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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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 I. 
Chapitre I.
 VII. 
 VIII. 

  
  

Chapitre I.

Sur quoy, & comment se levent les
Droits du Roy d'Espagne.

Imposts.
CE païs estant merveilleusement
fertile en beaucoup de lieux, on
sçait que les plus grands Monarques
de l'Europe ont envoyé des Colonies
dans les Contrées les plus abondantes,

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aprés s'en estre rendus maistres,
ce qui par la suite leur a esté fort avantageux,
ainsi que le montre le manuscrit
dont est question, qui décrit assez
amplement les richesses qui leur en reviennent.
Comme ce manuscrit est
composé par les Espagnols, ils n'ont pas
manqué de mettre leur Roy le premier
en teste, & moy qui veux estre exact
en tout, je suis obligé de suivre cet ordre,
& de commencer, comme sait ce
manuscrit, par les revenus que le Roy
d'Espagne tire de l'Amerique.

Tous ces revenus sont considerables,
& proviennent des Imposts qui
suivent, sçavoir, le droit de Sefioraje,
de Vacantes en Mostrenços, Almojarifalgos,
Commissos, Estanca de naipes,
d'Averia, d'Alcavalo,
de Tributos
vacos,
de Iana-conas, de Tircios
de Encommiendos,
de Hatunnuras,
d'Aloxa,
de Pulperias, de Lana Vicufia,
de Media Anata. On verra dans
la suite l'explication de tous ces mots.
Outre cela, il y a quantité de Marchandises
de grand prix qui payent Impost,
comme, ambregris, perles, emeraudes,
& plusieurs autres choses precieuses,
dont on va voir aussi le détail.


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Le droit Royal de cinq pour cent
est le plus beau, & le meilleur de tous
ceux que le Roy d'Espagne tire de l'Amerique,
& celuy d'où proviennent les
sommes immenses qu'on porte tous les
ans en Espagne dans les Gallions du
Roy. Ce droit se leve sur l'or & l'ar-

Imposts sur
les mines.
gent, sur toutes les mines, de cuivre,
de fer, de plomb, & des autres mineraux
qui se découvrent tous les jours.

Le Roy leve ce droit sans aucun
risque pour son compte, c'est à dire,
franc & quitte de toutes charges. C'est
à ces conditions qu'il a cedé les mines
aux particuliers. L'argent en barre, ou
en planche, & celuy qui est employé
par les Ouvriers à diverses sortes d'ouvrages,
paye aussi le cinquiesme. Le
mesme se prend sur les mines d'or &
d'argent, sur l'argent, & sur l'or mesme.

Outre ce Droit, le Roy en a encore
un autre tout à fait considerable, qui
est que de toutes les mines qui se découvrent
dans l'étenduë de ce païs, il
a une certaine espace, à commencer du
premier trou à la circonserence, sçavoir
des mines d'argent soixante perches, &
de celles d'or cinquante, de celles des


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autres métaux, comme du fer, du cuivre,
de l'estain & du plomb, de mesme
que de celles de l'argent: Pour les
mines de vif argent, comme c'est un
métal necessaire pour découvrir tous les
autres, le Roy les retient entierement
pour luy. Toutefois il en donne la
joüissance en propre trente ans durant,
à celuy qui les a le premier découvertes.

Le Roy tire aussi le cinquiesme des

Imposts sur
les pierres
precieuses.
perles, des semences de perles, des meres
de perles, comme aussi de toutes
les autres pierres precieuses, sçavoir des
Diamans, des Taupases, des Rubis, des
Saphirs, des Turquoises, des Agathes,
des Emeraudes, & autres pierres qui
ont de l'éclat, y comprenant le Bézoar,
le Corail rouge, l'Aymant, le Gueyet,
l'Arcanson, le Vitriol.

De plus, le Roy d'Espagne a la moi-

Sur les Tresors
cachez.
tié de tous les Huvacas, c'est à dire,
de tous les thresors cachez, qu'on trouve
dans les lieux où estoient autrefois
les anciens Indiens, qui les enfoüissoient
ainsi dans terre, croyant en avoir besoin
aprés leur mort. Tout ce qu'on
trouve dans les Temples de leurs faux
Dieux, nommez Ingas, comme or, argent

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& pierreries, & enfin toutes les
autres choses qui servoient à leur culte.

Señoraje, ou Droit de Seigneurie,
consiste au Droit qui se tire sur toutes
les monnoyes qui se frappent au Potosi,
qui est la troisiesme réale.

L'argent & l'or en barre payent le
cinquie me, & encore un & demy par
cent pour la sortie.

Sur les Cartes
à joüer.
Estanca de Naypes, ou le droit des
cartes à joüer, est un droit qui rapporte
beaucoup. Il est affermé au plus offrant,
& l'argent qui en provient, mis
dans les coffres du Roy. Cela seul luy
vaut plus de deux millions d'écus dans
les Indes seulement.

Vacantes en Mostrenços, sont les biens
des gens qui meurent sans heritiers, jusqu'au
quatriesme degré. Il va la moitié
de ces biens au Roy, & l'autre au fisq, y
compris les biens confisquez.

Sur les Ouvrages
de
Manufactures.

Almojarifalgos. Ce mot vient d'un
mot Arabe Almajarife, qui signifie homme
de mestier. Cecy est un droit de
cinq pour cent, sur tous les Ouvrages
de Manufactures qui viennent d'Espagne,
selon qu'ils sont taxez aux
Indes.

Ces mesmes Ouvrages de Manufactures


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payent autant de fois qu'ils
changent de place dans les Indes, deux
& demy par cent de sortie, & cinq
d'entrée.

Le Droit d'Averia est un droit de
Marine. On employe l'argent qui en
provient à l'équipage qu'on met en mer
du Port de Callao au Perou, pour apporter
l'argent du Roy. Outre cela,

Sur les prises
qui se font en
mer.
le Roy a encore le cinquiesme de toutes
les prises qui se font sur mer.

Sur l'or & l'argent qu'un Casique
ou Gouverneur des Indiens paye pour
sa rançon, on prend le cinquiesme, &
encore le sixiesme qu'on donne au Roy,
& en cas que le Casique meure, ou en
une Bataille, ou par les mains de la
Justice, sa Majesté a la moitié de la
rançon, & l'autre moitié est partagée
aprés en avoir tiré le cinquiesme.

Le Droit d'Aleavala a beaucoup
coûté à établir. On a commencé par
deux, & aprés à force d'armes on l'a
fait monter jusques à quatre, & de ce
qui provient de ce droit, on envoye
tous les ans en Espagne jusqu'à trois
cent vingt-cinq mille ducats. Ce Droit
consiste à certain impost, que l'on met
sur tout ce qui se vend & s'achete dans


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le païs, mesme sur tout ce que l'on y
échange, & sur tous les Testamens, dons
mutuels, parce qu'ils sont reputez
comme vente ou échange: comme
aussi sur toutes les Charges qui se vendent.

Ces Charges autrefois revenoient au
Roy, aprés la mort de ceux qui les
exerçoient, mais à present il leur permet
de les resigner, pourveu que celuy
qui resigne vive vingt jours aprés la resignation,
autrement la Charge revient
au Roy, en sorte qu'il en peut disposer
en faveur de qui il luy plaist. La
premiere fois que ces Charges se resignent,
celuy qui en doit estre pourveu,
est obligé de payer la moitié de la somme
qu'a coûté la Charge, & pour la
seconde fois la troisiéme partie. Le tout
va au profit du Roy.

Le Droit de Commissos est tout ce
qui tombe entre les mains de celuy qui
garde le fisq, comme toutes les Marchandises
de contrebande: Par exemple,
celles qui viennent des Philippines
& de la Chine, parce qu'il est expressément
défendu de recevoir aucune
de ces Marchandises dans le Perou, sur
peine de confiscation du Navire & des


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Marchandises qui sont dedans. Le tout
afin de ne prejudicier en rien au commerce
d'Espagne.

Ainsi toutes les Marchandises qu'on
embar que au Perou pour ces quartiers
sont confisquées, à moins qu'elles ne
soient declarées. Les amandes & confiscations
sont mises chacunes dans differens
coffres, & on a établi plusieurs
sortes d'Officiers pour cela, & sur tout
un Receveur general pour les amandes
& confiscations qui sont diverses, selon
la nature des biens des Administrateurs
de la Couronne, qui ont l'Intendance
des biens des Indiens, & outre cela la
charge de les faire instruire en la Religion
Catholique.

Il y a de deux sortes d'Administrateurs,
dont les uns dépendent du Roy
seulement, les autres du public. Ceux
qui dépendent du Roy qui a les revenus
en propre, ont les dépendances du
Perou & de tout le Royaume. Ceux
qui dépendent du public, sont commis
pour le payement de quelques
dettes particulieres, ou pour accorder
les graces qui pourroient estre demandées
par les Indiens, aprés en avoir demandé
la permission au Garde du Fisc


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& des Officiers Royaux.

De plus, afin que les revenus du
Roy ne soient aucunement diminuez,
& que les Indiens qui sont éctits dans
le dernier Registre ne se puissent dire
libres, que par de bons & de suffisans
témoignages, on fait tous les trois ans
la reveuë de ces Registres, & par ce
moyen le Roy estant le premier Administrateur,
tous les Offices luy reviennent.

Premierement; qui se fait Moyne,
ou Prestre, perd sa Charge; qui maltraite
les Indiens, ou leur fait violence,
se rend incapable d'en exercer aucune.
Ceux qui heritent de ces Charges sont
obligez de comparoistre dans six mois,
du jour qu'ils en heritent, sur peine
d'estre évincez de leur Charge. Celuy
qui contrevient au commandement du
Roy, ou du Viceroy, est interdit pour
toûjours. Celuy qui a deux Offices
d'Administrateurs en perd un. Si
quelqu'un meurt a ant que son Office
soit donné à un autre, & qu'il y ait
vingt jours qu'il soit mort, l'Office
d'Administrateur revient au Fisc. La
mesme chose arrive si l'Office est vendu
à un homme qui demeure hors


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des Indes, ou qui n'est pas Catholique.

Tributos vacos, ou Tributs vacants,
c'est lors que le Roy a les Offices en
propre, les revenus qui en proviennent
avant qu'ils soient donnés s'appellent
ainsi.

Tircios de Encomiendos, c'est lors
que l'Office change de Maistre. Celui qui
le reçoit le dernier, est obligé d'en payer
la troisiesme partie au Roy: cela ne
se fait que jusques à la deuxiesme fois.

Ianaconas, est lors que les Indiens

Sur les Indiens
qui sortent
de leur
païs.
sortent de leurs Bourgs & Villages:
ils sont obligez de payer le Droit de
sortie.

Hattunnuras est lors que les Indiens
sont chassez de leurs biens propres.
Alors ils sont obligez de venir servir
les Espagnols à gages, & de travailler
tour à tour aux mines du Roy.

Le Roy ayant esté averty qu'il y
avoit beaucoup de peuples Indiens reduits,
qui estoient dispersez çà & là
sans payer aucun impost, commanda
aussi-tost qu'on en fist une reveuë generale,
& qu'on les enreg strast tous,
les reduisant en Paroisses, & leur donnant
des Gouverneurs, & qu'ainsi chacun


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fust taxé selon ses biens; & pour cela
commit des Officiers pour recevoir
ces taxes.

Le Roy d'Espagne
exerce
le droit des
Ingas.
Le Roy d'Espagne s'estant rendu
Maistre de ce païs, est devenu le Souverain
Seigneur des Ingas, & exerce
leurs Droits dans l'estenduë de ces contrées.
C'est pourquoy il y peut disposer
de toutes choses à sa volonté. Comme
dans le commencement, les Vicerois
avoient établi des Colonies dans les
Indes, & donné en propre plusieurs
terres aux particuliers. Le Roy voyant
que cela estoit de grande importance,
& entierement contraire à son autorité,
ordonna de s'emparer, & de vendre
mesme toutes les terres basses & habitables,
à moins que les proprietaires ne fissent
voir qu'ils avoient quarante années
de possession.

Aloxa est une maniere de boisson,
faite d'eau sallée & de miel, baillée à
ferme au plus offrant, & ce qui en
provient est mis dans les coffres du Roy.
On a voulu aussi affermer les Salines,
mais comme les Indiens n'ont point
d'argent pour acheter le sel, cela n'a
pas reussi, d'autant plus qu'il y a quantité
de mines de Sel dans les montagnes,


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où chacun est libre d'en prendre autant
qu'il en a besoin. Pour ce qui regarde
le Salpestre, on n'y a mis aucun droit,
& on l'envoye en Espagne pour en faire
de la poudre à canon.

Pulperias, sont des Cabarets où l'on

Imposts sur
les Cabarets.
appreste fort bien tout ce qui est necessaire
dans un bon repas. Ces lieux sont
établis dans toutes les Villes, & dans
tous les Bourgs, jusqu'à un certain
nombre déterminé. Ceux qui passent
ce nombre, sont tenus de payer au Roy
chacun quarante piastres tous les ans, &
l'on peut dire que ce revenu est fort
considerable, à cause de la quantité
des Villes & des Bourgs qui sont dans
l'Amerique.

Le Sublimé est aussi affermé, quoy
que l'usage n'en soit pas grand dans l'Amerique;
car les femmes ne s'y fardent
point.

Les Droits d'entrée pour les Negres
sont fort grands, pour la quantité qu'on
y apporte de la Guinée, & l'on paye pour
chacun deux piastres.