Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes : contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ... |
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Barthelemi III. Avanturier. |
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Chapitre II. Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes : | ||
Barthelemi III. Avanturier.
L'histoire que je vais rapporter n'est
pas moins tragique, ny moins digne
de remarque que les precedentes. Barthelemy,
Portugais de nation, arma
une petite Barque à l'Isle de la Jamaïque,
qu'il monta luy-mesme. Il avoit
trente hommes, & quatre petites pieces
de canon, tirant chacune trois livres de
balles. Estant sorti du port de la Jamaïque
avec un bon vent, & à dessein
d'aller croiser devant le Cap de Corientes,
qui est une pointe au Soroest de
l'Isle de Cuba, que les navires qui viennent
de Caraco ou de Cartagene, & qui
Espagne, ou Havana, viennent ordinairement
reconnoistre. Il n'eut pas
esté là long-temps, qu'il découvrit un
Navire qui avoit assez belle apparence,
& mesme d'estre trop fort pour luy.
Il consulta son Equipage, pour sçavoir
ce qu'il y avoit à faire. Tous luy dirent
qu'ils étoient resolus de faire ce
qu'il voudroit, puis qu'il ne falloit
point perdre d'occasion, & qu'il étoit
impossible d'avoir quelque chose sans
beaucoup risquer: Là dessus ils se preparerent
tous, & donnerent la chasse à
ce Navire, qui n'en fut pas fort allarmé,
car il les attendoit.
Ordinairement quand les Navires
Espagnols viennent là, ils sont toûjours
sur leur garde, aussi bien que les
navires de l'Europe, lors qu'ils passent
le Cap S. Vincent, à cause des Turcs
qui sont là à croiser.
Nostre Avanturier ne fut pas plûtost
à la portée du canon de ce navire Espagnol,
qu'il essuya toute sa volée, qui
ne fit pas grand mal. Il n'y répondit
rien, mais fut tout d'un coup à bord.
Les Espagnols qui estoient forts, se défendirent
si bien, qu'il fallut se battre
sont extrémement adroits à tirer,
ils quitterent les costez du vaisseau,
se mirent derriere, & commancerent
à faire feu: ils ne tiroient jamais qu'ils
ne vissent & qu'ils ne tuassent du monde;
si bien que dans quatre ou cinq
heures ils rendirent l'Espagnol incapable
de resister.
Quand ils virent les Espagnols ainsi
affoiblis, ils tenterent une seconde fois
de monter à bord; ce qui leur reüssit,
& se rendirent maistres du navire avec
perte de dix hommes, & de quatre
blessez seulement; si bien qu'ils ne restoient
plus que quinze hommes & le
Chirurgien, pour gouverner ce navire
qu'ils trouverent monté de vingt pieces
de canon, & de soixante-dix hommes,
dont il n'en restoit plus que quarante
en vie, la plus grande partie estant
blessez & hors de combat. Ils jetterent
aussi-tost les morts dans la mer, & mirent
les Espagnols sains & blessez dans
leur Barque, qu'ils leur donnerent pour
aller chez eux; & aprés se mirent à
raccommoder les cordages & les voiles,
& à voir le butin qu'ils avoient fait. Ils
trouverent la valeur de soixante & quinze
de Cacao, qui pouvoient encore
valoir cinquante mille écus.
Aprés qu'ils eurent mis le navire en
état de naviger, ils firent route pour
l'Isle de la Jamaïque; mais un vent
contraire, qui rendit le Courant de même,
les obligea à relâcher au Cap de
S. Antoine, qui est la pointe Occidentale
de ladite Isle de Cuba, où ils prirent
de l'eau, dont ils avoient besoin. Le
mauvais temps passé, ils se remirent à
la voile pour faire route.
Estant un peu écartez de la terre, ils
aperceurent trois navires qui leur donnoient
la chasse; mais le leur extrémement
chargé ne put pas les porter hors
du danger. Il se trouva que ces navires
estoient Espagnols, moitié armez en
guerre, & moitié en marchandise, à qui
il fallut que nostre Avanturier se rendist:
& fut fait prisonnier luy & tous
ses gens.
Comme il parloit naturellement Espagnol,
il s'adressa au Capitaine du
vaisseau sur lequel il estoit, dont il fut
Equipage & son butin, en la ville de
S. Francisco de Campesche, qui est une
eatum.
Les Espagnols y estant arrivez, furent
bien receus & visitez des principaux de
la Ville, Marchands & autres. Chacun
felicita le Capitaine qui avoit fait cette
belle prise. Entre tous ceux qui venoient
visiter ce Capitaine, il y eut un
Marchand qui reconnut Barthelemy,
& qui le demanda au Capitaine dont il
estoit le prisonnier. Ce Capitaine répondit
qu'il ne le rendroit pas; l'autre
luy repliqua que ce prisonnier estoit le
plus grand scelerat du monde, ayant
fait luy-seul plus de mal aux Espagnols,
que tous les autres Avanturiers ensemble:
car il estoit si cruel, qu'il avoit
fait mourir martyrs plusieurs Espagnols.
Lorsque le Marchand Espagnol vit
que l'autre ne luy vouloit point donner
ce prisonnier, il fut vers le Gouverneur,
& luy dit que l'Avanturier qui
avoit tant fait de mal aux Espagnols,
estoit pris, mais que le Capitaine qui
l'avoit entre les mains ne le vouloit pas
donner. Le Gouverneur le demanda au
nom du Roy, & le Capitaine fut obligé
de livrer nostre Avanturier, qui fut
qui l'avoit pris, voulut prier
pour luy: mais cela n'empescha pas qu'on
ne le mît prisonnier; & ne le croyant
pas en seureté dans la Ville, à cause qu'il
estoit subtil, on l'envoya sur un navire,
les fers aux pieds & aux mains. Il fut
là quelque temps sans sçavoir ce qu'on
vouloit faire de luy: mais à la fin quelques
Espagnols luy dirent que le Gouverneur
avoit resolu de le faire pendre.
Ce qui l'effraya tellement, qu'il imagina
tous les moyens possibles pour
échaper.
Il trouva le secret de rompre ses fers,
& prit deux gerres, qu'on nomme potiches,
les boucha bien, & les attacha
avec deux cordes à ses costez: de cette
sorte il se laissa doucement couler à l'eau,
aprés avoir tué la Sentinelle qui le gardoit:
& comme la nuit estoit fort obscure,
il eut le temps de nager jusques
à terre, où estant arrivé il s'alla cacher
dans le bois. Il eut assez de prudence
pour ne pas marcher dés qu'il fut à
terre, de peur d'estre découvert: au
contraire il monta une Riviere qui
estoit bordée de haliers fort obscurs, &
se cacha dans l'eau trois jours & trois
à le chasser avec des chiens, selon la
coûtume des Espagnols, ils n'eussent
point de frais.
Comme il crût qu'il n'y avoit plus
de danger, il alla un soir vers le bord
arriver à un lieu, dont il n'étoit qu'à
trente lieuës, nommé le Golphe de
Triste, où toute l'année il se rencon tre
des Avanturiers: cependant il ne pouvoit
faire ce chemin par terre sans un
grand peril, à cause qu'il faloit passer
plusieurs rivieres à la nage, pleines de
Crocodiles & de Requiems. Il estoit
aussi en danger d'estre attaqué des bêtes
sauvages. Quand il venoit pour passer
une riviere, comme je viens de le
dire, qui estoit perilleuse, il jettoit auparavant
quantité de pierres, afin d'épouvanter
ces animaux, & aprés il passoit.
Il en passa plusieurs de cette maniere
sans estre attaqué de ces monstres.
Dans le milieu de son chemin il fut
obligé de faire cinq ou six lieuës sur
des arbres, sans mettre pied à terre. J'ay
déja parlé de ces arbres, qui se nomment
Mangles. Enfin il parvint en
douze jours au Golfe de Triste, pen-
coquillages tout crus, qu'il rencontroit
au bord de la mer. Il fut encore assez
heureux, qu'arrivant à Triste il trouva
des Avanturiers de sa connoissance,
François & Anglois, à qui il conta tout
ce qui luy estoit arrivé, & leur proposa
que s'ils vouloient ils pourroient
avoir un navire pour se monter & aller
en course: car alors ils n'avoient point
d'autres bâtimens que des Canots.
Il les exhorta donc de l'aider, &
leur dit que pour cela il faloit aller dix
à douze hommes dans un de leurs Canots,
& de nuit le long de la coste,
sans se faire découvrir, quoy qu'il n'y
eust pas grand danger, parce que quand
on verroit un Canot, on ne s'en étonneroit
pas, veu qu'il y en avoit assez le
long de la coste, qui peschoient; mais
qu'il faloit bien prendre son temps pour
ne pas manquer le coup, sur tout à present
qu'il n'y avoit pas grand monde.
Ce qui fut exactement observé de ceux
à qui il sit cette proposition, lesquels
pour cet effet se soûmirent & s'abandonnerent
volontiers à sa conduite. Ils
estoient treize en tout, en comptant
nostre Avanturier, pour executer cette
entreprise.
Ils vinrent environ au milieu de la
demanda, qui va là? Nostre
Avanturier qui parloit fort bon Espagnol,
répondit qu'ils estoient des leurs,
venans de terre avec quelques marchandises
qu'on leur avoit données à porter
à bord, pour ne point payer de doüane.
La Sentinelle, dans l'esperance d'avoir
sa part du butin, ne fit point de
bruit, & en laissa entrer trois ou qua-
tre, qui la tuerent aussi-tost, & coururent
à l'instant aux autres en faire autant,
couperent le cable, & s'enfuirent
avec le navire, où avant qu'il fust jour,
ils estoient hors de la veuë de Campeche.
Ils furent querir le reste de leurs
camarades, qui estoient demeurez à
Triste; & aprés se mirent en devoir de
gagner la Jamaïque, afin d'armer ce
vaisseau.
Mais il semble que plus la fortune
nous est contraire, plus elle se plaist à
l'estre: car ces pauvres gens fe rencontrerent
à la bande du Zud de l'Isle de
Cuba, où ils furent pris d'un mauvais
temps qui les jetta sur des Recifs, qu'on
nomme les Iardins de l'Isle de Pin, où
leur Bâtiment fut perdu sans pouvoir
perte, car il-estoit plus d'à moitié chargé
de Cacao. Ce qu'ils purent faire fut
de se sauver avec leurs Canots, & de
gagner l'Isle de la Jamaïque, où aprés
chacun chercha fortune. On envoya
en Espagne ceux qui furent pris avec
Barthelemy, accompagnez des mêmes
gens qui les avoient arrestez, d'où on
les vit bien-tost de retour à la Jamaïque.
Voilà quelle fut l'avanture de Barthelemy
dans ce voyage. Il en eut depuis
beaucoup d'autres, qui pourroient
passer pour un Roman, si je les racontois.
Enfin je l'ay vû mourir miserable
avant de passer en Europe, comme je
le feray voir dans la suite.
Chapitre II. Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes : | ||