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Histoire des avanturiers qui se sont signalez dans les Indes :

contenant ce qu'ils ont fait de plus remarquable depuis vingt années. Avec la vie, les mœurs, les coûtumes des habitans de Saint Domingue & de la Tortuë, & une description exacte de ces lieux; où l'on voit l'établissement d'une chambre des comptes dans les Indes, & un etat, tiré de cette chambre, des offices tant ecclesiastiques, que seculiers, où le roy d'Espagne pourvoit, les revenus qu'il tire de l'Amerique, & ce que les plus grands princes de l'Europe y possedent ...
  
  
  
  
PREFACE.
  

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PREFACE.

IL y a long-temps qu'on se
plaint, & sans doute avec
justice, qu'on a mis au jour
des Relations de plusieurs païs
étrangers, qui sont la pluspart,
ou si peu vray-semblables qu'elles
déplaisent, ou si mal écrites
qu'elles produisent le mesme effet.
On ne prétend pas qu'il
ne s'en trouve quelques-unes
exemptes de ces deffauts; mais
certainement elles sont bien rares,
& si rares que j'ay veu beaucoup
de gens passionnez pour
ces sortes de Relations, jusqu'à
lire indifferemment tout ce qui
se presentoit de ce caractere,
s'en dégoûter peu à peu: Et j'avoüe
que je suis de ce nombre.



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C'est pourquoy lors que l'on
m'aporta celle dont il s'agit manuscrite,
j'en fis laisser seulement
deux ou trois cahiers pour
les parcourir, & pour voir ce
que c'estoit; ils me plurent assez
pour en redemander d'autres,
& d'autres en autres,
insensiblement j'ay leu tout l'Ouvrage.

En effet, vous sentez je ne
sçay quoy qui vous interesse,
lors que vous lisez cette Relation:
à cause qu'elle est toute
historique, contenant l'origine,
la vie, les mœurs & les actions
des Avanturiers, qui devours
vingt années se sont fignalez
dans l'Amerique. C'est pour
cette raison que l'Autheur a esté
indispensablement obligé de
nous donner une connoissance
parfaite des païs de ce continent,
où comme je le viens de
dire, les Avantutiers se sont



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signalez; parce qu'il estoit comme
impossible de bien connoître
la grandeur de leurs entreprises,
qu'en mesme temps on
ne fust instruit de l'état des lieux
où elles ont esté executées. Ce
qui donne d'autant plus de satisfaction,
que le recit des plus
surprenantes avantures étant
joint à ces descriptions, il ne
faut pas craindre qu'elles ennuyent;
au contraire on est dans
une avidité de les lire qui tient
toûjours en haleine, pour sçavoir
ce qui s'y est passé.

Cependant ce manuscrit étoit
difficile à entendre, & encore
plus à faire entendre aux autres,
parce qu'il se rencontroit presque
par tout des endroits obscurs.
Outre cela, si la matiere
de cette histoire estoit avantageuse,
les expressions ne répondoient
nullement à la matiere.
Ainsi il a esté necessaire de changer



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les mauvaises expressions, de
déterminer les sens suspendus,
& d'éclaircir les endroits obscurs,
car enfin, nous sommes
dans un siecle: où l'on veut que
toutes choses frapent d'abord
dans un Ouvrage, sautent aux
yeux, & s'offrent d'elles mesmes:
où l'on ne void que trop
de gens qui ne veulent pas se
donner la moindre peine de
chercher. Aussi n'a t'on rien
oublié pour leur épargner cette
peine, & pour tâcher qu'ils ne
trouvent rien dans cette histoire
qui ne se presente à leur esprit,
dés la premiere attention,
ainsi que cela doit estre en ces
sortes d'Ouvrages, qui sont faits
pour divertir, & non pas pour
apliquer.

Comme on ne dissimule point
qu'il a falu beaucoup de travail,
& d'application pour mettre cet
Ouvrage en l'état où on le void



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aujourd huy, on convient en
mesme temps, qu'il meritoit &
ce travail & cette application.
Il ressembloit à une belle maison
que l'on voyoit de loin, &
qu'on vouloit voir de plus prés,
mais dont on ne pouvoit aborder,
à cause que tous les chemins
qui y menoient, étoient
remplis de ronces & de pierres.
Maintenant qu'on a ofté les
unes & arraché les autres, on y
peut aller avec facilité. Si pourtant
il en reste encore quelques-unes,
comme cela pourroit
bien estre, veu la grande
quantité qu'il y en avoit, on
prendra la peine, ou de s'en détourner,
ou de passer par dessus:
Et afin de ne point sortir de
ma comparaison, on peut juger
qu'il a esté facile de toucher aux
avenuës qui conduisent à cette
maison; c'est à dire de les rendre
libres & aisées, sans toucher


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à la maison mesme, que
l'on a trouvée trop bien disposée
pour y rien changer. Pour
parler sans figure, aprés avoir
trouvé cette histoire veritable,
on a tâché qu'elle fust passablement
bien écrite.

Si je n'avois regardé que le
nom & la naissance de cet Autheur,
l'un & l'autre n'estant
pas fort considerables en luy, je
n'aurois jamais pensé à lire ces
memoires, encore moins à les
revoir, parce qu'on est persuadé
dans le monde, qu'on ne
sçauroit rien faire de fort exact
sans naissance & sans éducation,
& l'on n'en peut disconvenir.
Toutefois il semble que
cet Autheur a un peu de toutes
deux, si l'on prend garde au
bon sens, & à une certaine liberté
d'honneste homme, qui
regne par tout dans ce qu'il
écrit.



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D'ailleurs, ce ne sont point
tous ces motifs qui m'ont porté
à travailler sur ces memoires.
Une personne de consideration,
& à qui l'on ne doit rien refuser,
m'a engagé à le faire, parce
qu'elle les a trouvez fort curieux,
principalement le Traité que
l'on voit à la fin. Je ne dis pas
que dans la suite, je ne l'eusse
fait de mon propre mouvement,
non pas à la verité, avec tout
l'empressement que demandoient
des ordres à qui je devois
une prompte déference;
mais du moins dans le temps
que mes occupations auroient
pû me le permettre; puis qu'enfin
j'ay toûjours esté touché des
choses que dit cet Autheur, de
la maniere qu'il les dit, & de la
verité qui les accompagne.

Pour ce qui regarde les choses;
Comme les Avanturiers en
font la principale matiere, on



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peut dire qu'elles sont presque
toutes surprenantes, agreables
& singulieres.

Pour ce qui concerne la maniere,
il raconte ces choses si
naïvement, qu'il les fait croire
par la seule maniere dont il les
raconte.

A l'égard de la verité, bien
qu'il declare en beaucoup de
lieux de son histoire qu'il la dit:
quand il ne le declareroit pas,
on s'en apercevroit facilement;
puisque la verité a cela de propre,
qu'elle se fait sentir par tout
où elle se rencontre.

Il est aisé de connoistre que
cet Autheur en écrivant, a eu en
veuë ceux qui veulent voyager,
& ceux qui n'ont point cette envie,
pour les instruire également,
& qu'il a mesme trouvé le moyen
de les divertir en les instruisant.

Il s'exprime si vivement sur



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tout ce qui se presente, que ceux
qui n'ont point envie de quitter
leur païs, croyent voyager avec
luy en terre ferme, toutes les
fois qu'il y voyage. S'il va sur
mer, on s'imagine estre embarqué
avec luy, voir toutes les
Isles dont il parle, tous les écueils
qu'il évite, échoüer contre
ceux qu'il n'évite pas. On
pense estre spectateur des combats
qui s'y donnent, des prises
qui se font. On tremble avec
l'équipage s'il survient quelque
tempeste, parce qu'on ne sçauroit
mieux marquer, qu'il fait,
tous les perils qui l'accompagnent.
S'il arrive quelqu'autre
incident, on craint, on espere
dans l'attente du succez: tant il
sçait representer au naturel jusqu'aux
moindres circonstances,
& faire entrer dans tout ce qu'il
dit.

Ce n'est pourtant pas qu'il



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songe à suivre l'éloquence dans
les choses qu'il veut décrire,
mais l'on s'aperçoit que l'éloquence
suit naturellement les
choses qu'il décrit. Pour mieux
dire, ce n'est point l'éclat des
paroles qui rejallit sur les choses,
mais c'est l'éclat des choses
mesmes qui rejallit sur les paroles.

Ceux qui ont envie de voyager,
& qui prendront la peine de lire
cet Auteur, n'en seront pas moins
satisfaits, à cause qu'ils connoîtront
par avance tous les païs où
ils ont dessein d'aller, & que ce
qu'ils verront sur les lieux se
trouvera entierement conforme
à ce qu'il leur rapporte. Ce
n'est pas tout, car sans rien affecter,
& suivant que le sujet
qu'il traite luy en donne l'occasion,
il n'en laisse échaper aucune
de leur aprendre ce qui se
rencontre en voyageant, qui



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leur peut estre utile ou préjudiciable,
afin qu'ils puissent chercher
l'un & éviter l'autre, &
ainsi s'attendre à tout, & n'estre
surpris de rien.

Certainement on peut faire
fond sur ce que dit cet Autheur:
d'autant plus qu'on sçait qu'il
y a beaucoup de personnes d'experience
qui ont voyagé dans les
païs dont il parle. J'ay eu mesme
la curiosité d'en consulter
plusieurs, à mesure que j'ay trouvé
des choses un peu extraordinaires
dans sa Relation, &
dont luy-mesme ne vouloit pas
estre crû sur sa parole: & je dois
rendre ce témoignage au public,
que je ne leur en ay jamais
proposé aucune qu'ils ne m'ayent
toûjours assuré qu'elle estoit veritable,
& je puis dire que ce
sont des gens à qui l'on ne sçauroit
en faire accroire, parce qu'ils
connoissent le païs à fond pour



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y avoir esté long temps, & qu'ils
ont des correspondances certaines
pour bien sçavoir tout ce
qui s'y passe maintenant qu'ils
n'y sont plus.

Parmy ceux à qui je communiquay
ces memoires, il s'en
trouva quelques-uns qui furent
ravis, lors qu'ils tomberent sur la
description de quelques païs où
ils avoient esté. Cette description
leur sembloit si juste, qu'ils
s'imaginoient y estre encore, &
qu'on les y conduisoit comme
par la main. D'autres estoient
surpris que cet Autheur n'ait rien
dit qui ne soit considerable, &
qu'il n'ait rien dit que ce qu'il a
veu, ou que des personnes dignes
de foy luy ont recité. Encore
est-il aisé de remarquer
que c'est avec de grandes circonspections
qu'il raporte ce
qu'il a sçû de ces personnes,
toutes croyables qu'elles puissent



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estre, & qu'il écrit bien plus
volontiers les choses qu'il a
veuës, que celles qu'il a aprises:
ayant grand soin par toute son
histoire de bien distinguer les
unes d'avec les autres, afin que
le Lecteur en puisse faire tel jugement
qu'il luy plaira. Ces
precautions agréoient fort à ces
Messieurs, & tous generalement
demeuroient d'accord qu'ils n'avoient
jamais lû d'histoire plus
diversifiée par la quantité d'évenemens
qui s'y rencontrent, &
plus remplie de choses nouvelles
jusquesicy ignorées, ou du moins
incertainement connuës.

Sur tout ils ont admiré les
Cartes que l'Autheur a dressées
luy-mesme sur les lieux, à cause
de leur beauté & de leur exactitude,
& l'on verra que l'Autheur
mesme ne s'est pas épargné
à les loüer en plusieurs endroits
de son histoire, & cettes



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on ne le doit pas trouver étrange,
puisque les connoisseurs &
les plus grands connoisseurs les
estiment tant.

Aprés avoir remarqué le jugement
qu'on a fait, & le soin
qu'on a pris de cette Histoire,
avoir montré les motifs qui ont
porté l'Autheur à l'écrire, il ne
reste plus qu'à dire un mot de
l'ordre qu'il a suivi en l'écrivant.

D'abord il parle de quelques
incidens qui luy sont arrivez sur
mer, puis de la celebre conqueste
de la Tortuë faite par les
Avanturiers, & aussi comment
luy-mesme s'est rencontré parmi
eux; car on peut dire en passant,
qu'il n'avance rien dont il
ne rende raison. Bien éloigné
de la maniere de certains Autheurs,
qui reduisent ceux qui
les lisent à deviner, ou du moins
à les croire sur leur parole.



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En suite il vient au recit des
exploits de plusieurs Avanturiers;
il fait voir le traitement
qu'ils font aux Espagnols quand
ils les prennent, & celuy qu'ils
reçoivent des mesmes Espagnols
quand ils en sont pris. Il
nous convainc encore par beaucoup
d'exemples, de la valeur &
de l'intrepidité de ces mesmes
Avanturiers, qui seulement avec
des fusils, des sabres, & d'autres
armes ordinaires, prennent
des Navires, des Forts & des
Villes, qu'on ne pourroit prendre
qu'avec des Armées & des
Sieges, qu'avec du Canon, des
Mines, & d'autres moyens semblables
qui sont d'un grand secours
à la guerre. En un mot, il
nous raporte leurs plus belles entreprises,
qui toutes extraordinaires
qu'elles sont par la singularité
de leurs évenemens, n'en
paroissent pas moins veritables



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par la nature de leurs circonstances;
en sorte qu'on les lit toûjours
avec autant de plaisir que
de surprise. Il n'oublie pas, non
plus, de remarquer de quelle
sorte les François se sont étendus
dans l'Amerique, de la maniere
qu'ils y vivent, & de tout
ce qu'ils y font en qualité de
Chasseurs, de Boucaniers, d'Habitans
& d'Engagez.

Enfin il passe à l'histoire d'un
Avanturier crû Espagnol, à celle
d'Alexandre, dit Bras de Fer,
à celle de Monbars, appellé l'Exterminateur,
lesquels je nomme
icy, parce qu'ils sont tous
tres singuliers dans leur espece.
Par exemple, l'Avanturier
crû Espagnol est remarquable
par la prosperité de ses affaires,
Alexandre par la conduite
de ses desseins, & Monbars
par son antipathie pour les Espagnols.
Ces deux derniers par



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une temerité qui étonne, &
qu'on a peine à condamner parce
qu'elle est heureuse: D'ailleurs
on voit souvent que ces
deux Avanturiers sçavent joindre,
quand il le faut, l'adresse à
la temerité, puis qu'ils accompagnent
leurs entreprises de stratagêmes
de guerre si peu communs,
qu'on ne pense pas que
les plus grands Capitaines de
l'Antiquité en ayent jamais mis
de meilleurs en usage; Encore
mesme ont-ils cela de particulier,
qu'ils contribuënt à la deffaite
des vaincus, sans rien dérober
à la gloire des vainqueurs, que
l'on void dans l'occasion pousser
la bravoure aussi loin qu'elle
peut aller, C'est pourquoy l'on
connoistra facilement que ces
stratagémes sont plûtost employez
pour se deffendre contre
le grand nombre des ennemis,
que pour empescher l'effet de


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leur valeur; mais on ne veut
point s'expliquer davantage,
afin de ne pas oster le plaisir
de la surprise, qui sans doute
n'est pas le moindre que
l'on trouve dans les choses de ce
caractere.

De plus, l'autheur raconte
plusieurs autres évenemens qui
ne sont pas moins agreables
qu'extraordinaires. Enfin, il recite
ce que firent les Avanturiers
au retour de ces expeditions
militaires, & ce qui leur
arriva le long de la coste de terre
ferme jusqu'au Cap de Gracia
à Dios.
Il parle aussi des mœurs
& d'autres choses remarquables
des Indiens rencontrez sur la
mesme route, tant de ceux qui
sont reduits, que de ceux qui sont
à reduire.

L'auteur ajoûre à ce que l'on
vient de dire, un Traité qu'il a tiré
d'un manuscrit Espagnol, & traduit



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en nostre Langue qui renferme
des choses aussi curieuses que
difficiles à sçavoir, eomme on le
verra dans ce manuscrit qui merite
bien d'estre lû, & dont on ne
dit rien davantage, parce que
l'Avertissement qu'on a mis en
teste fera connoistre ce que c'est.

Aprés tout cela l'Auteur conclud,
qu'il ne doute point que
son Ouvrage ne soit bien reçu:
d'autant plus qu'il contient des
choses aussi necessaires que veritables,
& l'on reconnoistra par
sa lecture, qu'il a raison de conclure
ainsi. Effectivement il contient
des choses veritables, puis
qu'elles sont confirmées par toutes
personnes qui ont esté, & qui
reviennent de l'Amerique. Il
contient des choses necessaires,
parce qu'il est d'un grand secours
à ceux qui veulent voyager en ce
païs, leur aprenant beaucoup de
particularitez qui leur en facilitent



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les moyens. Il est mesme
utile à ceux qui n'iront jamais, à
cause qu'il les informe de quantité
d'évenemens extraordinaires,
& qu'il n'y a personne qui
ne soit bien aise de sçavoir ce
qui se passe en ces fameuses contrées.

Le Roy mesme qui ne se contente
pas d'estre connu dans toutes
les parties du monde, mais
qui les veut aussi connoistre, a
souvent envoyé dans ces païs
des Escadres commandées par
M le Comre d'Estrées, ViceAmiral
& Mareschal de France,
qui sert ce grand Prince aussi
dignement qu'il merite d'estre
servi. C'est beaucoup dire &
ne rien dire toutefois, que M.
d'Estrées ne fasse depuis plusieurs
années.

J'oubliois une chose particuliere,
& trop avantageufe à
l'Autheur pour l'oublier, c'est



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qu'il a eu l'honneur d'estre
mandé par M. d'Estrées, & de
luy rendre compte des particularitez
de ses voyages; lequel
en fut si content, qu'il voulut
bien le luy témoigner en ces
termes. Si tous ceux qui ont
voyagé, parloient comme vous des
païs & des choses qu'ils ont veuës
dans leurs voyages, on n'auroit
que faire d'aller sur les lieux pour
les connoistre.