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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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David V. Avanturier.
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David V. Avanturier.

Jean David Holandois de nation,
s'estant refugié à la Jamaïque, a fait de
riches prises sur les Espagnols, & des
actions assez hardies; les places ordinaires
où il alloit croiser, estoient la côte
de Caraco, & celles de Cartagene, ou
Boca del Tauro, à dessein d'attendre
les navires qui passoient pour aller à
Nicarague.

Un jour ayant manqué son coup,

Coup hard
de David
quel en fut
le succés.
& long temps battu la mer, sans avoir
rien pris; il resolut d'entreprendre une
chose assez perilleuse avec son Equipage,
qui estoit en tout de quatre-vingt-dix
hommes: c'estoit d'aller dans le Lagon
de Nicarague,
& de piller la ville de
Grenada qui est sur le bord de ce Lagon.
Il avoit un Indien de ce pais qui
luy promettoit de l'y mener, sans estre
découvert; son équipage fut toûjours
prest à le suivre, & d'executer tout
ce qu'il pourroit entreprendre.

Les choses en cet état, il entra dans la
riviere avec son navire, où il monta
jusqu'à l'entrée du Lagon, qui peut
estre à trente lieuës du bord de la mer,


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là il cacha son navire à l'abry de grands
arbres qui sont sur le bord de l'eau,
& mit quatre-vingt de ses gens, dont
il estoit du nombre, dans trois canots,
& laissa dix hommes pour garder le
vaisseau. Il partit avec ces canots, pour
arriver à la ville; & sur le milieu de la
nuit, il esperoit de leur donner l'assaut,
ce qui luy reüssit. Car en approchant,
une sentinelle demanda qui c'estoit? il
répondit qu'ils estoient amis, & qu'ils
venoient à la pesche. Deux des siens
sauterent aussi-tost à terre, & couperent
la gorge à cette sentinelle; & comme
le guide qu'ils avoient, sçavoit
fort bien ce païs, il ne manqua pas de
les mener par un petit chemin couvert,
droit à la ville, pendant qu'un autre
Indien mena les canots à un lieu où ils
devoient se rassembler, & y porter le
butin qu'ils feroient.

Lors qu'ils arriverent dans la ville,
ils se separerent, l'Indien fut fraper à
la porte de quelques bourgeois, ausquels
on fit ouvrir; & les saisissant
d'abord à la gorge, on leur fit donner
tout ce qu'ils avoient pour conserver
leur vie: Ensuite, on fut éveiller aussi
les Sacristains des principales Eglises,


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ausquels on prit les clefs, & on pilla
toute l'argenterie qui estoit la plus portative.

Ce pillage sourd avoit déja bien
duré deux heures, lors que quelques
domestiques échappez des mains des
Avanturiers, commencerent à sonner
les cloches, à dire que l'ennemy estoit
dans la ville & à crier aux armes. Les
Avanturiers voyant cela porterent vîtement
le butin qu'ils avoient déja fait,
dans leurs canots, s'assemblerent & furent
contraints de se retirer, sans pouvoir
piller davantage: car les Espagnols
les presserent de prés, sans toutefois
leur avoir pû faire aucun mal; au contraire,
ils emmenerent encore quelques
prisonniers avec eux, s'en retournerent
de cette maniere à leur navire, &
forcerent les prisonniers qu'ils avoient
à leur apporter cinq cens vaches pour
les ravitailler, afin de s'en retourner
chez eux: ce que ces prisonniers firent,
pour estre délivrez de ces gens. Les
Espagnols les voulurent attaquer dans
leur navire; mais ils les contraignirent
de se retirer à grands coups de canon.

Nos Avanturiers ne furent que huit
jours dans ce voyage, dans lequel


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temps ils partagerent leur butin, qu'ils
trouverent se monter, tant en argent
monnoyé, que rompu & quelques
pierreries, à quarante mil écus, outre
quelques meubles qu'ils avoient jettez
dans leurs canots: car ils n'avoient pas
le temps de choisir, mais prenoient
tout ce qui se trouvoit sous leurs
mains.

C'estoit à la verité une action bien
hardie, d'aller si peu de monde quarante
lieuës sur terre attaquer une ville,
où il y avoit pour le moins huit cens
hommes tous armez & capables de se
défendre. Cet Avanturier ne tarda gueres
à estre à la Jamaïque, où le butin fut
bien-tôt consumé tant par le jeu que par
les femmes & la bonne chere.

Un peu aprés ce mesme Avanturier,
s'associa encore de deux ou trois autres,
qui avoient tous leur équipage, pour
aller croiser devant la ville de saint
Christophe de la Havana,
sur l'Isle de
Cuba,
afin d'y attendre la flote de
neuve Espagne & en prendre quelque
bon navire, mais elle entra sans qu'ils
l'apperceussent, & se déroba à leur
poursuite. Se voyant trompez dans
leur attente ils prirent une petite ville


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nommée Saint Augustin de la Florida:
cette ville estant gardée par un Chasteau
qui ne pût resister à leurs forces. Ils
n'y firent pas grand butin; car les habians
de ce lieu sont fort pauvres.