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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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 I. 
 VII. 
 VIII. 
Chapitre VIII.

  
  

Chapitre VIII.

Estat des païs qui sont aux plus puissans
Monarques de l'Europe
dans l'Amerique.

LE Roy de France possede beaucoup
de païs dans l'Amerique
Septentrionale, apellée Nouvelle France.
Il ne sera pas hors de propos de dire icy
un mot de l'origine & des progrez de
l'établissement des François dans cette
grande partie de l'Amerique Septentrionale,
& d'en faire mesme une courte,
mais exacte description, afin que les
François qui n'ont jamais esté sur les
lieux, & qui s'interessent à la gloire de
la Nation, puissent connoistre par l'étenduë,
& par la beauté de ce païs, l'avantage
& l'importance de cet établissement.

Tout ce païs est extremément étendu,
principalement du costé du Couchant,
où l'on fait tous les jours des


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découvertes considerables. Le grand
Fleuve de Saint Laurent le divise comme
en deux parties; l'une Septentrionale,
l'autre Meridionale. Ces principales
parties sont, l'Acadie, le Canada,
le Saguenay, le Païs des Hurons, des
Iroquois,
& autres.

Les Normands en découvrirent quelques
côtes en l'an 1508. puis Jean Verazzani
y fut envoyé en 1524. par le
Roy François premier, & en prit possession
en son nom, & fut le premier
qui descendit en terre ferme de ce
côté-là, & en découvrit plus de trois
cent lieuës. Jacques Quartier y fut
en suite en 1534. & entra assez avant
dans le païs, que l'on commença à
nommer alors la Nouvelle France, &
dans le grand Fleuve de Saint Laurent,
où peu à peu on fit quelques habitations
Françoises; mais on y estoit en fort
petit nombre jusqu'en 1603. que le
sieur Samuel Champlain y fut, & y
établit quelques Colonies vers l'Acadie
qui en fait partie. Puis en 1608. il
commença à s'habituer à Quebec, & à
quelques autres endroits de la grande
Riviere, en sorte que l'on peut dire
que c'est luy qui a fort contribué par


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ses soins, & par ses divers voyages, à
l'établissement des François en ce grand
païs.

La ville de Quebec en est la Capitale,
scituée sur la fameuse Riviere de
Saint Laurent, où il y a encore les habitations
de Mont-Real, les trois Rivieres,
Port-Royal, Saurel, ou Richelieu,
le Cap Chambly, & le Fort Frontenac,
& entre les Lacs les plus remarquables,
il y a le Lac Superieur, le
grand Lac des Hurons, le Lac Erié.
le Lac des Ilinois, avec d'autres qui
ne sont pas d'une si vaste étenduë: La
grande Isle de Terre Neuve fait aussi partie
de ce païs, ainsi que celles de l'Assomption,
de Saint Iean, & du Cap
Breton,
qui sont dans le Golphe de
Saint Laurent.

Louys XIII. d'heureuse memoire,
donna ordre d'y envoyer du monde de
temps en temps, & fit mesme rendre
par la paix de 1628. quelques places
dont les Anglois s'étoient saisis en ce
païs-là, & y établit une Compagnie de
Marchands pour le trafic, ce qui a esté
assez avantageux: mais comme l'on
n'en prenoit pas trop de soin, on peut
dire que la Nouvelle France n'a commencé


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à se bien peupler, que depuis
l'an 1660. qu'on y a basty des habitations
considerables, au lieu qu'autrefois
c'étoit des maisons fort éloignées les
unes des autres. De plus, on y a établi
un Evesque, des Maisons Religieuses,
des Officiers, des Gouverneurs, &
on y a envoyé à plusieurs & diverses
fois des troupes reglées qui ont battu les
Iroquois. Mais presentement je puis assurer
que j'ay laissé les Franço is si forts
dans ce païs, qu'on les void plus en
état d'en chasser les Espagnols & leurs
autres ennemis, que d'estre chassez par
eux. En effet, s'ils attaquent c'est avec
succez, s'ils sont attaquez, c'est toûjours
vainement.

Outre cela, le Roy de France possede
encore les plus belles, & les meilleures
Isles des Antilles, qui sont, la
moitié de Saint Christophe, comme
aussi la Martinique, la Guadeloupe,
Marie galante,
la Grenade, Sainte Croix,
la Tortuë, dont les Habitans qui sont
François ont anticipé la plus grande
partie de l'Isle de Saint Domingue; ils
ont aussi l'Isle de la Cayenne, & au
premier ordre de leur Souverain Louys


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le Grand, ils pourroient en avoir encore
bien d'autres, puis qu'il semble que
le bruit de ses Conquestes les anime à
en faire dans ce païs, où ils s'étendent
autant qu'ils veulent. Je dis autant qu'ils
veulent, car estant Sujets d'un si grand
Roy, il semble qu'ils soient nez pour
estre maistres par tout.

Au reste, ce païs est assez peuplé
pour former une armée dans le besoin,
& assez riche pour l'entretenir, puis
qu'il fournit tout ce qui est necessaire
pour les Habitans; comme de toutes
sortes de vivres pour leur nourriture,
& de Marchandises pour leur profit, &
cela presque tout pour l'usage de ces mesmes
Habitans; car on peut dire que le
Roy de France ne maintient pas tant
ces Colonies pour l'avantage qu'il en
tire, que pour l'utilité qu'elles en reçoivent
elles-mesmes, & pour la gloire
du Nom François.

Le Roy de Portugal possede une des
plus agreables, & des plus fertiles parties
de l'Amerique, qui est presque toute
Meridionale du costé de l'Ocean, à
commencer depuis la fameuse Riviere


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des Amazones, jusques à l'Isle de Saint
Gabriel,
proche de la Riviere de la
Plate.
Dans cette longue étenduë de
païs qui contient plus de sept cent quatre-vingt
lieuës sont ces places, Para,
Chirmos, Ajaverisamo,
le tout dans la
Province d'Omagua. Ensuite toute la
coste de Maragnan, & du Brezil, dont
partie a autrefois appartenu aux Hollandois,
qui l'avoient pris des Portugais,
qui depuis l'ont repris sur eux. Ces
païs fournissent quantité de Sucre, de
Tabac, de Rocou, de Cotton, de
Cuir & de Bois qui servent à la teinture.

Le Roy d'Angleterre ne possede
rien dans l'Amerique, qui ne soit scitué
dans la partie Septentrionale. Il a à
la coste du continent du costé de l'Ocean,
depuis le Cap Anna jusqu'au
Cap Herry, la Virginie, qui donne
pour Marchandise du Tabac. Il a encore
la Nouvelle Hollande, qui a autrefois
appartenu aux Hollandois, qui
l'ont cedée par le dernier traité de paix
au Roy d'Angleterre, & ne laissent pas
d'estre encore aujourd'huy peuplée


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d'Hollandois, & s'appelle la Nouvelle
York:
Ce païs donne beaucoup de
fourrures, comme aussi la Nouvelle
Angleterre,
& outre cela ils fournissent
encore quantité de vivres qu'on
porte aux Isles des Caraïbes, nommées
les Antilles, où le Roy d'Angleterre
possede les Isles suivantes, qui sont la
Barbade, où est le General de toutes
les autres. Antigua, Mont-sarata,
Nieves,
la moitié de Saint Christophe,
Languille, Saba,
la Barboude, & enfin
une petite partie de l'Isle de Terra
Nova.

Les Anglois ont autrefois tenté de
Coloniser Santa Lucia, mais inutilement.
Les païs dont je viens de parler
fournissent quantité de Tabac, de
Sucre, d'Indigot, de Gingembre & de
Cotton. L'Isle de la Iamaïque est presentement
sous l'obeïssance de ce mesme
Roy: Elle sut prise par les Anglois
pendant que Cromvvel gouvernoit
l'Angleterre en qualité de Protecteur,
& que Philipe IV. regnoit en Espagne.

Les Hollandois ont aussi quelques


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contrées à cette mesme coste, sçavoir,
Aprouvvaca, Baurom, Suriname, &
Berbice, où ils ont des Colonies, mais
fort pauvres. Outre cela ils ont encore
quelques Isles, comme Tabago
dans les Antilles, que les François leur
ont prises dans les dernieres guerres, &
en suite abandonné. Ils possedent aussi la
moitié de Saint Martin, de Saint Eustache.
Toutes ces Isles sont steriles,
& ne meritent pas d'estre peuplées. Ils
ont encore à la coste de Caraco, ou
Royaume de la Nouvelle Grenade, vis
à vis la Province de Venezuela, les Isles
de Curaçao, Bonaire, & Aruba, qui
sont les meilleures, non pas pour les
fruits, ou pour les Marchandises qu'elles
rapportent, mais pour le profit qu'ils
en tirent à cause du commerce des Noirs
qu'ils font avec les Espagnols.

Le Roy de Dannemark a une petite
Isle dans celles qu'on nomme Vierges,
qui dépendent des Antilles. Il y
a encore aujourd'huy un Gouverneur
qui la possede au nom du Roy. Cette
Isle se nomme Saint Thomas.

Le Duc de Curland a esté le premier


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qui a Colonizé Tabago, mais
l'ayant aprés negligé, faute d'entretenir
la garnison, Messieurs Lamzoon
de Zelande y envoyerent un Navire,
& en prirent possession, prenant la garnison
à leur service, qu'ils ont toûjours
depuis payée & entretenuë.

J'aurois pû ajoûter encore la maniere,
dont les Princes que je viens de
nommer gouvernent ces Colonies,
comme j'ay fait à l'égard du Roy d'Espagne;
mais il y a des Relations pleines
de cela. C'est pourquoy je n'ay
voulu rapporter icy que les choses qui
regardent particulierement le Roy d'Espagne,
dont personne n'a encore jamais
parlé, à cause qu'il est expressément
défendu à tous les Etrangers de
commercer, ny mesme d'arrester parmy
ces Colonies, sous quelque pretexte
que ce soit, à moins qu'on ne
vueille s'exposer à perdre ses biens & sa
liberté, d'où l'on voit que les mesmes
choses que les Espagnols ont publié
par vanité au commencement de la découverte
des Indes, ils les cachent maintenant
par politique,


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On demandera, sans doute, par quel
privilege j'ay donc pû demeurer dans
ce païs assez long-temps, pour sçavoir
toutes les particularitez que j'en raporte,
& par quel moyen une piece aussi
sec ete, & aussi importante que ce Manuscrit,
a pû tomber dans mes mains,
c'est ce que je dois taire pour bien des
raisons; & d'ailleurs, je suis persuadé
que chacun, pour satisfaire sa curiosité,
se contentera de lire ce Manuscrit,
sans se mettre en peine comment j'auray
pû l'avoir.

Cela fait connoistre que plus les Espagnols
aportent de soins & de precautions
pour cacher les choses, plus les
Etrangers cherchent & trouvent de
moyens pour les découvrir: Je prétens
mesme que ce sont toutes ces précautions
qui animent davantage à les
vouloir découvrir. Il est vray que les
Espagnols sont naturellemẽt mysterieux;
mais aussi peut-on dire, qu'il leur est
de la derniere importance de l'estre
dans cette occasion, pour oster la connoissance
de ces choses, & qu'ils font
tout le contraire de ce qu'il faudroit
pour y réussir.


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Par exemple j'en sçay tel qui auroit
passé outre, sans songer à entrer dans ce
païs, encore moins à s'informer de ce
qui s'y passe, si les Espagnols ne deffendoient
expressément l'un & l'autre; car
c'est l'ordinaire de negliger ce qui est
permis, & de rechercher ce qui est deffendu.
Cependant comme cela est cause
qu'on a apris beaucoup de particularitez
singulieres, qu'on n'auroit jamais
aprises, les Voyageurs & le Curieux
ont grand interest que les Espagnols
n'en usent jamais autrement, & que je
ne m'explique pas davantage. Peutestre
mesme ne me suis-je que trop expliqué;
car enfin si cet écrit tomboit
entre les mains des Espagnols, ils pourroient
profiter des avis que je leur donne,
& ce n'est pas mon intention.

FIN.