, pour
arriver à la ville; & sur le milieu de la
nuit, il esperoit de leur donner l'assaut,
ce qui luy reüssit. Car en approchant,
une sentinelle demanda qui c'estoit? il
répondit qu'ils estoient amis, & qu'ils
venoient à la pesche. Deux des siens
sauterent aussi-tost à terre, & couperent
la gorge à cette sentinelle; & comme
le guide qu'ils avoient, sçavoit
fort bien ce païs, il ne manqua pas de
les mener par un petit chemin couvert,
droit à la ville, pendant qu'un autre
Indien mena les canots à un lieu où ils
devoient se rassembler, & y porter le
butin qu'ils feroient.

Lors qu'ils arriverent dans la ville,
ils se separerent, l'Indien fut fraper à
la porte de quelques bourgeois, ausquels
on fit ouvrir; & les saisissant
d'abord à la gorge, on leur fit donner
tout ce qu'ils avoient pour conserver
leur vie: Ensuite, on fut éveiller aussi
les Sacristains des principales Eglises,


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ausquels on prit les clefs, & on pilla
toute l'argenterie qui estoit la plus portative.

Ce pillage sourd avoit déja bien
duré deux heures, lors que quelques
domestiques échappez des mains des
Avanturiers, commencerent à sonner
les cloches, à dire que l'ennemy estoit
dans la ville & à crier aux armes. Les
Avanturiers voyant cela porterent vîtement
le butin qu'ils avoient déja fait,
dans leurs canots, s'assemblerent & furent
contraints de se retirer, sans pouvoir
piller davantage: car les Espagnols
les presserent de prés, sans toutefois
leur avoir pû faire aucun mal; au contraire,
ils emmenerent encore quelques
prisonniers avec eux, s'en retournerent
de cette maniere à leur navire, &
forcerent les prisonniers qu'ils avoient
à leur apporter cinq cens vaches pour
les ravitailler, afin de s'en retourner
chez eux: ce que ces prisonniers firent,
pour estre délivrez de ces gens. Les
Espagnols les voulurent attaquer dans
leur navire; mais ils les contraignirent
de se retirer à grands coups de canon.

Nos Avanturiers ne furent que huit
jours dans ce voyage, dans lequel


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temps ils partagerent leur butin, qu'ils
trouverent se monter, tant en argent
monnoyé, que rompu & quelques
pierreries, à quarante mil écus, outre
quelques meubles qu'ils avoient jettez
dans leurs canots: car ils n'avoient pas
le temps de choisir, mais prenoient
tout ce qui se trouvoit sous leurs
mains.

C'estoit à la verité une action bien
hardie, d'aller si peu de monde quarante
lieuës sur terre attaquer une ville,
où il y avoit pour le moins huit cens
hommes tous armez & capables de se
défendre. Cet Avanturier ne tarda gueres
à estre à la Jamaïque, où le butin fut
bien-tôt consumé tant par le jeu que par
les femmes & la bonne chere.

Un peu aprés ce mesme Avanturier,
s'associa encore de deux ou trois autres,
qui avoient tous leur équipage, pour
aller croiser devant la ville de saint
Christophe de la Havana,
sur l'Isle de
Cuba,
afin d'y attendre la flote de
neuve Espagne & en prendre quelque
bon navire, mais elle entra sans qu'ils
l'apperceussent, & se déroba à leur
poursuite. Se voyant trompez dans
leur attente ils prirent une petite ville


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nommée Saint Augustin de la Florida:
cette ville estant gardée par un Chasteau
qui ne pût resister à leurs forces. Ils
n'y firent pas grand butin; car les habians
de ce lieu sont fort pauvres.