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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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Chapitre VII.

Des Arbres fruitiers les plus rares.

J'Ay déja remarqué que le fonds de
terre de l'Isle de S. Domingue estoit
tres-bon, & qu'il produisoit plus luy
seul, que tous les autres de l'Amerique
ensemble: car les arbres y croissent
avec plus de force & de vigueur
qu'en pas aucun autre lieu, & les fruits
en sont beaucoup meilleurs.

Parmy le grand nombre d'arbres &
de fruits qui viennent dans l'Amerique,
je ne veux parler que de quelques-uns
des plus rares: car si je parlois
de tous, je pourrois estre ennuyeux.

On trouve dans cette Isle quantité
d'Orangers & de Citronniers que la
nature y produit d'elle-mesme. Les
fruits n'en sont pas agreables, comme
ceux que l'on cultive en Europe; au
contraire ils sont fort aigres, petits, &
toutefois pleins de suc, n'ayant pas l'écorce
épaisse. Ces citrons & ces orangers
sont semblables à ceux que l'on
void ordinairement. Les Espagnols &


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les Portugais ont eu soin venant dans
cette Isle d'y planter des arbres fruitiers,
& de la peupler d'animaux qu'on
n'y voyoit point.

Soins des
Espagnols &
des Portugais,
pour multiplier
les arbres.

Quand un Espagnol se trouve dans
une forest, & qu'il y rencontre quelque
arbre fruitier, il a soin de planter
la semence du fruit qu'il mange. C'est
pour ce sujet que les terres qu'ils ont
habitées sont plus remplies de toutes
sortes d'arbres fruitiers, que celles que
les autres Nations habitent. Aussi voiton
dans l'Isle Espagnole de grandes
plaines, qui ne sont couvertes que d'orangers,
produisant des oranges aussi
douces que celles qui viennent de Portugal,
dont les Portugais ont apporté
l'espece de la Chine en Europe.

Remarque
d'un Espagnol.

Un vieil Espagnol qui avoit une parfaite
connoissance des proprietez de
l'Amerique, m'a dit que dans une
orange aigre, il avoit remarqué un certain
grain parmy les autres, qui planté
en terre produisoit un arbre portant des
oranges douces, ce qu'il avoit éprouvé
plusieurs fois.

Les Bannaniers sont certains arbrisseaux,
qu'on pourroit plûtost nommer
plante, parce qu'ils n'ont aucun


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bois solide, mais seulement un tronc
mol, plein de suc, & que l'on peut
couper avec un couteau. Il croist jusqu'à
douze à quinze pieds de hauteur.
Du milieu de sa tige sort une fleur de
couleur de pourpre, de la grosseur d'un
artichaut. Le fruit qui en provient peut
nourrir l'homme en diverses manieres,
tantost il luy sert de pain, preparé d'une
certaine façon, tantost de vin, preparé
d'une autre, parce que l'on en tire un
suc qui est aussi fort que cette liqueur.
On le fait secher comme les figues.
Lors qu'il est bien meur en l'exposant
au Soleil, aprés en avoir osté l'écorce;
il se candit comme si on l'avoit parsemé
de sucre. J'en ay gardé comme cela
qui se sont trouvez fort bons.

Les feüilles de cet arbre sont douces
estant sechées, de sorte que les habitans
de ces lieux en font des lits aussi
bons que nos lits de plume. Quelques

Surquoy le
Sauveur reposa,
quand
il fut né.
Auteurs ont dit que c'estoit sur ces
feüilles, que la Sainte Vierge mit reposer
le Sauveur du monde, aprés qu'il
fut né. Cela pourroit bien estre, car
j'ay veu de ces arbres dans la Palestine.

Il n'y a pas long-temps que j'en ay
veu un dans le jardin de Medecine de


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l'Université de Leyden en Hollande,
mais il estoit encore fort jeune; & à ce
sujet, je croy qu'il est necessaire d'avertir
le public que cet arbre est fort
utile à la medecine: car si on prend
un certain noyau qui sort de ce fruit
avant qu'il soit meur, il est admirable
pour manger la chair corrompuë des
ulceres, & les guerit mesme entierement.

L'abricotier est un arbre plus haut
que les plus grands chaînes de l'Europe,
il a les feüilles semblables au laurier
sauvage, l'écorce comme celle du
poirier, la chair de son fruit ressemble
à celle de nos abricots, quoy que la
figure en soit fort difference, en ce que
ils sont fort gros, couverts d'une peau
dure & assez épaisse, ils ont le goust
meilleur & l'odeur plus agreable que
nos abricots: le noyau n'est point dur:
les Espagnols cultivent ces arbres &
font des confitures de leur fruit. Il n'y
a qu'un lieu dans ces Isles où il s'en
rencontre, les Sangliers s'en nourrissent
dans la saison, c'est ce qui fait que
leur viande est bien plus excellente que
dans un autre.

Cet abricot est parfaitement bon lors


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qu'il est cuit avec de la chair du même
Sanglier, & estant mangé crû, il
est tres-dur à digerer; & il y a autant
à manger à un seul de ces fruits qu'aux
plus gros de nos melons.

Le Papayer est un arbre qui croist
de hauteur environ vingt à vingt-cinq
pieds, qui n'a qu'un tronc sans branches,
& au sommet duquel il y a
quinze ou vingt feüilles extraordinairement
larges, & dont la queuë est
longue comme la moitié du bras; dessus
ces feüilles, sont les fruits que l'on
voit attachez au tronc de l'arbre; il
porte fruit continuellement, il y en a
toûjours en fleur, d'autres qui ne font
que noüer, d'autres à demy meurs,
& d'autres meurs: Il y a de ces fruits
qui sont gros comme des grenades, &
environ de cette figure, & d'autres
beaucoup plus gros.

Le Cacaoyer est l'arbre qui produit
la semence que les Espagnols nomment
Cacao, dequoy l'on fait le cho-

Arbre qui
produit la
semence du
Chocolat.
colat; cet arbre ressemble assez au cerisier,
& mesme ne vient pas plus
haut: son fruit est une certaine gousse
qui croist en son tronc de la grosseur
d'un concombre, & tout de mesme,

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excepté qu'il commence & finit en
pointe, le dedans de cette gousse est
épaisse d'un demy doigt, forme un
tissu de fibres blancs & fort succulents,
un peu acide, fort bon à étancher la
soif. Les fibres contiennent dans leur
milieu dix à douze, & jusques à quatorze
grains de couleur violette, qui
sont gros comme le pouce, & secs
comme un gland de chesne. Ce grain
est couvert d'une petite écorce, estant
ouvert, il ne se separe pas seulement
en deux comme les amendes ou les
noix, mais en cinq ou six petites pieces
qui sont inégalement jointes ensemble;
au milieu desquelles est un petit
pignon qui a le germe fort tendre &
difficile à conserver: c'est de cette semence
que les Espagnols font la cele-
Dequoy les
Espagnols
font le Chocolat.

bre boisson du chocolat. Lors qu'ils
eurent conquis ce païs, les Indiens
leur firent boire de cette liqueur qu'ils
trouverent si bonne & si utile pour la
santé, qu'ils l'ont mise en usage entr'eux,
non seulement dans l'Amerique,
mais aussi en Europe, où elle est
assez commune, & mesme aux autres
Nations qui l'habitent, quoy que les
Espagnols se soient toûjours reservez

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le secret de la preparer, parce qu'en
quelque part que ce soit, on ne sçauroit
boire de bon chocolat, s'il ne
vient d'Espagne, qui surpasse en bonté
le Thé des Chinois, le Caphé des Perses
& des Turcs. En sorte que cette
boisson nourrit tellement le corps & le
tient dans un si grand embonpoint, que
l'on en pourroit vivre sans avoir besoin
de prendre autre chose.

Si les Espagnols ont le secret de preparer
cette boisson, ils ont pareillement
celuy de cultiver les arbres qui produisent
la semence dequoy elle se fait:
car de toutes les Nations qui habitent
dans l'Amerique, il n'y a qu'eux qui
sçavent cultiver cet arbre, & qui fassent
commerce de sa semence; par lequel
quelques-uns d'entr'eux se sont
tellement enrichis, qu'ils tirent ordinairement
plus de vingt mille écus de
rente par an, tous frais faits, d'un seul
jardin planté de ces arbres.

M'estant trouvé parmy les Espagnols
j'ay eu la curiosité de sçavoir la maniere
de cultiver ces arbres, & comment
ils preparent la semence pour en
faire la boisson dont on a parlé. J'en
vais donner la description, que le public
a jusqu'à present ignorée.