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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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 II. 
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 IV. 
 V. 
 VI. 
Chapitre VI.
 VII. 
 VIII. 
 X. 
 X. 
 XI. 
 XII. 
 XIII. 
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Chapitre VI.

Description generale de l'Isle Espagnole
appellèe S. Domingue: le nombre
des Villes, des Forts, des Rivieres
& des Isles qui sont autour.

L'Isle Espagnole est située en sa longueur
du Levant au Ponant depuis
le dix-septiéme degré trente minutes de
latitude Septentrionale Elle peut avoir
trois cens lieuës de circuit, cent cinquante
de long, & cinquante à soixante
de large. Chacun sçait assez qu'en l'année
1492. Dom Fernando Roy d'Espagne
envoya Christophe Colomb aux

Découver
de C. Colomb.

Indes de l'Amerique, lequel découvrit
cette Isle, & la nomma Hispagnuola,
dont elle a depuis retenu le
nom.

Le terroir en est admirable, ce qui
se voit par la quantité des grandes Forests
de toutes sortes de beaux arbres,
tant fruitiers qu'autres, qui y sont si
prés l'un de l'autre, qu'à peine on y
peut passer; outre qu'estant cultivé,
il produit en abondance toutes sortes


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de fruits pour la subsistance des habitans.

Cette Isle est remplie de tres-belles
prairies, que les Espagnols nomment
Savanas, arrousées d'un grand nombre
de tres-belles & grandes rivieres, dont
quelques unes sont capables de porter
batteau. On y trouve plusieurs mi-

Mines qui
se trouvent
dans l'Isle Espagnole.

nes d'or, d'argent & de fer. Il y a fort
peu de temps qu'un Espagnol foüissant
en terre, rencontra quantité de vif argent.
Ne sçachant ce que c'estoit, il le
Surprise
d'un Espagnol
qui découvrit
du vif
argent.
voulut prendre pour le faire voir; mais
n'ayant pas de vaisseau propre à mettre
ce furet subtil, qui passe par les pores
les plus petits, il en mit quelque peu
dans sa poche, & quand il fut à la Ville
il ne put rien montrer, ayant perdu
son metal. Ce mesme Espagnol me l'a
dit. Pour de l'or qui croist là, j'en ay
vû; & il y a une montagne proche
une Ville nommée S. lago Cavallero,
vers l'Orient de cette Isle, où quand
il a bien plû, les eaux descendent en
abondance dans les Rivieres, & y apportent
de petits morceaux d'or, que
les Esclaves vont chercher quelque
temps aprés. On en trouve qui pezent
jusques à un demy écu d'or.


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Les Espagnols, comme j'ay déja dit,
ont esté les premiers Chrestiens qui ont
découvert & habité cette Isle, aprés
avoir exterminé plusieurs Nations d'Indiens
qui y demeuroient; ce qui se voit
dans l'histoire de l'usurpation des Espagnols,
écrite par un Espagnol même.
On y trouve encore aujourd'huy
des cavernes voûtées sous des rochers,
qui sont toutes remplies des ossemens de
ces Indiens massacrez. Cela fait connoistre
qu'ils ont exercé de grandes
cruautez dans ces païs, & qu'ils n'en
sont pas demeurez maistres sans beaucoup
de peines.

En effet, quelques Autheurs dignes
de foy rapportent que les anciens habitans
de ces lieux estoient des hommes
aussi sauvages que barbares, qu'ils vivoient
brutalement, allant tout nuds,
se nourrissant de racines, dormant par
les montagnes, ou derriere les buissons.
Les femmes mesmes suivoient leurs maris
à la chasse, & laissoient leurs enfans
suspendus aux branches d'un arbre dans
un petit panier de jonc, lesquels se
passoient d estre allaictez jusqu'au retour
de leur mere. Ces peuples ne connoissoient
ni Dieu, ni Superieur, ni


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Loy, ni Coûtume; ainsi il estoit difficile
de les reduire par adresse, encore
plus par la force: combattre avec eux,
estoit proprement chasser aux bestes
sauvages, qui se cachent aux lieux les
plus inaccessibles. Ces gens ayant une
fois perdu la crainte des chevaux & des
fuzils, qui d'abord les avoient fort
étonnez en les renversant; & s'apercevant
que les Espagnols tomboient aussibien
que les autres hommes d'un coup
de pierre ou de fleche, ils se hazardoient,
& penetroient dans leurs armes: jusques
là que l'un des Indiens dont je parle,
se trouvant un jour pressé dans un lieu
étroit, voyant un de ses compagnons
tué à son costé, & la pique d'un Espagnol
preste à luy donner dans le ventre,
sans hesiter il s'enferra luy-mesme, &
Intrepidité
des Indiens.
à travers cette pique qu'il avoit dans le
corps, courut furieux à son ennemy,
qu'il fendit d'un coup de sabre, qu'il
luy arracha lors qu'il y pensoit le moins;
en sorte qu'ils tomberent tous deux baignez
dans leur sang en mesme temps &
en mesme place.

Par là on peut juger du reste, & de
la difficulté qu'il y a eu à les vaincre, &
sur tout à les convertir à la Foy; parce


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qu'il leur faloit apprendre à estre hommes
avant que de leur apprendre à estre
Chrestiens, & sans doute que l'un estoit
aussi difficile que l'autre. C'est pourquoy
les Espagnols les ont détruits autant
qu'ils ont pû; & aprés cette destruction
ils se sont établis dans l'Isle,
& l'ont aussi peuplée de beaucoup de
sortes d'animaux à quatre pieds, quin'y
estoient point auparavant, comme
Bœufs, Chevaux, Sangliers; & puis
ils y ont bâti des Villes, des Bourgs,
& de tres-belles habitations, dont on
ne voit plus aujourd'huy que les vestiges;
parce que les Hollandois en ont détruit
la plus grande partie: Et comme
les Espagnols faisoient tous les jours de
nouvelles découvertes dans cette partie
des Indes, plusieurs ont quitté cette Isle
pour aller en terre ferme, où ils ont
bâti des Villes aussi belles & aussi grandes
qu'il y en ait en Espagne.

Les François y estant venus, s'y sont
tellement accrus, qu'aujourd'huy ils
sont plus en état d'en chasser les Espagnols,
que les Espagnols d'en chasser
les François. Ils ont plus de la moitié
de cette Isle, qui contient un fonds de
terre le meilleur du monde, mais elle


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n'est défenduë d'aucune Forteresse.

La Ville Capitale de cette Isle se
nomme S. Domingue. Colomb y estant

Pourquoy
l'Isle Espagnole
est appellée
S. Doruingue.

descendu un jour de Dimanche, &
trouvant la place commode, y fit bâtir
cette Ville, qu'il nomma Santo Domingo,
qui veut dire Dimanche. Elle
est toute entourée de murailles, & il y
a un Fort qui deffend l'embouchure de
la riviere, sur le bord de laquelle elle est
bâtie. Elle est ornée tout au tour de
beaux jardinages & de riches habitations.
A l'égard de la police, elle est
gouvernée par un homme qui est Capitaine
General de toute l'Isle.

Pour ce qui dépend des Espagnols,
il y a Presidial, grande Audience, &

Etat Ecclesiastique
de
l'Isle Espagnole.

Chancellerie Royale; & quant à l'Etat
Ecclesiastique, il y a un Archevesque
qui possede plusieurs Eveschez & Abbayes
Suffragans, comme je le feray
voir plus particulierement au Traité
des Etats du Roy d'Espagne dans les
Indes de l'Amerique. Il y a aussi une
Université, plusieurs Convents de Religieux
de divers Ordres, comme Cordeliers,
Jacobins & Augustins.

Le port de cette Ville est fort beau,
& peut contenir des Flotes considerables,


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sans estre endommagées que du
vent du Zud. C'est icy le seul port de
toute cette Isle, où les Espagnols negocient:
il y en a beaucoup d'autres, mais
ils n'en sont pas les maistres, & ils n'oseroient
y entrer, à cause des Avanturiers.
Cette Ville fournit les places que
les Espagnols ont dans cette Isle, de
toutes sortes de marchandises, & des
choses necessaires à la vie; & les habitans
des autres Villes y apportent leurs
marchandises, afin de les vendre sur le
lieu, ou de les embarquer pour estre
transportées en Espagne ou ailleurs.

A vingt lieuës de cette Ville de Santo
Domingo, vers l'Orient de l'Isle, il y
a encore une petite Ville nommée S.
Iago Cavallero.
Cette Ville est champestre,
& n'est aucunement fortifiée.
Ses habitans sont quelques Marchands,
& le reste tous Chasseurs. Ils ne font

Commerce
des Boucaniers.

autre commerce que de cuirs de Bœuf,
& de Suif, qu'ils portent vendre à S.
Domingue. On voit plusieurs prairies
autour de cette Ville, où il y a quantité
de bestail. Vers son Midy, au bord
de la mer, on trouve un gros Bourg
nommé le Cotui, qui est rempli de
maisons, & d'habitans qui ne font autre

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chose que de planter du Tabac &
du Cacao, de quoy on fait le Chocolat.
Ces habitans navigent de là à une
petite Isle nommée Sarna, qui n'en
est éloignée que de cinq à six lieuës.
Cette Isle est couverte d'arbres, &
toute deserte. Le terrain en est plat,
sablonneux, & ne produit point d'autre
bois que du Gayac. Il n'y a point
d'eau, & quand les Espagnols y vont,
ils sont obligez de faire des puits pour en
avoir. Ils l'avoient autrefois peuplée de
bestes à cornes; mais les Avanturiers y
Destruction
du bestail par
les Avanturiers.

estant venus, les ont entierement détruites.
C'est ce qui fait que les Espagnols
I'ont abandonnée, & n'y viennent
qu'en passant pour y pescher.

Du costé du Ponant de S. Domingo,
au Midy de l'Isle, s'ouvre une grande
baye nommée la baye d'Ocoa, qui
peut contenir quantité de vaisseaux Sur
cetre baye est situé un gros Bourg qu'on
nomme le Bourg d'Asso. Ceux qui
y demeurent ne font point d'autre trafic
que de Cuirs & de Tabac. L'on y

Hattos ce
que c'est.
voit plusieurs Hattos, qui signifie en
Espagnol une maison de campagne, où
se retirent les Chasseurs, & où l'on
nourrit quantité de bestes privées. Ces

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Hattos appartiennent à des Seigneurs,
qui y laissent leurs Esclaves pour les garder.
Proche ce Bourg d'Asso il y en a
un autre nommé S. Jean de Goave, lequel
est bâti au bord d'une grande prairie,
que les Espagnols nomment La Savana
grande de S. Iuan,
& les François,
le Grand Fonds. Ces deux Nations
se sont souvent escarmouchées
dans cette grande prairie, comme je le
feray voir au Chapitre de la vie des
Boucaniers. Le Bourg de S. Jean de
Goave n'est habité que de Mulatos,
qui signifient gens do sang meslé. Il faut
expliquer ce que c'est que Mulatos, &
de combien il y en a de sortes.

Lors qu'un homme blanc se mêle
avec une femme noire, les enfans qui
en proviennent sont demy noirs, &
sont nommez Mulatos par les Espagnols,
& par les François Mulatres.
Quand un homme blanc se mêle avec

Ce que signifie
Mulatres
& Quarteronnes.

une femme Mulatre, les enfans qui en
proviennent sont nommez Quarteronnes
par les Espagnols, & par les François
Mulates. Ils ont le fond des yeux
jaune, sont hideux à voir, de mauvaise
humeur, traistres, & capables des plus
grands crimes. L'on void aujourd'huy

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plusieurs endroits dans l'Amerique,
qui ne sont peuplez que de ces genslà,
que les Espagnols & les Portugais
ont produits, parce qu'ils sont fort
adonnez aux femmes noires Indiennes.
Ce n'est pas que les François &
les autres peuples n'y soient aussi adonnez;
mais on n'en voit pas tant de leur
espece, à cause qu'ils n'y sont pas en si
grand nombre.

Le Bourg de S. Jean de Goave n'est
donc peuplé que de ces gens qui sont
la pluspart esclaves des Marchands de
S. Domingue. Voilà tout ce qui appartient
aux Espagnols dans cette Isle. Il
ne reste plus qu'à décrire ce que les
François y possedent.

Les François tiennent sous leur domination
depuis le Cap de Lobos, ou le

Païs possedé
par les
François.
Cap de la Beatta, qui est aussi au Midy
de cette Isle vers le Ponant, jusqu'au
Cap de Samana, qui est au Nord
de ladite Isle, vers le Levant. Il est vray
que ces lieux ne sont pas peuplez par
tout, parce que le païs dont je viens
de parler, pourroit contenir dans son
étenduë autant de monde que les deux
principales Provinces de France.

Les endroits que les François habitent


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le plus, sont ceux cy, depuis le Cap de
Endroits habitez
par les
François.
Lobos, qui est au Midy de l'Isle, jusqu'au
Cap de Tibron, qui est la pointe
du Ponant de cette Isle. On n'y voit
que des Chasseurs. Il y a eu autrefois
quelques habitans; mais comme aucuns
navires Marchands ne vouloient se donner
la peine d'aller charger chez eux, à
cause que ce lieu estoit trop éloigné,
ils ont quitté leurs habitations, quoy
qu'elles fussent assez belles.

Depuis le Cap de Lobos jusqu'au
Cap de Tibron, il y a de fort beaux
havres, dont le fonds est de bonne tenuë,
& où l'on met facilement des
Flotes à l'abri de tous les vents, où enfin
l'on ne peut rien souhaiter pour la
seureté des vaisseaux, que la nature
n'ait fait; outre que tous ces ports sont
embellis de grandes Rivieres poissonneuses.
Les noms de ces ports sont Iaquemel,
où les Espagnols ont eu autrefois
un Fort; Jaquin, l'Abbaye S.
Georges, l'Abbaye aux Haments, le
Port Congon,
qui est entouré de plufieurs
Isles, entre lesquelles il y en a
une nommée par les Espagnols Ybaca,
& par les François, Isle à Vache. Cette
Isle est située le long de la grande Isle,


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elie peut avoir trois à quatre lieuës de
long, & huit de circuit. Le terroir en
est fort bon, & consiste en beaucoup
de prairies. Les Espagnols y ont mis des
Bœufs & des Vaches, que les Boucaniers
ont détruites. La terre est basse en
divers endroits, & il s'y trouve quelques
marécages pleins de Crocodiles,
qu'on nomme en ce païs Cayamans,
qui ont aussi détruit une partie de ces
animaux. Je parleray de la subtilité de
ces Crocodiles dans le chapitre des Reptiles.

On ne peut pas bien demeurer sur
cette Isle, à cause de la quantité de certains
petits Moucherons qui sont fort
incommodes, comme on le verra au
chapitre des Insectes. La grande Isle
contient de fort belles plaines vis-à-vis,
qui sont arrousées de grandes rivieres:
si bien qu'on y pourroit faire de tresbelles
Sucreries à fort peu de frais, veu
qu'on a déja l'experience que le Sucre
que les Espagnols ont autrefois fait au
mesme costé de cette Isle, estoit tresbon.
De là jusqu'au Cap de Tibron, il
n'y a point de ports, mais une coste
agreable & fort unie, d'où sortent plusieurs
Rivieres.


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Le Cap Tibron contient une grande
Rade, dont le fonds est bon, & qui
ne manque pas de Rivieres tres-belles,

Rade où les
Avanturiers
abordent.
& fort abondantes en poisson. Les
Avanturiers, tant Anglois que François,
viennent là souvent pour prendre de
l'eau & du bois. Vers ce Cap il s'éleve
une haute montagne, de dessus laquelle
on découvre celle de Santa Martha,
qui est en terre ferme, éloignée de cent
vingt lieuës de celle-cy: & l'on void
encore les Isles de Cuba, & Jamaïca.
De l'autre costé de ce Cap, qui est le
Septentrion de l'Isle, on monte vers
l'Orient environ vingt lieuës: l'on
trouve le Cap Dona Maria, enrichi
d'un beau port, de grandes Rivieres,
& de vastes Plaines que l'on peut cultiver.
De là suivant la mesme route, l'on
trouve la grande Ance, qui est un lieu
fort agreable habité par les François,
dont les maisons sont situées sur le bord
d'une tres-belle Riviere. Fort prés de
là, vers l'Orient, paroissent plusieurs
petites Isles nommées Cayemittes: les
Espagnols les ont ainsi appellées, parce
qu'elles ressemblent à un fruit qui porte
ce nom. Les habitans vont à ces Isles
pour y pescher des Tortuës, qui servent

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à leur nourriture. De ces Isles allant
le long de la coste, on trouve en-
Description
Geographique.

core deux quartiers où les François habitent,
qu'on nomme la Riviere de Nipes,
& le Rochelois, à cause qu'un Rochelois
en a esté le premier habitant.
De là on va aux trois plus celebres Contrées
que les François ayent sur cette
Isle; qui sont le petit Goave, le grand
Goave, & Leau-ganne. Ce mot est dérivé
du nom Espagnol Liguana, qui
signifie en François Lezart, parce que
cette Contrée a une pointe de terre fort
basse, qui ressemble fort bien à un bec
de Lezart. Ce furent les habitans de ces
lieux qui se revolterent contre M. d'Ogeron.

Au sortir de cet endroit on va au
fond d'une grande Baye, dont l'embouchure
a bien cinquante lieuës de large.
Devant cette Baye il y a une Isle qui a
plus de sept à huit lieuës de tour, qu'on
nomme Gonave, qui n'est nullement
habitée, & qui ne merite pas de l'estre.
Du fonds de cette Baye, que les François
nomment Cul de Sac, on vient
le long de la coste, au Septentrion, jusqu'au
Cap S. Nicolas, formant une
pointe qui avance au Nord; où il y a


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un tres-beau port, qui pourroit contenir
un grand nombre de vaisseaux. En
suite on monte le long de la coste vers
l'Orient, on y trouve le port de Moustiques,
que les François occupent encore,
avec les deux Ports de Paix, grand
& petit, baignez de trois Rivieres, qui
sortent par trois divers canaux. Ces Rivieres
sont quelquefois si grosses, qu'elles
donnent de l'eau douce à deux
lieuës de leur embouchure en pleine
mer. De là, le long de la mesme coste,
on rencontre encore plusieurs lieux où
les François se sont étendus, & ces
lieux se nomment l'Orterie, le Massacre,
ainsi appellé, à cause que les Espagnols,
par surprise, y ont autrefois
massacré quelques François qui venoient
de la Tortuë, pour y tuer des
Sangliers. Du Massacre on passe la petite
Riviere qui est au port Margot,
dont j'ay déja parlé.

Il y a encore plusieurs autres endroits
que les François habitent, mais ils n'y
font point de commerce que celuy du
Tabac; c'est pour cela que toutes leurs
demeures sont situées sur le bord de la
mer, ou du moins le plus prés qu'ils
en peuvent estre, afin de n'avoir pas tant


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de peine à porter leur tabac pour l'embarquer,
& aussi à cause qu'ils ont besoin
d'eau de la mer pour le tordre.

Salines de
l'Amerique.
Il y a dans cette Isle de tres-belles
Salines, qui sans estre cultivées, donnent
du sel aussi blanc que la neige, &
estant cultivées en pourroient fournir
davantage que toutes les Salines de
France, de Portugal & d'Espagne. Il
se rencontre de ces Salines au Midy,
dans la Baye d'Ocoa, dans le cul de
sac à un lieu nommé Coridon, au
Septentrion de I'Isle vers l'Orient; à
Caracol, à Limonade, à Montecristo.
Il y en a encore en plusieurs autres
lieux, & ce ne sont icy que les principales.
Outre ces Salines marines, l'on
trouve des mines de sel dans les montagnes,
qu'on appelle icy sel Gemmé,
qui est aussi beau & aussi bon, que le
sel marin. Je l'ay moy-mesme éprouvé,
& l'ay trouvé beaucoup meilleur que le
premier.

Voila ce me semble ce qui se peut
dire en general de cette Isle; il ne reste
plus qu'à parler de ce que la nature y
fait croistre sans cultiver, pour la subsistance
des habitans du païs.