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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
  

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Chapitre IV.

Histoire de l'Olonois, quatriéme
Avanturier.

L'Olonois François de Nation, est

L'Olonois
habile Avanturier,
mais
malheureux.
de Poitou, d'un lieu nommé les
Sables d'Olone, dont il a retenu le nom,
sous lequel on le connoist dans toute
l'Amerique. Il quitta la France dés sa
jeunesse, & s'embarqua à la Rochelle,
où il s'engagea à un Habitant des Isles
de l'Amerique, qui l'y emmena, & le
fit servir trois ans en qualité d'Engagé.

Estant dans la servitude, il entendoit
parler souvent des Boucaniers de
la Coste de Saint Domingue. Cela le
toucha tellement, que dés qu'il fut
maistre de luy, il ne perdit pas la
premiere occasion qu'il pût trouver
pour y passer; où étant arrivé, il se


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mit à servir un Boucanier. Aprés
le devint luy-mesme, & des plus fameux.

Ayant mené cette vie quelque
temps, il s'en ennuya, & voulut aller
faire quelque course avec les Avanturiers
François, qui se retiroient à la
Tortuë. Il semble qu'il estoit destiné
pour ce mestier, parce que dés son
premier voyage il s'y monstra si adroit,
qu'il surpassoit tous les autres en agilité,
& en tout ce qui concernoit son occupation.

Il fit fort peu de voyages en qualité
de Compagnon; car ses Camarades le
prirent bien-tost pour Maistre, & luy
donnerent un Bâtiment, avec lequel il
fit quelques prises. Cependant il perdit
tout, & Monsieur de la Place, pour
lors Gouverneur de la Tortuë, luy
donna un Bâtiment, avec lequel il ne

Il est défait
par les Espagnols;
stratagême
dont
il se sert pour
échaper, &
pour prendre
un Vaisseau.
fut pas plus heureux: car aprés en
avoir fait quelques prises de peu de
valeur, il le perdit encore; & outre
cela eut le malheur d'estre pris des Espagnols,
qui tuerent presque tout son
monde, & le blesserent luy-mesme.

Pour sauver sa vie, il se barboüilla
dans le sang & se mit parmy les morts;


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il y en eût quelques uns d'épargnez
que l'on mena prisonniers à Campesche.
Aprés que les Espagnols furent
partis, l'Olonois se retira d'avec les
morts, & fut se laver à une Riviere,
prit l'habit d'un Espagnol qui estoit
mort, car ils s'étoient battus, & alla
proche la Ville, où il trouva moyen de
parler à quelques Esclaves, qu'il debaucha,
& leur promit de les mettre
en liberté, en cas qu'ils voulussent luy
obeïr; ce qu'ils accepterent.

Ils prirent donc le Canot de leur
Maistre, qu'ils amenerent en un lieu,
où l'Olonois les attendoit, afin de s'embarquer
& de se sauver. Cela leur réussit
si bien, qu'en peu de jours ils fuent
à la Tortuë. Cependant les Espagnols
croyoient l'avoir tué: car ils demanderent
à ses Camarades, où il estoit?
qui répondirent qu'il estoit mort, le
croyant ainsi: Les Espagnols en firent
un feu de joïe, tant ils étoient aises de
s'estre deffaits d'un homme qui les tourmentoit
sans cesse.

L'Olonois cependant avoit poursuivi
son chemin, & étoit arrivé à l'Isle
de la Tortuë, où il tint la promesse
qu'il avoit faite aux Esclaves de les mettre


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en liberté, quoy qu'il eust pû les
vendre, s'il eust esté de mauvaise foy.
Etant donc arrivé à la Tortuë, il ne
songea qu'à se venger de la cruauté
qu'il pretendoit que les Espagnols luy
Resolution
de l'Olonois
pour se vanger.

avoient faite, en massacrant des gens
qui se sauvoient d'un naufrage: outre
que le desir de faire fortune l'excitoit
encore à songer de quelle maniere il
pourroit avoir un autre bâtiment. Il
resolut d'aller à la coste du Nord de
l'Isle de Cuba avec son Canot, devant
un certain Port nommé la Boca de
Caravelas,
où il vient quantité de Barques
de la Havana, ville Capitale de
ladite Isle, pour y charger des cuirs,
sucre, viande & tabac, & les porter à ladite
Ville, afin d'avitailler les flotes qui
y sont, pour aller en Espagne.

Pour cela il chercha du monde qui
voulût estre de son party, il trouva au
nombre de vingt un hommes: & luy,
c'étoit vingt-deux avec un Chirurgien.
Ces gens ayant appresté leurs armes,
& pris des munitions autant
qu'ils croyoient en avoir besoin; ou
que la commodité le permettoit, s'embarquerent,
& se rendirent en peu de
jours à l'Isle de Cuba, quoy que ce ne


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fût pas avec tout le succez qu'ils en esperoient;
car ils furent bien-tost découverts
par quelques Canots de pêcheurs,
dont ils en prirent un qui leur
servit à s'élargir, dautant qu'ils étoient
trop pressez dans le premier. Si bien
qu'ils se mirent onze dans chaque, &
se retirerent avec ces deux Canots dans
des petites Isles qui sont le long de cette
Coste, qu'on nomme Bayes du
Nord.

Ils s'écarterent à quelque distance
l'un de l'autre, afin de faire plûtost
capture; car chacun d'eux étoit assez
fort pour se rendre maistre d'une de
ces Barques, qui ne porte ordinairement
que quinze ou seize hommes sans
armes. Ils furent là quelques mois, &
ne purent rien prendre, quoy que ce
fût dans le fort de la saison que ces Barques
navigent.

Ayant donc esté ainsi quelque temps,
ils prirent un Canot de pêcheurs, qui
leur dit qu'ils se metroient bien en peril
de demeurer à cette Coste, & que
l'on avoit connoissance d'eux, ce qui
estoit cause que pas une Barque n'osoit
sortir, ny entrer, & que les interessez
dans le commerce avoient esté se


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plaindre au Gouverneur de la Havana,
& le prier de donner remede à cela,
en détruisant los Ladrones; car c'est
ainsi que les Espagnols les nomment.

Le Gouverneur
de la
Havana envoye
une Fregate
contre
l'Olonois.
Le Gouverneur à ces plaintes avoit
fait équiper une Armadilla, qui veut
dire Fregatte legere, armée de dix pieces
de canon, & de quatre-vingts hommes
de la plus belle jeunesse & des plus
vigoureux qui fussent à la Havana,
qui jurerent en partant de ne faire aucun
quartier. L'Olonois apprenant ces
nouvelles commença à se réjoüir; &
dit à ses Camarades, bon mes freres,
nous serons bien-tost montez, & dans
peu nous ferons capture. Ils furent bienaises,
se tinrent sur leurs gardes, & peu
de jours s'étoient passez qu'ils apperceurent
le bâtiment.

A sa veuë ils se cacherent, ne laissant
pas de l'observer. Il vint moüiller dans
une Riviere d'eau salée, que les Espagnols
nomment Efferra, & les François
Efferre. La nuit mesme nos Avanturiers
resolurent de l'attaquer: & à cet
effet ils ramerent fort doucement le
long de la terre à l'abry des arbres qui
bordoient cette Riviere, & qui les cachoient.
Le lendemain à la pointe du


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jour ils commencerent à charger les Es-
L'Olonois
attaque la
Fregate; évenement
du
combat.
pagnols des deux costez, à coups de fusil.
Eux qui faisoient bonne garde, leur
rendirent aussi-tost, quoy qu'ils ne les
vissent pas; car ils avoient rangé leurs
Canots à terre sous les arbres qui les
couvroient, & s'étoient retirez derriere
leurs Canots qui leur servoient de Gabions.
Les Espagnols tiroient à cartouches
des deux costez, & outre celafaisoient
de grandes décharges de mousqueterie,
sans toutefois tuer ny blesser
aucun des Avanturiers.

Ce combat dura environ jusqu'à midy,
sans que les Avanturiers receussent
aucun tort, & avoient au contraire,
presque tué & blessé tous les Espagnols
qui faisoient déja mine de se retirer de
là, n'en pouvant plus. Quand les Avanturiers
virent que leurs ennemis vouloient
se retirer, ils jugerent qu'ils
étoient bien affoiblis; car ils voyoient
couler le sang par les étancheres, qui
sont les égouts des Vaisseaux. Ils mirent
donc au plus viste les Canots à
l'eau, & furent tout d'un coup à bord,
où les Espagnols ne firent pas beaucoup
de resistance, & se rendirent.

On les fit aussi-tost descendre à bas,


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& l'on tua tous ceux qui étoient blessez
sur le tillac. Pendant ce carnage,
un Esclave vint se jetter aux pieds de
l'Olonois, & s'écria en Espagnol, Senor
Capitan, no mé. Mateis yo os dire
la verdad:
l'Olonois qui entendoit
parfaitement bien l'Espagnol, crut
qu'à ce mot de verdad il y avoit quelque
mistere: il l'interrogea, mais cet
Esclave tout tremblant ne luy pût jamais
répondre, qu'il ne luy eût absolument
promis quartier, ce qu'il fit, &
l'Esclave commença à parler, & à dire;
Senor Capitan, Monsieur le Gouverneur
de la Havana ne doutant pas que
cette Fregate armée comme elle l'étoit,
ne fût capable de vaincre le plus fort de
vos Vaisseaux, m'a mis dessus pour servir
de Bourreau, & pour pendre tous
les prisonniers que le Capitaine de ce
Vaisseau prendroit, afin d'intimider de
telle sorte vostre Nation, qu'elle n'ose
approcher de cette coste que de loin.

L'Olonois à ces mots de Boureau &
de pendre, devint comme furieux; &
ce fut un bon-heur pour l'Esclave, de
ce qu'il se donna le temps de luy dire:
Je te donne quartier: car je te l'ay
promis, & mesme la liberté;
& il fit


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ouvrir l'Ecoutille, par laquelle il commanda
aux Espagnols de monter un à
un: & à mesure qu'ils montoient, il
leur coupoit la teste avec son sabre. Il
Terrible execution.

fit cela seul & jusques au dernier, qu'il
garda en vie, & luy donna une lettre
pour rendre au Gouverneur de la Havana,
dans laquelle il luy mandoit,
qu'il avoit fait de ses gens ce qu'il avoit
ordonné qu'on fist de luy & des siens;
qu'il estoit fort aise que cet ordre vint
de sa part, & qu'ild pouvoit s'assurer
qu'autant d'Espagnols qu'il prendroit,
il leur feroit le mesme traitement, &
que peut-estre il l'éprouveroit luy-mesme;
que pour luy il estoit resolu de se
tuer plûtost dans le besoin, que de tomber
entre leurs mains.

Le Gouverneur surpris à cette nou-

Etonnement
du Gouverneur.

velle, le fut encore davantage, quand
il entendit dire que vingt-deux hommes
avec deux Canots avoient fait ce
coup. Cela l'irrita tellement, qu'il envoya
ordre dans ce moment par tous
les Ports des Indes, de pendre tous les
prisonniers François ou Anglois, au lieu
de les embarquer pour l'Espagne.
Tout le peuple ayant appris cette nouvelle,
députa quelqu'un pour representer

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au Gouverneur, que pour un
Anglois, ou un François que les Espagnols
prenoient, ces Nations en prenoient
tous les jours cent des leurs,
& qu'ils étoient obligez de naviger
pour gagner leur vie, qui leur estoit
plus chere que tout leur bien, à quoy
ces gens en vouloient seulement, puis
qu'ils leur donnoient quartier dans
toutes les occasions; que pour cette
raison ils supplioient Monsieur le Gouverneur
de ne pas executer en cela son
dessein. On a sceu depuis cecy par des
Espagnols que les Avanturiers ont pris.

L'Olonois se voyant remonté d'un
nouveau Bâtiment, ne songea plus qu'à
faire un bon équipage, & pour cet effet
se rendit avec sa prise à la Tortuë,
où il trouva un de ses Camarades, nommé
Michel le Basque, qui avoit aussi
fait une capture considerable sur les Espagnols,
entre lesquels il y avoit deux
François, qui ayant long-temps demeuré
avec les Espagnols, & mesme
estant mariez chez eux aux Indes, sçavoient
fort bien les routes de ces Côtes.
Comme ils se voyoient destituez
de tous leurs biens par la prise du Vaisseau
que le Basque avoit fait, ils resolurent


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de donner des avis aux Avanturiers,
pour faire une descente en terre
ferme, & surprendre par ce moyen
quelques Villes Espagnoles: Ils s'adresserent
pour cela à l'Olonois, qui les
écouta, & resolut l'entreprise avec le
Basque son ami qui y consentit. Aussitôt
ils conclurent ensemble que l'un,
sçavoir l'Olonois, seroit General de
l'armée de mer, & que le Basque le seroit
de celle de terre.