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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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Chapitre VIII.

Maniere de faire le Chocolat, &
de cultiver l'abre qui produit la
graine dont on le fait.

LOrs qu'ils veulent avoir de la semence
pour produire ces arbres,
Ils laissent parfaitement meurir & secher
les gousses qui la contiennent; aprés
ils ostent la semence de ces gousses,
qu'ils font soigneusement secher à l'ombre,
cela fait ils preparent un quarreau
de terre, qu'ils entourent & couvrent
de feüilles de Palmistes, & y
plantent les grains de Cacao à quelque
distance l'un de l'autre, ils couvrent
ces quarreaux de terre durant le jour à
cause de l'ardeur du Soleil, & les découvrent
pendant la nuit, afin que la
rosée humecte la terre, & en usent ainsi
jusqu'à ce que cette semence ait produit
de perits arbres de la hauteur de
deux pieds. Pendant que cette pepiniere
croist, on prepare un autre lieu
pour y transplanter les arbres, & ce
lieu doit estre au bord d'une riviere


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dans un païs plat & assez humide. Il
faut sur tout que la terre en soit bonne
& un peu meslée de sable. Cette place
ainsi preparée, on y plante des rangées
de Bannaniers, dont nous avons déja
parlé, aussi prests l'un de l'autre que
l'on veut que les arbres de Cacao le
soient. Lors que ces Bannaniers ont
pris racine on plante au pied de chacun
d'eux un Cacaoyer, & cela afin que
l'ardeur du Soleil ne nuise point à ces
petits arbres, qui sont trop delicats
pour en pouvoir souffrir l'ardeur, &
qui en sont preservez par l'ombre que
forme les bannaniers. On les entretient
de cetre sorte, jusqu'à ce qu'ils soient
gros comme le bras, ce qui arrive en un
an & demi ou deux ans de temps, aprés
on arrache tous les bannaniers, & on
laisse les cacaoyers seuls, lesquels rapportent
du fruit ordinairement deux
fois l'année, la premiere au mois de
Mars, la seconde au mois de Septembre.

Il ne faut pas oublier qu'on est toûjours
obligé de les tenir humides, &
empêcher qu'il ne croisse des herbes
à l'entour; & toutefois cela n'occupe
point tant que deux ou trois Esclaves
ne soient capables d'entretenir un jardin


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planté de cinq à six mille pieds de
ces arbres.

La recolte du fruit qui vient de
ces arbres se fait ainsi. Lors que les
gousses qui sont vertes en croissant deviennent
jaûnes en meurissant, on les
coupe & on les ouvre. On en tire les
grains qu'il faut prendre soin de nettoyer
des fibres succulentes qui les envelopent,
on les met ensuite secher au
Soleil sur de grandes tables, pour en
tirer cette semence dont les Espagnols
font un tres-grand commerce, tant
chez eux que chez les étrangers, mais
particulierement chez eux; je puis assurer
comme une chose vraye qu'il s'en
negocie tous les ans pour plus de dix
millions; & elle est si precieuse qu'il

Chocolat
monnoye ordinaire
des
Indes.
y a beaucoup d'endroits dans l'Amerique
où l'on s'en sert au lieu de monnoye,
on en donne douze à quatorze
grains pour une reale d'Espagne.

Le Païs où l'on en fait plus de commerce,
sont les Isles de la Trinité, du
Perou, & autres lieux. De là les Juifs
la transportent dans tous les Royaumes,
comme en France, en Angleterre,
en Hollande, en Suede, en Dannemark
& en Italie, où il s'en consomme


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beaucoup. Cependant il arrive que
la plus grande partie des Nations de
l'Europe l'achetent plûtost pour sa grande
reputation, que pour l'utilité qu'ils
en tirent, parce qu'ils y sont ordinairement
trompez.

En effet, l'avarice & l'avidité de ceux

Tromperie
de ceux qui
vendent le
Chocolat.
qui vendent cette liqueur, est telle,
que pour gagner beaucoup, ils donnent
du laict à boire, dans lequel ils
meslent des choses qui ne sont rien
moins que le Chocolat; & l'on peut
dire avec verité, comme je l'ay déja
remarqué cy-dessus, qu'il n'y a que les
Espagnols qui le sçavent bien preparer.
Or voicy comme je l'ay veu faire par
eux-mesmes aux Indes de l'Amerique.