University of Virginia Library

Search this document 
Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  

collapse section 
 I. 
 II. 
 III. 
 IV. 
 V. 
 VI. 
Chapitre VI.
 VII. 
expand sectionVIII. 
 IX. 
 X. 
expand sectionXI. 
 XII. 
expand section 
expand section 
expand section 
expand section 

  
  

89

Page 89

Chapitre VI.

Retour de Morgan à Marecaye; & la
victoire qu'il remporta sur Dom
Alonse del Campo d'Espinosa, qui
l'esjoit venu enfermer dans ce Lac.

MOrgan à son retour apprit bien-

Mauvaise
nouvelle que
reçoit Morgan.

tost une nouvelle qui ne luy plut
pas trop, non plus qu'aux siens: car ces
gens n'aiment gueres à disputer le butin
quand ils l'ont pris. Cette nouvelle
portoit que trois Fregates du Roy d'Espagne
estoient arrivées à l'embouchure
du Lac, commandées par Dom Alonse
del Campo d'Espinosa Contre-Amiral
d'une Flotte que sa Majesté Catholique
avoit envoyée dans les Indes, sur les
plaintes que le Gouverneur avoit faites
à la Cour des hostilitez des Avanturiers
dans l'Amerique, sur les terres dépendantes
de sa Majesté; que ce Contre-Amiral
s'estoit emparé de la Redoute
de la Barre, sur laquelle il avoit
mis du canon, & estoit tout-à-fait dans
le dessein d'arrester les Avanturiers, &
de les passer tous au fil de l'épée.


90

Page 90

Morgan & ses gens crurent qu'on
leur faisoit le mal plus grand qu'il n'étoit;
mais pour en avoir la certitude,
il envoya un petit vaisseau de sa Florte
à l'embouchure du Lac, afin de découvrir
ce que c'estoit; & on luy rapporta

Trois Fregates
du Roy
d'Espagne
viennent conre
Morgan.
que cette nouvelle n'estoit que trop
vraye, car il vit les trois Fregates en parage
avec tous leurs pavillons, pavoys,
& le canon aux sabors, le grand pavillon
arboré sur la Redoute, sur laquelle,
aussi bien que sur les trois vaisseaux,
paroissoit beaucoup de monde.

Cela mit Morgan & tous les siens
fort en peine, car ils n'ignoroient pas
que quand les Espagnols font les maîtres,
ils ne pardonnent gueres, & d'autant
moins qu'ils ne pouvoient oublier
les cruautez qu'on avoit exercées envers
leurs compatriotes.

On tint conseil, & on resolut de
demander toûjours la rançon de la Ville
de Marecaye & quand ce viendroit
à passer à la Barre, on pourroit capituler.
A cet effet on envoya deux Espagnols,
à qui on dit qu'il falloit vingt
mille écus pour la rançon de la Ville,
ou qu'on la brûleroit, sans que les navires
qui estoient à la Barre en pussent


91

Page 91
empescher; parce que s'ils vouloient
l'entreprendre, Morgan feroit passer au
fil de l'épée tous ceux qu'il avoit entre
ses mains.

Cela effraya de telle sorte ceux qu'on
avoit retenus, qui estoient tous considerables,
qu'ils donnerent ordre aux
Envoyez pour la rançon, de prier ceux
qui estoient à la Barre de laisser passer
Morgan & tous les siens, qu'autrement
ils estoient en danger de perdre la vie
aussi bien que la liberté. Deux jours
aprés ces Envoyez retournerent, & rapporterent
une Lettre de Dom Alonse
pour Morgan, qui estoit conceuë en
ces termes:

Nos Alliez & nos Voisins m'ayant

Lettre &
étrange present
qu'on
envoye à
Morgan.
donné avis que vous aviez eu la hardiesse,
nonobstant la paix & la forte
amitié qui est entre le Roy d'Angleterre
& sa Majesté Catholique le Roy
d'Espagne mon Maistre, d'entrer dans
le Lac de Marecaye, pour y faire des
hostilitez, piller ses Sujets, & enfin les
rançonner; j'ay crû qu'il estoit de mon
devoir de venir au plûtost pour y remedier.
C'est pourquoy je me suis emparé
d'une Redoute à l'entrée du Lac, que


92

Page 92
vous aviez prise sur des gens lâches &
effeminez; & l'ayant remise en état
de défense, je pretens, avec les navires
que j'ay icy, vous faire rentrer en
vous-mesme, & vous punir de vostre
temerité. Cependant si vous voulez rendre
tout ce que vous avez pris, l'or,
l'argent, les joyaux, les prisonniers &
les esclaves, & toutes les marchandises,
je vous laisseray passer pour retourner
dans vostre pays: mais si vous refusez
la vie que je vous donne, & que je
ne devrois pas vous donner, je monteray
jusqu'où vous estes, & vous feray
tous passer au fil de l'épée. Voilà ma
derniere resolution, voyez ce que vous
avez à faire, n'irritez pas ma patience,
abusant de ma bonté, car j'ay de
vaillans Soldats, qui ne respirent qu'à
se venger des cruautez que vous faites
tous les jours injustement ressentir à la
Nation Espagnole.

Du Navire nommé la Madelaine,
moüillé à l'embouchure du Lac
de Marecaye, le 24. Avril 1669.
D. Alonse del Campo d'Espinosa.

Outre cela, Dom Alonse avoit donné
ordre au porteur de sa Lettre, de


93

Page 93
presenter de sa part à Morgan un grand
bassin plein de boulets de canon, & de
luy dire que c'estoit là la monnoye
dont on payeroit la rançon qu'il pretendoit,
& que dans peu luy-mesme viendroit
en personne la payer de cette
monnoye.

Aussi-tost Morgan assembla tout le
monde, fit lire publiquement la Lettre
en Anglois, & aprés en François, &
en demanda avis. Tous répondirent
qu'il ne falloit pas s'étonner de ces menaces
Espagnoles, & que pour eux ils

Resolution
des Avanturiers.

estoient resolus de se battre jusqu'à l'extremité,
plûtost que de rendre ce qu'ils
avoient pris.

Un Anglois de la troupe dit à Morgan,
que luy douziéme se faisoit fort
de faire perir le plus grand navire, qu'on
croyoit au moins de quarante-huit pieces
de canon, à l'apparence qu'il avoit;
& toutefois le plus grand Bâtiment de
nos Avanturiers n'estoit monté que de
quatorze pieces. Neanmoins Morgan
voulut voir s'il ne pourroit point composer
avec les Espagnols; & pour ce sujet
il envoya un Espagnol à Dom Alonse
avec les propositions suivantes.

Qu'il quitteroit Marecaye sans y faire


94

Page 94
aucun tort, & sans demander rançon;
qu'il rendroit tous les prisonniers
avec la moitié des esclaves, sans en rien
pretendre.

Que la rançon de Gilbratar n'estant
pas encore payée, il rendroit les ostages
sans rançon ny pour le Bourg, ny pour
eux.

Dom Alonse, bien loin d'accorder ces
propositions, ne voulut pas seulement
les voir. Alors Morgan & ses gens s'obstinerent,
& determinerent de se bien
défendre, afin de conserver leur pillage,
quoy qu'il n'y eust gueres d'apparence,
parce que les forces Espagnoles estoient
sans comparaison plus grandes que les
leurs, & qu'ils ne pouvoient aucunement
échaper, le passage estant étroit &
bien gardé.

Cet homme qui avoit fait la proposition
à Morgan, dont nous avons parlé,
la mit en pratique. J'ay dit qu'on
avoit pris un navire dans la riviere des

Stratagême
d'un Avanturier.

Espines: on en fit un Brulot, on emplit
le fond de feüillages trempez dans
du godron, qu'on trouve en assez
grande quantité dans la Ville. Tout le
monde y travailla d'une telle force, que
dans huit jours il fut prest, & en état

95

Page 95
de faire effet, n'y manquant rien de ce
qu'un Brûlot doit avoir.

Mais afin de tromper les Espagnols,
& de déguiser ce navire, on y avoit
fait des sabors, ausquels on avoit posé
plusieurs pieces de bois creuses, qui
paroissoient comme du canon. De plus,
on avoit mis sur des bâtons des bonnets,
pour y faire beaucoup paroistre
de monde. Morgan mesme fit arborer
son pavillon d'Amiral sur ce vaisseau,
afin de le déguiser davantage. Tous les
autres estoient bien disposez à se battre.

Cet Equipage ne dura que huit jours
à estre preparé, au bout desquels Morgan
descendit de Maracaibo à l'entrée
du Lagon, & fut moüiller à la portée
du canon des vaisseaux Espagnols, qui
faisoient fanfare, paroissant des Châteaux
auprés de ceux des Avanturiers,
qui ne sembloient que des Barques de
Pescheurs. Ils demeurerent là jusques
au lendemain matin.

Le plus grand navire Espagnol estoit
moüillé droit au milieu du canal, qui
n'est pas fort large, & les deux autres
estoient au dessous de luy. Ce navire
que les Avanturiers avoient fait en Brûlot,
fut ranger l'Amiral des Espagnols


96

Page 96
sans tirer un coup, car il n'avoit point
de canon. L'autre croyant que c'estoit
un navire plein de monde qui le venoit
aborder, ne voulut pas tirer non plus
qu'il ne fust prés: cependant le Brûlot
l'accrocha.

Dom Alonse s'en apercevant, vou-

Succés d'un
Brûlot.
lut le faire détacher, envoya du monde
dedans pour couper les mats, car
les Anglois n'y mirent le feu que lors
qu'il fut bien accroché & rempli d'Espagnols.
En un moment on vit ces deux
vaisseaux en feu, & Dom Alonse n'eut
que le temps de se jetter à corps perdu
dans sa Chaloupe, & de se sauver à
terre.

D'abord que ce vaisseau fut enflamé,
on courut aux autres, & on en aborda
un qu'on fit bien-tost rendre; & l'autre,
qui estoit le dernier, coupa vîtement
les cables, & fut emporté par le
Courant sous le Fort, où il fut consumé
avant qu'on pust estre à luy; si
bien qu'en moins de deux heures il y
eut bien du changement.

Avantage
des Avanturiers.

Les Avanturiers voyant que les Espagnols
avoient du pis, voulurent pousser
leur fortune, & mirent promptement
du monde à terre pour aller prendre

97

Page 97
le Fort; mais n'ayant point d'échelles
pour l'escalader, ils trouverent
tant de resistance, qu'ils furent contraints
de se rembarquer, ayant perdu
dans cette occasion plus de trente hommes,
sans compter les blessez: car ils
avoient pris les navires sans perdre un
seul homme.

On en sauva quelques-uns du grand
navire, qui estoient à l'eau, par qui on
sceut toutes les forces de Dom Alonse.
Ils dirent qu'il estoit dans le dessein
de tout passer au fil de l'épée, & que
pour cela il avoit fait faire serment
à ses gens, confirmé par la Confession
& Communion, de ne point donner
de quartier à qui que ce fust. Ils ajoûterent
que son grand navire estoit monté
de trente-huit pieces de canon, de
douze berges de fonte, & de trois
cent cinquante hommes; que le deuxiéme
navire, nommé le Saint Loüis,
estoit monté de vingt-six pieces de canon,
de huit berges de fonte, & de
deux cens hommes: le troisiéme, qui
se nommoit la Marquise, avoit quatorze
pieces de canon, huit berges de
fonte, & cent cinquante hommes. Ce
navire se nommoit la Marquise, à cau-


98

Page 98
Vaisseau
pourquoy
nommé Coaquin.

se que le Marquis de Coaquin l'avoit
fait bâtir pour aller en course, & ses
armes estoient derriere: les Espagnols
l'avoient acheté des Maloüins à Cadis.
Ce fut celuy-là que les Avanturiers prirent.
Le Saint Loüis fut brûté par les
Espagnols mesmes, qui avoient peur
que les Avanturiers ne le prissent aussi.

Outre tout cela, ils firent entendre

Avis que
des prisonniers
donn nt
à Morgan
qu'il y avoit quatre-vingts hommes
dans le Fort, avec quatorze pieces de
canon; que Dom Alonse estoit Contre-Amiral
d'une Escadre que le Roy
d'Espagne avoit envoyée dans les Indes,
dont Augustin de Gosto estoit Chef;
lequel ayant ordonné à ce premier de
venir croiser le long de la coste, avoit
rencontré un petit Bâtiment Hollandois
venant de Curaçao, qui luy avoit
appris que Morgan estoit entré dans la
Baye de Marecaibo, & qu'aussi-tost il
avoit mandé du secours: & enfin ces
mesmes prisonniers dirent qu'il y avoit
trente-six mille écus dans le grand navir.

Morgan se voyant ainsi victorieux,
retourna avec toute sa Flotte à Marecaye,
& laissa un petit Vaisseau à l'embouchure
du Lagon, pour observer ce


99

Page 99
que feroit Don Alonse, & pour gar-
Morgan victorieux
fait
observer l'ennemy,
&
garder un
Vaisseau échoüé
&
plein d'argent.

der le fond du grand Navire qui étoit
échoüé, où on esperoit faire pescher
cet argent que les prisonniers avoient
dit estre dedans, & en effet on y plongea,
& on tira bien deux mille livres
d'argent, tant en vaisselle qu'en piastres,
qui étoit à demie fonduë, & demeurée
en gros morceaux.

Morgan étant arrivé à Maeaye envoya
pour la rançon de la Ville, &
dit que si on ne la luy apportoit dans
huit jours, il la brusleroit; outre cela
il demanda cinq cent Vaches pour sa
Flotte, que les Espagnols amenerent
dans deux jours, & payerent la rançon
de la Ville, dans le temps que Morgan
leur avoit prescrit.

On tua ces Vaches & on en sala la
viande, qui fut embarquée pour la provision
des Vaisseaux, qu'on racommoda;
ce qui dura encore quinze jours,
que les Espagnols trouverent bien ennuyeux.
Aprés Morgan descendit pour
sortir du Lac; quand il fut proche de
Dom Alonse, il envoya un Espagnol

Morgan envoye
demander
passage.
luy demander passage, offrant de rendre
les prisonniers sans leur faire aucun
mal, sinon qu'il passeroit malgré luy;

100

Page 100
mais qu'aussi il attacheroit tous les prisonniers
aux cordages de ses Vaisseaux,
les exposeroit à leurs coups, & qu'étant
passé, ceux qui n'auroient pas esté
tuez, il les feroit tous jetter à l'eau.

Nonobstant cela, Dom Alonse refusa
passage, disant qu'il ne se soucioit point
des prisonniers. Morgan de son costé
ne voulut point risquer de monde pour
prendre ce Fort, & resolut plûtost de
passer par quelque stratagême.

Cependant il falut partager le butin,
on trouva que le contant, tant en argent
rompu, qu'autres joyaux, montoit
à 250. piastres, sans y comprendre les
Marchandises de toiles & les étoffes de
soye. On fit, avant de partager, les ceremonies
ordinaires, c'est à dire le serment
de fidelité qu'on n'avoit rien retenu;
Morgan commença le premier,
& fut suivi de tous les autres. Huit
jours se passerent dans ce partage, que
Dom Alonse voyoit de son Fort avec
bien du dépit.

Ruse de Morgan
pour
passer.
Aprés tout cela il fut question de
sortir, & pour en venir à bout on se
servit de cette ruse. On fit de grands
preparatifs pour l'attaque du Fort, comme
si on l'eust voulu prendre, & l'on

101

Page 101
mit un bon nombre d'Avanturiers choisis
avec leurs armes & leurs drapeaux
dans des Canots, qui descendirent à
terre: Aussi-tost qu'ils furent à couvert
des arbres, sans que ceux du Fort
pussent les appercevoir, ils se coucherent
à bas, & revinrent presque en rampant
à leur bord.

Dom Alonse voyant cela, jugea que
les Avanturiers vouloient tenter encore
une fois la prise du Fort; & pour
l'empescher il fit mettre la plus grande
partie de son canon sur la redoute du
costé de terre. Cependant les Avanturiers
avoient preparé leurs Vaisseaux
pour passer la nuit au clair de la Lune.
Ils estoient tous couchez sur le tillac,
& quelques-uns estoient destinez en bas
pour boucher les ouvertures qui pourroient
estre faites par les boulets de canon.
De cette maniere les Avanturiers
passerent malgré Dom Alonse, qui en
fut au desespoir: car il croyoit en prendre
quelqu'un à qui il auroit fait payer
bien cher la perte qu'il avoit faite.

Les Avanturiers estant ainsi passez,

Prisonniers
renvoyez.
mirent tous les prisonniers dans une
Barque qu'ils envoyerent à Dom Alonse
sans leur faire aucun mal, & eux

102

Page 102
prirent la route pour sortir de la Baye
de Venezuela, ou Marecaye, où ils
l'avoient échapé belle. Le mesme jour
les Avanturiers furent surpris d'un mauvais
temps, & avoient le vent contraire;
leurs vaisseaux ne valoient pas grand
chose, en sorte qu'on avoit peine à les
tenir sur l'eau, & qu'ils furent tous en
danger de perir. Malheureusement pour
moy je me rencontray dans un des
pires.

Je suis seur qu'il y en a beaucoup
qui font des vœux au Ciel, qui ne se
sont jamais trouvez dans une peine
égale à la nostre; nous avions perdu nos
ancres & nos voiles, & le vent estoit
si furieux, qu'il ne nous permettoit
pas d'en mettre d'autres. Il faloit sans

Extrême
danger des
Avanturiers.
cesse vuider l'eau avec des pompes, &
se servir encore de sceaux pour la jetter
hors du Navire qui se seroit ouvert,
si nous ne l'avions fortement lié
avec des cordes. Cependant le tonnerre
& les vagues nous incommodoient
également. Le tonnerre nous
assourdissoit par ses éclats redoublez,
les vagues nous rompoient par leur extrême
violence. Il nous estoit impossible
de dormir durant la nuit, à cause

103

Page 103
de l'incertitude de nostre destinée, encore
moins durant le jour.

En effet, bien que nous fussions accablez
de travail & d'assoupissement,
nous ne pouvions nous resoudre à fermer
les yeux à la clarté, que nous étions
sur le point de perdre pour jamais; car
enfin il ne nous restoit aucune esperance
de salut. Cette tempeste duroit depuis
quatre jours, & il n'y avoit aucune
apparence qu'elle dust finir. D'un
costé nous ne voyons que des rochers,
où nos Vaisseaux estoient prests de perir
à toute heure; de l'autre nous avions
les Indiens, lesquels ne nous auroient
pas plus épargné que les Espagnols
qui estoient derriere nous; & par
malheur le vent nous poussoit sans cesse,
& contre ces rochers, & vers les Indiens,
& venoit de l'endroit où nous
voulions aller.

Pour comble de disgraces, nous apperçûmes
six grands Navires au sortir
de la Baye de Venezuela que nous
avions quittée, si-tost que le mauvais
temps eut cessé. Ces Navires nous allarmerent
terriblement, sans toutefois
nous faire perdre l'envie de nous bien
deffendre, remarquant que Monsieur


104

Page 104
Generosité de
Monsieur
d'Estrez.
d'Estrez qui les commandoit nous faisoit
donner la chasse. Mais lors que
nous redoutions sa valeur, nous éprouvâmes
sa bonté; car s'étant informé de
nos besoins, il nous secourut genereusement.
Aprés cela chacun tira de son
costé; Morgan avec plusieurs des siens
à la Jamaïque, & nous à la coste de
Saint Domingue.