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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

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ETABLISSEMENT D'UNE CHAMBRE DES COMPTES DANS LES INDES.
 I. 
 VII. 
 VIII. 

  
  

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ETABLISSEMENT
D'UNE
CHAMBRE DES COMPTES
DANS LES INDES.

TROISIEME PARTIE.

Des revenus que le Roy d'Espagne tire
de l'Amerique, & de ce que les
plus grands Princes de l'Europe
y possedent.

Chapitre I.

Sur quoy, & comment se levent les
Droits du Roy d'Espagne.

Imposts.
CE païs estant merveilleusement
fertile en beaucoup de lieux, on
sçait que les plus grands Monarques
de l'Europe ont envoyé des Colonies
dans les Contrées les plus abondantes,

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aprés s'en estre rendus maistres,
ce qui par la suite leur a esté fort avantageux,
ainsi que le montre le manuscrit
dont est question, qui décrit assez
amplement les richesses qui leur en reviennent.
Comme ce manuscrit est
composé par les Espagnols, ils n'ont pas
manqué de mettre leur Roy le premier
en teste, & moy qui veux estre exact
en tout, je suis obligé de suivre cet ordre,
& de commencer, comme sait ce
manuscrit, par les revenus que le Roy
d'Espagne tire de l'Amerique.

Tous ces revenus sont considerables,
& proviennent des Imposts qui
suivent, sçavoir, le droit de Sefioraje,
de Vacantes en Mostrenços, Almojarifalgos,
Commissos, Estanca de naipes,
d'Averia, d'Alcavalo,
de Tributos
vacos,
de Iana-conas, de Tircios
de Encommiendos,
de Hatunnuras,
d'Aloxa,
de Pulperias, de Lana Vicufia,
de Media Anata. On verra dans
la suite l'explication de tous ces mots.
Outre cela, il y a quantité de Marchandises
de grand prix qui payent Impost,
comme, ambregris, perles, emeraudes,
& plusieurs autres choses precieuses,
dont on va voir aussi le détail.


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Le droit Royal de cinq pour cent
est le plus beau, & le meilleur de tous
ceux que le Roy d'Espagne tire de l'Amerique,
& celuy d'où proviennent les
sommes immenses qu'on porte tous les
ans en Espagne dans les Gallions du
Roy. Ce droit se leve sur l'or & l'ar-

Imposts sur
les mines.
gent, sur toutes les mines, de cuivre,
de fer, de plomb, & des autres mineraux
qui se découvrent tous les jours.

Le Roy leve ce droit sans aucun
risque pour son compte, c'est à dire,
franc & quitte de toutes charges. C'est
à ces conditions qu'il a cedé les mines
aux particuliers. L'argent en barre, ou
en planche, & celuy qui est employé
par les Ouvriers à diverses sortes d'ouvrages,
paye aussi le cinquiesme. Le
mesme se prend sur les mines d'or &
d'argent, sur l'argent, & sur l'or mesme.

Outre ce Droit, le Roy en a encore
un autre tout à fait considerable, qui
est que de toutes les mines qui se découvrent
dans l'étenduë de ce païs, il
a une certaine espace, à commencer du
premier trou à la circonserence, sçavoir
des mines d'argent soixante perches, &
de celles d'or cinquante, de celles des


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autres métaux, comme du fer, du cuivre,
de l'estain & du plomb, de mesme
que de celles de l'argent: Pour les
mines de vif argent, comme c'est un
métal necessaire pour découvrir tous les
autres, le Roy les retient entierement
pour luy. Toutefois il en donne la
joüissance en propre trente ans durant,
à celuy qui les a le premier découvertes.

Le Roy tire aussi le cinquiesme des

Imposts sur
les pierres
precieuses.
perles, des semences de perles, des meres
de perles, comme aussi de toutes
les autres pierres precieuses, sçavoir des
Diamans, des Taupases, des Rubis, des
Saphirs, des Turquoises, des Agathes,
des Emeraudes, & autres pierres qui
ont de l'éclat, y comprenant le Bézoar,
le Corail rouge, l'Aymant, le Gueyet,
l'Arcanson, le Vitriol.

De plus, le Roy d'Espagne a la moi-

Sur les Tresors
cachez.
tié de tous les Huvacas, c'est à dire,
de tous les thresors cachez, qu'on trouve
dans les lieux où estoient autrefois
les anciens Indiens, qui les enfoüissoient
ainsi dans terre, croyant en avoir besoin
aprés leur mort. Tout ce qu'on
trouve dans les Temples de leurs faux
Dieux, nommez Ingas, comme or, argent

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& pierreries, & enfin toutes les
autres choses qui servoient à leur culte.

Señoraje, ou Droit de Seigneurie,
consiste au Droit qui se tire sur toutes
les monnoyes qui se frappent au Potosi,
qui est la troisiesme réale.

L'argent & l'or en barre payent le
cinquie me, & encore un & demy par
cent pour la sortie.

Sur les Cartes
à joüer.
Estanca de Naypes, ou le droit des
cartes à joüer, est un droit qui rapporte
beaucoup. Il est affermé au plus offrant,
& l'argent qui en provient, mis
dans les coffres du Roy. Cela seul luy
vaut plus de deux millions d'écus dans
les Indes seulement.

Vacantes en Mostrenços, sont les biens
des gens qui meurent sans heritiers, jusqu'au
quatriesme degré. Il va la moitié
de ces biens au Roy, & l'autre au fisq, y
compris les biens confisquez.

Sur les Ouvrages
de
Manufactures.

Almojarifalgos. Ce mot vient d'un
mot Arabe Almajarife, qui signifie homme
de mestier. Cecy est un droit de
cinq pour cent, sur tous les Ouvrages
de Manufactures qui viennent d'Espagne,
selon qu'ils sont taxez aux
Indes.

Ces mesmes Ouvrages de Manufactures


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payent autant de fois qu'ils
changent de place dans les Indes, deux
& demy par cent de sortie, & cinq
d'entrée.

Le Droit d'Averia est un droit de
Marine. On employe l'argent qui en
provient à l'équipage qu'on met en mer
du Port de Callao au Perou, pour apporter
l'argent du Roy. Outre cela,

Sur les prises
qui se font en
mer.
le Roy a encore le cinquiesme de toutes
les prises qui se font sur mer.

Sur l'or & l'argent qu'un Casique
ou Gouverneur des Indiens paye pour
sa rançon, on prend le cinquiesme, &
encore le sixiesme qu'on donne au Roy,
& en cas que le Casique meure, ou en
une Bataille, ou par les mains de la
Justice, sa Majesté a la moitié de la
rançon, & l'autre moitié est partagée
aprés en avoir tiré le cinquiesme.

Le Droit d'Aleavala a beaucoup
coûté à établir. On a commencé par
deux, & aprés à force d'armes on l'a
fait monter jusques à quatre, & de ce
qui provient de ce droit, on envoye
tous les ans en Espagne jusqu'à trois
cent vingt-cinq mille ducats. Ce Droit
consiste à certain impost, que l'on met
sur tout ce qui se vend & s'achete dans


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le païs, mesme sur tout ce que l'on y
échange, & sur tous les Testamens, dons
mutuels, parce qu'ils sont reputez
comme vente ou échange: comme
aussi sur toutes les Charges qui se vendent.

Ces Charges autrefois revenoient au
Roy, aprés la mort de ceux qui les
exerçoient, mais à present il leur permet
de les resigner, pourveu que celuy
qui resigne vive vingt jours aprés la resignation,
autrement la Charge revient
au Roy, en sorte qu'il en peut disposer
en faveur de qui il luy plaist. La
premiere fois que ces Charges se resignent,
celuy qui en doit estre pourveu,
est obligé de payer la moitié de la somme
qu'a coûté la Charge, & pour la
seconde fois la troisiéme partie. Le tout
va au profit du Roy.

Le Droit de Commissos est tout ce
qui tombe entre les mains de celuy qui
garde le fisq, comme toutes les Marchandises
de contrebande: Par exemple,
celles qui viennent des Philippines
& de la Chine, parce qu'il est expressément
défendu de recevoir aucune
de ces Marchandises dans le Perou, sur
peine de confiscation du Navire & des


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Marchandises qui sont dedans. Le tout
afin de ne prejudicier en rien au commerce
d'Espagne.

Ainsi toutes les Marchandises qu'on
embar que au Perou pour ces quartiers
sont confisquées, à moins qu'elles ne
soient declarées. Les amandes & confiscations
sont mises chacunes dans differens
coffres, & on a établi plusieurs
sortes d'Officiers pour cela, & sur tout
un Receveur general pour les amandes
& confiscations qui sont diverses, selon
la nature des biens des Administrateurs
de la Couronne, qui ont l'Intendance
des biens des Indiens, & outre cela la
charge de les faire instruire en la Religion
Catholique.

Il y a de deux sortes d'Administrateurs,
dont les uns dépendent du Roy
seulement, les autres du public. Ceux
qui dépendent du Roy qui a les revenus
en propre, ont les dépendances du
Perou & de tout le Royaume. Ceux
qui dépendent du public, sont commis
pour le payement de quelques
dettes particulieres, ou pour accorder
les graces qui pourroient estre demandées
par les Indiens, aprés en avoir demandé
la permission au Garde du Fisc


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& des Officiers Royaux.

De plus, afin que les revenus du
Roy ne soient aucunement diminuez,
& que les Indiens qui sont éctits dans
le dernier Registre ne se puissent dire
libres, que par de bons & de suffisans
témoignages, on fait tous les trois ans
la reveuë de ces Registres, & par ce
moyen le Roy estant le premier Administrateur,
tous les Offices luy reviennent.

Premierement; qui se fait Moyne,
ou Prestre, perd sa Charge; qui maltraite
les Indiens, ou leur fait violence,
se rend incapable d'en exercer aucune.
Ceux qui heritent de ces Charges sont
obligez de comparoistre dans six mois,
du jour qu'ils en heritent, sur peine
d'estre évincez de leur Charge. Celuy
qui contrevient au commandement du
Roy, ou du Viceroy, est interdit pour
toûjours. Celuy qui a deux Offices
d'Administrateurs en perd un. Si
quelqu'un meurt a ant que son Office
soit donné à un autre, & qu'il y ait
vingt jours qu'il soit mort, l'Office
d'Administrateur revient au Fisc. La
mesme chose arrive si l'Office est vendu
à un homme qui demeure hors


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des Indes, ou qui n'est pas Catholique.

Tributos vacos, ou Tributs vacants,
c'est lors que le Roy a les Offices en
propre, les revenus qui en proviennent
avant qu'ils soient donnés s'appellent
ainsi.

Tircios de Encomiendos, c'est lors
que l'Office change de Maistre. Celui qui
le reçoit le dernier, est obligé d'en payer
la troisiesme partie au Roy: cela ne
se fait que jusques à la deuxiesme fois.

Ianaconas, est lors que les Indiens

Sur les Indiens
qui sortent
de leur
païs.
sortent de leurs Bourgs & Villages:
ils sont obligez de payer le Droit de
sortie.

Hattunnuras est lors que les Indiens
sont chassez de leurs biens propres.
Alors ils sont obligez de venir servir
les Espagnols à gages, & de travailler
tour à tour aux mines du Roy.

Le Roy ayant esté averty qu'il y
avoit beaucoup de peuples Indiens reduits,
qui estoient dispersez çà & là
sans payer aucun impost, commanda
aussi-tost qu'on en fist une reveuë generale,
& qu'on les enreg strast tous,
les reduisant en Paroisses, & leur donnant
des Gouverneurs, & qu'ainsi chacun


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fust taxé selon ses biens; & pour cela
commit des Officiers pour recevoir
ces taxes.

Le Roy d'Espagne
exerce
le droit des
Ingas.
Le Roy d'Espagne s'estant rendu
Maistre de ce païs, est devenu le Souverain
Seigneur des Ingas, & exerce
leurs Droits dans l'estenduë de ces contrées.
C'est pourquoy il y peut disposer
de toutes choses à sa volonté. Comme
dans le commencement, les Vicerois
avoient établi des Colonies dans les
Indes, & donné en propre plusieurs
terres aux particuliers. Le Roy voyant
que cela estoit de grande importance,
& entierement contraire à son autorité,
ordonna de s'emparer, & de vendre
mesme toutes les terres basses & habitables,
à moins que les proprietaires ne fissent
voir qu'ils avoient quarante années
de possession.

Aloxa est une maniere de boisson,
faite d'eau sallée & de miel, baillée à
ferme au plus offrant, & ce qui en
provient est mis dans les coffres du Roy.
On a voulu aussi affermer les Salines,
mais comme les Indiens n'ont point
d'argent pour acheter le sel, cela n'a
pas reussi, d'autant plus qu'il y a quantité
de mines de Sel dans les montagnes,


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où chacun est libre d'en prendre autant
qu'il en a besoin. Pour ce qui regarde
le Salpestre, on n'y a mis aucun droit,
& on l'envoye en Espagne pour en faire
de la poudre à canon.

Pulperias, sont des Cabarets où l'on

Imposts sur
les Cabarets.
appreste fort bien tout ce qui est necessaire
dans un bon repas. Ces lieux sont
établis dans toutes les Villes, & dans
tous les Bourgs, jusqu'à un certain
nombre déterminé. Ceux qui passent
ce nombre, sont tenus de payer au Roy
chacun quarante piastres tous les ans, &
l'on peut dire que ce revenu est fort
considerable, à cause de la quantité
des Villes & des Bourgs qui sont dans
l'Amerique.

Le Sublimé est aussi affermé, quoy
que l'usage n'en soit pas grand dans l'Amerique;
car les femmes ne s'y fardent
point.

Les Droits d'entrée pour les Negres
sont fort grands, pour la quantité qu'on
y apporte de la Guinée, & l'on paye pour
chacun deux piastres.


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Chapitre VII.

Description du Vigogne. Droits qui se
levent, tant sur sa laine, que sur
d'autres choses.

LAna Vicua, c'est la laine du Vigogne,
qui est une des meilleures
Marchandises qui viennent du Perou;
& je quitte un moment le manuscrit,
pour faire la description de cet animal,
qu' on sera bien aise de connoistre à
cause de sa grande utilité.

Le Vigogne est de la grandeur d'une
Chévre, & a la figure d'une Brebis;
sa laine est brune, & meslée souvent
d'espace en espace de petites taches blanches:
il y en a quelquefois qui l'ont
de couleur cendrée. Ces animaux se
rencontrent par troupes dans les montagnes
du Perou; mais outre que leur
laine est tres-profitable, on trouve encore
dans leur estomach la pierre de Be-

Ce que c'est
que la pierre
de Bezoar,
où & dequoy
elle s'engendre.

zoar, autrefois si estimée chez les peuplesde
l'Europe, & qui l'est encore beaucoup
parmi les Espagnols: Cette Pierre
s'engendre dans le corps de ces animaux,

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par l'usage d'une certaine herbe
qui croist sur les montagnes du Perou,
& qui leur sert de nourriture.

Le Roy d'Espagne voyant que cette
laine estoit si necessaire pour les
beaux Ouvrages de Manufacture, comme
draps, chapeaux, & autre chose,
jugea à propos qu'on en permît le transport
dans les païs Etrangers, & qu'on
établist un droit dessus: ce qui a esté
executé; mais les fraudes qui se commettent
dans ce genre de commerce,
font qu'il n'en revient presque rien au
Roy: car on les fait passer en mattelats,
& en tant de manieres cachées,
que bien qu'il s'en transporte toûjours
beaucoup, il ne s'en declare pourtant
que tres-peu.

Le Roy ordonna encore qu'on ap-

Vigognesa pportez
en Esgne
n'ont
sceu peupler.
portast de ces Vigognes en Espagne, afin
de les faire peupler sur les lieux, mais
ce climat se trouva si peu propre à ces
animaux qu'ils y moururent tous. Ie reprends
le manuscrit.

Comme le vin & l'huile qui se consomment
dans l'Amerique sont tirez
d'Espagne, & qu'ils rapportent de
grands revenus au Roy, à cause des
droits qu'on y a imposez; on a trouvé


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bon de défendre absolument de planter
des Vignes & des Oliviers dans les
Indes; mais s'en estant trouvez beaucoup
de plantez dans le Perou, avant
cette défense, en sorte que ce Royaume
ne prend ny vin ny huile chez les
Espagnols. On a imposé deux par cent
sur tout ce qui se fait de vin & d'huile
Papier timbré
de l'Amerique.

dans le païs.

On a imposé aussi un droit sur le papier
dans l'Amerique, que l'on a fait
timbrer comme en Espagne, afin d'éviter
toutes les fraudes qui pourroient
se commettre aux obligations, & autres
actes d'importance; & le Roy a ordonné,
que personne ne pourroit faire, ny
vendre de ce papier dans les Indes qui ne
fust timbré, ny passer publiquement aucuns
écrits, qu'ils ne fussent sur ce
papier; faisant distinction des timbres
selon la consequence de la chose: comme,
par exemple, le premier timbre
d'une feüille vingt-quatre reales, & le
second d'une feüille, six reales. Le premier
timbre d'une demie feüille, une
demie reale, & le second à proportion.

Le poivre est aussi affermé, & est
donné au plus offrant; mais le piment
est là en si grande quantité, qu'on y


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consume fort peu de poivre.

Le Pape Alexandre VI. donna au

Dixmes Ecclesiastiques

de l'Amerique
accordées
par le Pape
au Roy d'Espagne.

Roy d'Espagne toutes les dixmes Ecclesiastiques
des Indes, à condition
qu'il feroit bastir des Eglises, instruire
les Sauvages dans la Religion Catholique,
Apostolique & Romaine. Ce qu'il
a ponctuellement executé, laissant pour
ce sujet le dixiesme accordé par sa Sainteté,
& ne se reservant que le dix-huitiesme,
répondant aux droits d'Espagne;
de sorte que les revenus de tous
les Eveschez ont esté partagez, & employez
comme on a dit. L'Evesque
tire la moitié du revenu, & le reste est
partagé en neuf parties, dont le Roy en
prend deux, les Eglises & les Hôpitaux
trois, & les Curez les quatre restantes,
dont ils sont obligez de donner
le huitiesme au Sacristain.

Le dixiesme de tous les Archeveschez
& Eveschez remis par sa Sainteté,
venant à vacquer retourne au Roy,
comme proprietaire de ces biens: & les
deniers qui en proviennent, assemblez
& mis dans son Epargne, pour aprés
estre partagez par son ordre en trois
parties: la premiere desquelles va à l'Evesque
qui entre en possession du Benefice,


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la seconde à l'entretien des Eglises,
& la troisiesme aux pauvres. Cette
troisiesme partie est apportée en Espagne
sans estre mise dans les coffres du
Roy, afin d'y estre ensuite distribuée à
ceux que l'on trouve à propos.

Le droit de
la Bulle de la
Croisade,
pourquoy un
des plus
grands revenus
du Roy
d'Espagne.
Le droit de la Bulle de la Croisade
est un des plus grands revenus que le
Roy d'Espagne tire de l'Amerique,
comme chacun est libre de le payer,
chacun donne plus qu'on ne luy demande,
afin de montrer le zele que
l'on a de s'attirer la benediction de sa
Sainteté. Il y a encote une Bulle de
composition accordée par le Pape, à
tous ceux qui donneront douze reales,
lesquels auront l'absolution de trente
ducats des biens qu'ils possedent, qui ne
sont pas à eux, & ne sçachant pas à qui
ils appartiennent. Ces Bulles se distribuent
tous les deux ans. Il y en a de
quatre piastres pour les Archevesques,
les Evesques & les Abbez Il y en a de
deux piastres pour les Inquisiteurs &
pour les Curez. Il y en a d'une piastre
pour les Prestres & pour les Laïques.

Le droit de Nejada, ou droit de table,
a esté établi sou tous les Benefices,
& est demeuré jusqu'à ce que le droit


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de Media-Anata eust esté mis, lequel
est seulement resté sur les Eclesiastiques,
depuis l'Archevesque jusqu'au
simple Prestre. Ce droit fut accordé à
Philipe III. par Urbain VIII. en
1626. pour le temps de quinze années,
lequel temps expiré Innocent X l'a
continué & authorisé, à condition que
ce revenu seroit employé à faire la guerre
aux Infideles, Tous ces droits sont
payez & assemblez à un mois prés du
terme, & on le compte sur le pied
qu'on les a reçûs cinq ans auparavant.

Le droit de Media Anata se paye
en deux termes & se prend sur la moitié
des revenus du Benefice pendant une
année, dont une partie se paye contant,
& l'autre un an aprés. Il y a encore
plusieurs Reglemens, & sortes de faveurs
& de graces qui concernent ce
droit, si bien que cela est un revenu
tres-important à la Couronne, & rend
mesme plus que ne fait toute l'Espagne.

Afin que tous ces droits & ces revenus
soient reçûs avec fidelité & avec
certitude, & mis dans l'Epargne du
Roy, on a commis dans chaque Province
des Officiers Royaux tirez de la


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Chambre des Comptes, & ces Officiers
ont leur Substitut dans les lieux où
ils ne peuvent aller en personne. Outre
ces principaux Officiers, il y a encore un
Facteur, pour avoir soin de voir & de
remarquer toutes les Marchandises sur
lesquelles on peut profiter; un Procureur
Fiscal pour avoir soin des vivres
& des munitions de guerre, tant par
mer que par terre, un Ecrivain du
Roy, qui a soin d'écrire tous les ordres
qu'on envoye par toutes les Provinces,
& de tenir Registre des Mines
& des Navires. Il y a aussi d'autres Officiers
qu'on nomme Teneurs de Livres
qui pour le soulagement du public
tiennent Registre de tout ce qui
entre & sort, afin d'en informer leurs
Superieurs. Tout cela pour faire une
recepte exacte de tous les revenus du
Roy, aprés quoy on assemble tout ce
qui doit chaque année estre embarqué
pour l'Espagne dans les Gallions du
Roy, tant pour son compte que pour
celuy des particuliers: ce qui se monte
à plus de cinq cent cinquante millions
de marcs d'or & d'argent, qui se trouvent
enregistrez dans la Chambre des
Comptes du Conseil Royal des Indes,

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sans y comprendre ce qui vient qui n'est
pas enregistré; car il est certain que la
troisiesme partie de l'or, de l'argent &
des autres richesses qui viennent des Indes,
ne l'est pas. Cependant on compte
d'enregistré de la montagne de Potosi
seule, depuis 1545. jusques en 1667.
trois cent millions de marcs d'argent;
tout ceci encore sans compter les pierres
precieuses, comme rubis, granats,
émeraudes, agathes, bezoar & autres
choses de grande valeur, sans compter
encore, le corail, la cocenille, l'indigot,
le sucre, le tabac, l'ambregris,
le bois de campesche, les cuirs, la casse
fistulée, le cacao, de quoy on fait le
chocolat.

Enfin, les revenus ordinaires que le

A quoy se
montent les
revenus que
le Roy d'Espagne
tire de
l'Amerique.
Roy d'Espagne tire de l'Amerique se
montent à cinq millions deux cent cinquante
mille livres de nostre monnoye,
ce qui se doit entendre franc & quitte
de tous frais. Et bien que ces revenus
du Roy soient fort considerables, l'on
peut dire qu'ils le seroient infiniment
davantage, si ses Sujets ne le fraudoient
point.

Aprés le dénombrement de tout ce
qui est sous la domination du Roy d'Es-


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pagne dans l'Amerique, on peut voir
dans la suite ce que les plus grands Monarques
de l'Europe y possedent.

Chapitre VIII.

Estat des païs qui sont aux plus puissans
Monarques de l'Europe
dans l'Amerique.

LE Roy de France possede beaucoup
de païs dans l'Amerique
Septentrionale, apellée Nouvelle France.
Il ne sera pas hors de propos de dire icy
un mot de l'origine & des progrez de
l'établissement des François dans cette
grande partie de l'Amerique Septentrionale,
& d'en faire mesme une courte,
mais exacte description, afin que les
François qui n'ont jamais esté sur les
lieux, & qui s'interessent à la gloire de
la Nation, puissent connoistre par l'étenduë,
& par la beauté de ce païs, l'avantage
& l'importance de cet établissement.

Tout ce païs est extremément étendu,
principalement du costé du Couchant,
où l'on fait tous les jours des


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découvertes considerables. Le grand
Fleuve de Saint Laurent le divise comme
en deux parties; l'une Septentrionale,
l'autre Meridionale. Ces principales
parties sont, l'Acadie, le Canada,
le Saguenay, le Païs des Hurons, des
Iroquois,
& autres.

Les Normands en découvrirent quelques
côtes en l'an 1508. puis Jean Verazzani
y fut envoyé en 1524. par le
Roy François premier, & en prit possession
en son nom, & fut le premier
qui descendit en terre ferme de ce
côté-là, & en découvrit plus de trois
cent lieuës. Jacques Quartier y fut
en suite en 1534. & entra assez avant
dans le païs, que l'on commença à
nommer alors la Nouvelle France, &
dans le grand Fleuve de Saint Laurent,
où peu à peu on fit quelques habitations
Françoises; mais on y estoit en fort
petit nombre jusqu'en 1603. que le
sieur Samuel Champlain y fut, & y
établit quelques Colonies vers l'Acadie
qui en fait partie. Puis en 1608. il
commença à s'habituer à Quebec, & à
quelques autres endroits de la grande
Riviere, en sorte que l'on peut dire
que c'est luy qui a fort contribué par


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ses soins, & par ses divers voyages, à
l'établissement des François en ce grand
païs.

La ville de Quebec en est la Capitale,
scituée sur la fameuse Riviere de
Saint Laurent, où il y a encore les habitations
de Mont-Real, les trois Rivieres,
Port-Royal, Saurel, ou Richelieu,
le Cap Chambly, & le Fort Frontenac,
& entre les Lacs les plus remarquables,
il y a le Lac Superieur, le
grand Lac des Hurons, le Lac Erié.
le Lac des Ilinois, avec d'autres qui
ne sont pas d'une si vaste étenduë: La
grande Isle de Terre Neuve fait aussi partie
de ce païs, ainsi que celles de l'Assomption,
de Saint Iean, & du Cap
Breton,
qui sont dans le Golphe de
Saint Laurent.

Louys XIII. d'heureuse memoire,
donna ordre d'y envoyer du monde de
temps en temps, & fit mesme rendre
par la paix de 1628. quelques places
dont les Anglois s'étoient saisis en ce
païs-là, & y établit une Compagnie de
Marchands pour le trafic, ce qui a esté
assez avantageux: mais comme l'on
n'en prenoit pas trop de soin, on peut
dire que la Nouvelle France n'a commencé


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à se bien peupler, que depuis
l'an 1660. qu'on y a basty des habitations
considerables, au lieu qu'autrefois
c'étoit des maisons fort éloignées les
unes des autres. De plus, on y a établi
un Evesque, des Maisons Religieuses,
des Officiers, des Gouverneurs, &
on y a envoyé à plusieurs & diverses
fois des troupes reglées qui ont battu les
Iroquois. Mais presentement je puis assurer
que j'ay laissé les Franço is si forts
dans ce païs, qu'on les void plus en
état d'en chasser les Espagnols & leurs
autres ennemis, que d'estre chassez par
eux. En effet, s'ils attaquent c'est avec
succez, s'ils sont attaquez, c'est toûjours
vainement.

Outre cela, le Roy de France possede
encore les plus belles, & les meilleures
Isles des Antilles, qui sont, la
moitié de Saint Christophe, comme
aussi la Martinique, la Guadeloupe,
Marie galante,
la Grenade, Sainte Croix,
la Tortuë, dont les Habitans qui sont
François ont anticipé la plus grande
partie de l'Isle de Saint Domingue; ils
ont aussi l'Isle de la Cayenne, & au
premier ordre de leur Souverain Louys


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le Grand, ils pourroient en avoir encore
bien d'autres, puis qu'il semble que
le bruit de ses Conquestes les anime à
en faire dans ce païs, où ils s'étendent
autant qu'ils veulent. Je dis autant qu'ils
veulent, car estant Sujets d'un si grand
Roy, il semble qu'ils soient nez pour
estre maistres par tout.

Au reste, ce païs est assez peuplé
pour former une armée dans le besoin,
& assez riche pour l'entretenir, puis
qu'il fournit tout ce qui est necessaire
pour les Habitans; comme de toutes
sortes de vivres pour leur nourriture,
& de Marchandises pour leur profit, &
cela presque tout pour l'usage de ces mesmes
Habitans; car on peut dire que le
Roy de France ne maintient pas tant
ces Colonies pour l'avantage qu'il en
tire, que pour l'utilité qu'elles en reçoivent
elles-mesmes, & pour la gloire
du Nom François.

Le Roy de Portugal possede une des
plus agreables, & des plus fertiles parties
de l'Amerique, qui est presque toute
Meridionale du costé de l'Ocean, à
commencer depuis la fameuse Riviere


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des Amazones, jusques à l'Isle de Saint
Gabriel,
proche de la Riviere de la
Plate.
Dans cette longue étenduë de
païs qui contient plus de sept cent quatre-vingt
lieuës sont ces places, Para,
Chirmos, Ajaverisamo,
le tout dans la
Province d'Omagua. Ensuite toute la
coste de Maragnan, & du Brezil, dont
partie a autrefois appartenu aux Hollandois,
qui l'avoient pris des Portugais,
qui depuis l'ont repris sur eux. Ces
païs fournissent quantité de Sucre, de
Tabac, de Rocou, de Cotton, de
Cuir & de Bois qui servent à la teinture.

Le Roy d'Angleterre ne possede
rien dans l'Amerique, qui ne soit scitué
dans la partie Septentrionale. Il a à
la coste du continent du costé de l'Ocean,
depuis le Cap Anna jusqu'au
Cap Herry, la Virginie, qui donne
pour Marchandise du Tabac. Il a encore
la Nouvelle Hollande, qui a autrefois
appartenu aux Hollandois, qui
l'ont cedée par le dernier traité de paix
au Roy d'Angleterre, & ne laissent pas
d'estre encore aujourd'huy peuplée


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d'Hollandois, & s'appelle la Nouvelle
York:
Ce païs donne beaucoup de
fourrures, comme aussi la Nouvelle
Angleterre,
& outre cela ils fournissent
encore quantité de vivres qu'on
porte aux Isles des Caraïbes, nommées
les Antilles, où le Roy d'Angleterre
possede les Isles suivantes, qui sont la
Barbade, où est le General de toutes
les autres. Antigua, Mont-sarata,
Nieves,
la moitié de Saint Christophe,
Languille, Saba,
la Barboude, & enfin
une petite partie de l'Isle de Terra
Nova.

Les Anglois ont autrefois tenté de
Coloniser Santa Lucia, mais inutilement.
Les païs dont je viens de parler
fournissent quantité de Tabac, de
Sucre, d'Indigot, de Gingembre & de
Cotton. L'Isle de la Iamaïque est presentement
sous l'obeïssance de ce mesme
Roy: Elle sut prise par les Anglois
pendant que Cromvvel gouvernoit
l'Angleterre en qualité de Protecteur,
& que Philipe IV. regnoit en Espagne.

Les Hollandois ont aussi quelques


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contrées à cette mesme coste, sçavoir,
Aprouvvaca, Baurom, Suriname, &
Berbice, où ils ont des Colonies, mais
fort pauvres. Outre cela ils ont encore
quelques Isles, comme Tabago
dans les Antilles, que les François leur
ont prises dans les dernieres guerres, &
en suite abandonné. Ils possedent aussi la
moitié de Saint Martin, de Saint Eustache.
Toutes ces Isles sont steriles,
& ne meritent pas d'estre peuplées. Ils
ont encore à la coste de Caraco, ou
Royaume de la Nouvelle Grenade, vis
à vis la Province de Venezuela, les Isles
de Curaçao, Bonaire, & Aruba, qui
sont les meilleures, non pas pour les
fruits, ou pour les Marchandises qu'elles
rapportent, mais pour le profit qu'ils
en tirent à cause du commerce des Noirs
qu'ils font avec les Espagnols.

Le Roy de Dannemark a une petite
Isle dans celles qu'on nomme Vierges,
qui dépendent des Antilles. Il y
a encore aujourd'huy un Gouverneur
qui la possede au nom du Roy. Cette
Isle se nomme Saint Thomas.

Le Duc de Curland a esté le premier


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qui a Colonizé Tabago, mais
l'ayant aprés negligé, faute d'entretenir
la garnison, Messieurs Lamzoon
de Zelande y envoyerent un Navire,
& en prirent possession, prenant la garnison
à leur service, qu'ils ont toûjours
depuis payée & entretenuë.

J'aurois pû ajoûter encore la maniere,
dont les Princes que je viens de
nommer gouvernent ces Colonies,
comme j'ay fait à l'égard du Roy d'Espagne;
mais il y a des Relations pleines
de cela. C'est pourquoy je n'ay
voulu rapporter icy que les choses qui
regardent particulierement le Roy d'Espagne,
dont personne n'a encore jamais
parlé, à cause qu'il est expressément
défendu à tous les Etrangers de
commercer, ny mesme d'arrester parmy
ces Colonies, sous quelque pretexte
que ce soit, à moins qu'on ne
vueille s'exposer à perdre ses biens & sa
liberté, d'où l'on voit que les mesmes
choses que les Espagnols ont publié
par vanité au commencement de la découverte
des Indes, ils les cachent maintenant
par politique,


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On demandera, sans doute, par quel
privilege j'ay donc pû demeurer dans
ce païs assez long-temps, pour sçavoir
toutes les particularitez que j'en raporte,
& par quel moyen une piece aussi
sec ete, & aussi importante que ce Manuscrit,
a pû tomber dans mes mains,
c'est ce que je dois taire pour bien des
raisons; & d'ailleurs, je suis persuadé
que chacun, pour satisfaire sa curiosité,
se contentera de lire ce Manuscrit,
sans se mettre en peine comment j'auray
pû l'avoir.

Cela fait connoistre que plus les Espagnols
aportent de soins & de precautions
pour cacher les choses, plus les
Etrangers cherchent & trouvent de
moyens pour les découvrir: Je prétens
mesme que ce sont toutes ces précautions
qui animent davantage à les
vouloir découvrir. Il est vray que les
Espagnols sont naturellemẽt mysterieux;
mais aussi peut-on dire, qu'il leur est
de la derniere importance de l'estre
dans cette occasion, pour oster la connoissance
de ces choses, & qu'ils font
tout le contraire de ce qu'il faudroit
pour y réussir.


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Par exemple j'en sçay tel qui auroit
passé outre, sans songer à entrer dans ce
païs, encore moins à s'informer de ce
qui s'y passe, si les Espagnols ne deffendoient
expressément l'un & l'autre; car
c'est l'ordinaire de negliger ce qui est
permis, & de rechercher ce qui est deffendu.
Cependant comme cela est cause
qu'on a apris beaucoup de particularitez
singulieres, qu'on n'auroit jamais
aprises, les Voyageurs & le Curieux
ont grand interest que les Espagnols
n'en usent jamais autrement, & que je
ne m'explique pas davantage. Peutestre
mesme ne me suis-je que trop expliqué;
car enfin si cet écrit tomboit
entre les mains des Espagnols, ils pourroient
profiter des avis que je leur donne,
& ce n'est pas mon intention.

FIN.