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Histoire d'vn voyage fait en la terre du Bresil, autrement dite Amerique.

Contenant la nauigation, & choses remarquables, veuës sur mer par l'acteur: le comportement de Villegagnon, en ce païs la. Les meurs & façons de viure estranges des sauuages ameriquains: auec vn colloque de leur langage. Ensemble la description de plusieurs animaux, arbres, herbes, & autres choses singulieres ...
  
  
  
  
  
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CHAP. X.
 XI. 
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 XIII. 
 XIIII. 
 XV. 
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 XXII. 

  
  

CHAP. X.

Des Animaux, Venaisons, gros Le Zards,
Serpens, & autres bestes monstrueuses de l'Amerique.


I Aduertiray en vn mot au cõmencemẽt
de ce chapitre des
Animaux à quatre pieds, que
non seulement en general, &

Animaux
de l'Amerique
tous
dissẽblables
des nostres.
sans exceptiõ, il ne s'en trou
ue pas vn seul en ceste terre du Bresil en
l'Amerique, qui en tout & par tout soit
semblable aux nostres, mais qu'aussi
nos Tououpinambaoults n'en nourrisient
que bien rarement de domestiques. Descriuant
doncques les bestes Sauuages de
leur pays, lesquelles quant au genre sont

151

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nommees pareux Soó, ie commenceray par
celles qui sont bonnes à mãger. La premie
re & plus commune est vne qu'ils appelent
Tapirousou

Animal
demi Asne
& demi
Vache.

Tapiroussou, laquelle ayãt le poil rougeastre
& assez long, est presques de la grandeur,
grosseur & forme d'vne vache: toutesfois
ne portant point de cornes, ayant
le col plus court, les aureilles plus longues
& pendantes, les iambes plus seiches
& primes, le pied non fendu, ains de la
propre forme de celuy d'vn Asne, on
peut dire qu'elle est demie vache & demie
Asne. Neantmoins elle differe entierement
de tous les deux, tant de la queuë
qu'elle a fort courte (& notez en cest endroit
qu'il se trouue beaucoup de bestes
en l'Amerique, qui n'en ont presques
point du tout) que des dents lesquelles
elle a beaucoup plus trenchantes & aigues:
cependant pour cela, n'ayant autre
resistance que la fuite, elle n'est nullement
dangereuse. Les Sauuages la tuent
comme plusieurs autres, à coups de flesches,
ou la prennent à des chausses trapes
& autres engins qu'ils font assez industrieusement.

Au reste ils estiment merueilleusement
c'est Animal à cause de sa peau:
car quant ils l'escorchent, coupans
en rond tout le cuir du dos, apres


152

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Rondelles
faites
du cuir du
Tapiroussou.

qu'il est bien sec, ils en font des rõdelles
aussi grandes que le fond d'vn moyen tõneau,
lesquelles leur seruent à soustenir
les coups de flesches de leurs ennemis
quand ils vont en guerre. Et de fait ceste
peau ainsi seichee & accoustree est si dure,
que ie ne croy pas qu'il y ait flesche
tant roidement descochee fust-elle, qui
la sceut percer. Ie raportois en France
par singularité deux de ses Targues, mais
quãd à nostre retour la famine nous print
sur mer, apres que tous nos viures furentfaillis,
& que les Guenons, Perroquets
& autres animaux que nous appor
tions de ce pays là, nous eurent seruis de
nourriture, encore nous fallut-il manger
nos rõdaches grillees sur le charbõ: voire
comme ie diray en son lieu, tous les au
tres cuirs & toutes les peaux que nous auions
dans nostre vaisseau.

Touchãt la chair de ce Tapiroussou, elle a

Goust de la
chair du
Tapiroussou
& fa
con de la
cuire
presque le mesme goust que celle de Beauf:
& quant à la façõ de la cuire & apprester
nos Sauuages à leur mode la font ordinairement
Boucaner. Mais parce que i'ay
ia touché ci deuant, & faudra encores que
ie reitere souuent ci apres ceste façon de
parler Boucaner, afin de ne tenir plus le
lecteur en suspens, ioint aussi que l'occasion
se presente ici maintenant bien à pro
pos, ie veux declarer quelle en est la maniere.


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Nos Ameriquains donques fichans as-

Facon du
Boucan &
rotisserie
des Sanuages.


sez auant dans terre quatre fourches de
bois, aussi grosses que le bras, distantes
en quarré d'enuiron trois pieds, & esgalement
hautes esleuees de deux & demi,
mettans sur icelles des bastons à trauers
à vn pouce ou deux doigts pres l'vn de
l'autre, font de ceste façon vne grande
grille de bois laquelle en leur langage ils
appelent Boucan. Tellement qu'en ayans
plusieurs plantees en leurs maisons, ceux
d'entr'eux qui ont de la chair, la mertans
dessus par pieces, & auec du bois bien sec
qui ne rend pas beaucoup de fumee, faisant
vn petit feu lent dessous, en la tournant
& retournant de demi quart en demi
quart d'heure, la laissent ainsi cuire au-
Maniere
des Sauuages
à conseruerleurs

viandes.

tant de temps qu'ils veullent. Et mesines
parce que ne sallãs pas leurs viãdes pour
les garder, comme nous faisons par deça,
ils n'ont autre moyen de les cõseruer que
de les faire cuire, s'ils auoyent prins en
vn iour trẽte bestes fauues ou autres, telles
que nous les descrirons en ce chapitre,
afin d'euiter qu'elles ne s'empuantissent,
elles seront incontinent toutes mises
par pieces sur le Boucan: de maniere
qu'ainsi que i'ay dit, les reuirans souuent
ils les y laisseront quelquesfois plus de
vingt quatre heures, & iusques à ce que
le milieu & tout aupres des os soit aussi

154

Page 154
cuit que le dehors. Ainsi en font-ils des
poissons, desquels mesmes ayans grande
Farine de
poisson.
quantité, quand ils sont bien secs ils en
font de la farine. Brief, ce Boucan leur ser
uant de salloir, de crochet, & de gardemangé,
vous n'iriez gueres en leurs villages
que vous ne le vissiez garni non
seulement de venaison ou de poissons,
mais aussi le plus souuent (comme nous
verrons ailleurs) vous le trouueriez couuert
de grosses pieces de chair humaine,
Bras, Cuis
ses, iambes,
& autres
pieces de
chair humaine
sur
le Boucan.
& des cuisses, bras & iambes des prisonniers
de guerre qu'ils tuent & mangent.
Voila quant au Boucan & Boucannerie, c'est
à dire rotisserie de nos Ameriquains: lesquels
au reste (sauf la reuerence de celuy
qui a autrement escrit) ne laissent pas
quand il leur plaist de faire bouillir leurs
viandes.

Or pour poursuyure la description de
leurs animaux, les plus gros qu'ils ayent
apres l'Asne vache, dont nous venons de
parler, sont certaines especes, voirement
de Cerfs & Biches, qu'ils appelent Soeüas-

Seouassous

especes de
Cerfs &
Biches.
sous: mais outre qu'il s'en faut beaucoup
qu'ils soyent si grands que les nostres, &
que leurs cornes soyent aussi sans comparaison
plus petites, encores different
ils en cela, qu'ils ont le poil aussi grand
que celuy des Chevres de par deça.

Quant au Sanglier de ce pays la, lequel


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les Sauuages nomment Taiassou,
Taiassou

Sanglier.

combien qu'il soit de forme semblable à
ceux de nos forests, & qu'il ait ainsi le
corps, la teste, les oreilles, iãbes & pieds:
mesmes les dents aussi fort longues, crochues,
pointues, & par consequent tres
dangereuses: tant y a qu'outre qu'il est
beaucoup plus maigre, & qu'il a son groi
gnissement & cri estroyable, encores a-il
vne autre difformité estrange: assauoir,
Poresayãs
vn pertuis
sur le des
par ou tis
respirent.

naturellement vn pertuis sur le dos par
ou (ainsi que i'ay dit que le Marsouin a
sur la teste) il souffle, respire, & prẽt vent
quand il veut. Comme aussi, afin que cela
ne soit trouué si estrange, depuis que
i'ay fait mes memoires, i'ay leu en l'histoire
generale des Indes qu'il y a au païs
liu. 5. ch. 204.

de Nicaragua au Peru des Porcs qui ont
le nombril sur l'eschine, qui sont pour
certain les mesmes que ie vien d'escrire.
Les trois susdits animaux, assauoir le Tapiroussou,
le Seouassou, & le Taiassou sont
Plus gros
animaux
del' Amer.

les plus gros de ceste terre du Bresil.

Passant donques outre aux autres Sauuagines
de nos Ameriquains, ils ont vne
beste rousse qu'ils nomment Agouti de la

Agouti
espece de
Couchon.

grandeur d'vn couchon d'vn mois, laquel
le a le pied fourchu, la queuë fort courte,
le museau & les oreilles presques comme
celles d'vn Lieure, & est fort bonne à
manger.


156

Page 156

Dautres de deux ou trois especes que

tapitis
espece de
lieure.
ils appellent Tapitis, tous assez semblables
à nos Lieures & quasi de mesme
goust: mais quant au poil ils l'ont plus
rougeastre.

Ils prennent aussi semblablement par

Gros Rats
roux.
les bois certains Rats aussi gros qu'escu
rieux, & presques de mesme poil roux,
lesquels ont la chair aussi delicate que
celle de connils de garenne,

Pag
Animal
tacheté.
Pag ou Pague (car on ne peut pas bien
discerner lequel des deux ils proferent)
est vn animal de la grandeur d'vn petit
chien braque, a la teste bigerre & fort
mal faite, la chair presque de mesme
goust que celle de veau: & quant a sa peau
estãt fort belle, & tachetee de blanc, gris,
& noir, si on en auoit par deça elle seroit
bien riche en fourreure.

Il s'en voit vn autre de la forme d'vn
putoy, & de poil ainsi grisastre, lequel les
Sauuages nomment Sarigoy: mais parce

Sarrigoy

beste puãte
qu'il put aussi, eux n'en mangent pas volontiers.
Toutesfois nous autres en ayans
escorchez quelques vns, & cogneus
que c'estoit seulement la graisse qu'ils
ont sur les rongnons qui leur rend ceste
mauuaise odeur, apres leur auoir ostee,
nous ne laissions pas d'en manger: & de
fait la chair en est tendre & bonne.

Quant au Tatou de ceste terre du Bresil,


157

Page 157
cest Animal (comme les herissons par
Tatou
Animal
armé.

deça) sans pouuoir courir si viste que
plusieurs autres, se traisne ordinairement
par les buissons: mais en recompense
il est tellement armé & tout couuert
d'escailles, si fortes & si dures, que
ie croy qu'vn coup d'espee ne luy feroit
rien: & mesmes quand il est escorché
les escailles iouans & se manians auec la
peau (de laquelle les Sauuages font de
petits cofins qu'ils appelent Caramemo)
vous diriez que c'est vn gãtelet d'armes:
la chair en est blanche & d'assez bonne
saueur. Mais quant à sa forme, qu'il soit
si haut monté sur ses quatre iambes que
celuy que Belona representé par portrait
à la fin du troisieme liure de ses obseruations
(lequel toutesfois il nomme
Tatou du Bresil) ie n'en ay point veu de
semblables en ce pays là.

Or outre tous les susdits animaux qui
sont les plus communs pour le viure de
nos Ameriquains: encores mangent ils
des Crocodilles qu'ils nomment Iacaré

Iacaré
Crocodiles.

gros comme la cuisse & longs a l'aduenant:
mais tant s'en faut qu'ils soyent
dangereux, qu'au contraire i'ay veu plusieurs
fois les Sauuages en raporter tous
en vie en leurs maisons à l'entour desquels
leurs petits enfans se iouoyẽt sans
qu'ils leur fissent nul mal. Neantmoins

158

Page 158
i'ay ouy dire aux vieillards qu'allans par
pays ils sont quelques fois affaillis & ont
fort à faire à se deffendre à grands coups
de flesches, contre vne sorte de Iacare,
grands & mõstrueux, lesquels les apperceuans,
& sentans venir de loin sortent
d'entre les roseaux des lieux aquatiques
ou ils font leurs repaires.

Et à ce propos, outre ce qu'on re-

li. 5. ch.
196
cite de ceux du Nil en Egypte, celuy
qui a escrit l'histoire generale des Indes
dit qu'on a tué des Crocodilles en l'Isle
Crocodilles
de grãdeur
incroyable.
de Panama, qui auoyent plus de cent
pieds de long, qui est vne chose presques
incroyable. I'ay remarqué en ces moyens
que i'ay veu, qu'ils ont la gueulle fort
fendue, les cuisses hautes, la queuë non
ronde ni pointue, ains plate & desliee
par le bout. Mais il faut que ie confesse
que ie n'ay point bien prins garde si ainsi
qu'on tient communément, ils remuent
la maschoire de dessus.

Nos Ameriquains au surplus pren-

Touou
Lezaeds.
nent des Lezards qu'ils appellent Touou,
non pas verds comme les nostres, ains
gris & la peau licce ainsi que nos petites
Lezardes: mais quoy qu'ils soyent longs
de quatre a cinq pieds, gros de mesme,
& de forme hideuse à voir, tant y a neantmoins,
que se tenans ordinairement sur

159

Page 159
les riuages des fleuues & lieux marescageux
ainsi que les Grenouilles ils
ne sont non plus dangereux. Et diray
plus, qu'estans escorchez, estripez, nestoyez,
& bien cuits (la chair en estant
aussi blanche, delicate, tendre, & sa-
Gros Lezard
de
l'Ameriqfort
bons a
manger.

uoureuse que le blanc d'vn chappon)
que c'est l'vne des bonnes viande que
i'ay mangee en l'Amerique. Vray est que
du commencement i'auois cela en horreur,
mais apres que i'en eus tasté en matiere
de viandes ie ne chantois que de
Lezards.

Semblablement nos Tououpinambaoults
ont certains gros Crapaux, les-

Gros Crapaux
eeruans
de
nourriture
exl. Amer.

quels Boucanez auec la peau, les tripes
& les boyaux leur seruent de nourriture.
Partant attendu que nos medecins
enseignent, & que chacun tient par
deça, que la chair, sang, & generalement
le tout du Crapaut est mortel, sans que
ie touche autre chose de ceux de ceste
terre du Bresil, que ce que i'en vien de
dire, le lecteur pourra aisément recueillir,
qu'a canse de la temperature du pays
(ou peut estre pour autre raison que i'ygnore)
ils ne sont vilains, venimeux, ni
dangereux comme les nostres.

Ils mangent au semblable des Serpens
gros comme le bras & longs d'vne


160

Page 160
aune de Paris, & mesmes i'ay veu les Sau
Serpens
gros & longs vian
de des Ameriq.

uages en trainer & apporter (comme i'ay
dit qu'ils font des Crocodilles) d'vne sor
te de riollee de noir & rouge lesquels encores
tous en vie ils iettoyent au milieu
de leurs maisons parmi leurs femmes &
enfans, qui au lieu d'en auoir peur, les ma
nioyent à pleines mains. Ils apprestent &
font cuyre par tronsons ces grosses anguilles
de hayes: mais pour en dire ce que
i'en sçay, c'est vne viande fort fade & fort
douceastre.

Ce n'est pas qu'ils n'ayent d'autres sor
tes de Serpens, & principalement dans

Serpens
verds lõgs
& desliez
dangereux
les riuieres ou il s'en trouue de longs &
desliez aussi verds que porees, la piqueu
re desquels est fort venimeuse: comme
aussi par le recit suyuant vous pourrez
entendre qu'outre ces Touous dont i'ay
tantost parlé il se trouue par les bois vne
espece d'autres gros Lezards qui sont
tres dangereux.

Comme donc deux autres François &
moy fismes vne fois ceste faute de nous
mettre en chemin pour visiter le pays, sas
auoir des Sauuages pour guides selon la
coustume, nous estãs esgarez par les bois
ainsi que nous allions le long d'vne profonde
vallee, entendans le bruit & le trac
d'vne beste qui venoit à nous, pensans
que ce fut quelque Sauuagine, sans nous


161

Page 161
en estõner ni laisser d'aller, nous n'en fis-
Recit de
l'auteur
touchant
vn Lezard
dangereux
& monstrueux.


mes pas autre cas. Mais tout incontinent
à dextre, & à enuiron trente pas de nous
no9 vismes sur le costau vn Lezard beaucoup
plus gros que le corps d'vn homme
&, long de six à sept pieds, lequel paroissant
couuert d'escailles blancheastres, aspres
& raboteuses cõme coquilles d'huitres,
l'vn des pieds deuant leué, la teste
haussee, & les yeux estincelans, s'arresta
tout court pour nous regarder. Quoy
voyans & n'ayãs lors pas vn seul de nous
harquebuzes ni pistoles, ains seulement
nos espees, & a la maniere des Sauuages,
chacun l'arc & les flesches en la main (armes
qui ne nous pouuoyẽt pas beaucoup
seruir contre ce furieux auimal si bien ar
mé) craignãs neantmoins que si nous nous
enfuyons il ne courust plus fort que nous
& que nous ayant attrapez il ne nous engloutist
& deuorast: fort estonnez que
nous fusmes, en nous regardans l'vn l'au
tre nous demeurasmes aussi tous cois en
vne place. Ainsi apres que ce monstrueux
& espouuentable Lezard en ouurant la
gueulle, & à cause de la grande chaleur
qu'il faisoit (car le soleil luisoit lors & estoit
enuiron midi) soufflant si fort que
nous l'entendions bien aisément, nous
eut contemplé pres d'vn quart d'heure,
se retournant tout à coup, & faisant vn

162

Page 162
plus grand bri & fracassement de fueilles
& de branches par ou il passoit que ne
feroit vn Cerf courant dans vne forest,
il s'enfuit contre mont. Partant nous qui
auions eu l'vne de nos peurs, & qui n'auions
garde de courir apres, en louans
Dieu de ce qu'il nous auoit deliurez de
ce danger, nous passasmes outre. I'ay pen
sé depuis que suyuant l'opinion de plusieurs,
qui disent que le Lezard se delecte
a contẽpler la face de l'hõme, que cestuy
la auoit prins aussi grãd plaisir a nous re
garder, que nous auions eu de peur à le
considerer.

Outre plus il y a en ces pays là vne beste
rauissante que les Sauuages appelent

Ianouaré

besterauis
sante tuãt
& mangãt
es hommes.
Iãou-aré, laquelle est presques aussi haute
de iãbes & legere a courir qu'vn Levrier:
mais ayant de grands poils à l'entour du
menton la peau fort belle & bigarree cõme
celle d'vne Once, elle luy resemble
aussi bien fort en tout le reste. Les Sauua
ges non sans cause craignẽt merueilleuse
ment ceste beste, car viuant de proye cõme
le Lion, si elle les peut attraper elle ne
faut point de les tuer, deschirer par pieces,
& les manger. Et de leur costé aussi,
cõme ils sont cruels & vindicatifs contre
toute chose qui leur fait mal, quãd ils en
peuuẽt prendre quelques-vnes aux chaus
ses trapes, ne leur pouuans pis faire, ils

163

Page 163
les meurtrissent a coups de flesches & les
font languir long temps dans les fosses
ou elles sone tõbees, auãt que de les tuer:
& afin qu'on entẽde mieux cõment ceste
beste les accoustre. Vn iour que 5. ou 6.
Frãçois & moy passions par la grãde Isle
les Sauuages du lieu nous aduertissãs que
nous nous dõnissions garde du Inaou-are
no9 dirẽt qu'il auoit mangé ceste semaine
là trois persõnes en l'vn de leurs villages.

Au surplus il y a grande abondance de
ces petites Guenõs noires que les Sauua
ges nomment Cay en ceste terre du Bresil,

Cay
Guenons
notres, &
leur naturel
quant
elles sont
par les bois

mais parce qu'il s'en voit assez par deça
ie n'ẽ feray icy autre descriptiõ. Biẽ diray
ie qu'estans en ce pays là, leur naturel est
tel, que ne bougeans gueres de dessus cer
tains arbres qui portẽt vn fruit ayãt gous
ses presques cõme nos grosses febues dequoyelles
se nourrissent, ques'assẽblãs or
dinairemẽt par troupes & principalemẽt
en temps de pluye (ainsi que les chats sur
les toits p̱ deça) c'est vn plaisir de les ouïr
orier & mener leurs sabats sur ces arbres.

Au reste cest animal n'en porte qu'vn
d'vne vẽtree, mais le petit ayãt ceste indu

Industrie
des Guenõs
pour sauuer
leurs
petits.

strie de nature que si tost qu'il est hors du
ventre il embrasse & tient ferme le col du
pere ou de la mere, s'ils se voyẽt pourchas
sez des chasseurs, sautãs & l'ẽportãs ainsi
debrãche en brãche le sauuẽtde ceste façõ

164

Page 164
Partant les Sauuages n'en pouuãs gueres
prendre ni ieunes ni vieilles, n'ont autre
Facon de
prendre les
Guenons.
moyen de les auoir, sinon qu'à coups de
flesches ou de materats les abatre de dessus
les arbres, dont tombans estourdies
& quelques fois bien blecees apres qu'ils
les ont guaries & vn peu apriuoisees en
leurs maisons, ils les changent à quelque
marchandise auec les estrãgers qui voyagent
par dela. Ie di nommément appriuoisees,
car du commencement qu'elles
Guenons
farouches.
sont prises elles sõt si farouches que mot
dans les doigts, voire trauersans de part
en part auec leurs dẽts les mains de ceux
qui les tiennent de la douleur qu'on sent
on est cõtraint a tous coups de les assommer
pour leur faire lascher prinse.

Il se trouue aussi en ceste terre du Bre
sil vn marmot que les Sauuages appelent

Sagouĩ
ioli animal
Sagouïn, non plus grand qu'vn, escurieux
& de mesme poil roux: mais quant á sa figure
ayant le muffle comme celuy d'vn
Lion, & fier de mesme, c'est le plus ioli
petit animal que i'aye veu par dela. Et de
fait s'il estoit aussi aisé à rapasser que la
Guenon, il seroit beaucoup plus estimé:
mais outre qu'il est si delicat qu'il ne peut
endurer lebranslemẽt du Nauire sur mer,
encores est il si glorieux que pour peu de
fascherie qu'on luy face il se laisse mourir
de despit. Cependant il s'en voit quel

165

Page 165
ques vns en France, & croy que c'est de
ceste beste dequoy Marot (introduisant
son seruiteur Fripelipes parlãt à vn nommé
Sagon qui l'auoit blasmé) fait mention
quand il dit.

Combien que Sagon soit vn mot

Et le nom d'vn petit marmot.

Or combien que ie confesse (nonobstãt
ma curiosité) n'auoir point si bien remarqué
tous les animaux de ceste terre que
ie desirerois, si est ce que pour y mettre
fin i'en veux encore descrire deux bigerres
sur tous les autres.

Le plus gros que les Sauuages appellent
Hay est de la grandeur d'vn gros

Hay
Animal
difforme,
qu'on n'a
iamaisveu
manger:
selõ aucuns
viuant du
vent.

chien barbet, a la face (comme la Guenon)
approchante de celle de l'hõme, le ventre
ainsi pendant qu'vne Truye pleine de cou
chons, le poil gris enfumé ainsi que laine
de mouton noir, la queuë fort courte, les
iambes velues comme vn Ours, & les grif
fes fort lõgues. Et quoy que par les bois
il soit fort farouche, tant y a neantmoins
qu'estant prins il n'est pas malaisé a appriuoiser.
Vray est qu'à cause de ses griffes
si aigues nos Tououpinambaoults nuds
ne prennent pas grand plaisir à se iouer
auec luy. Mais au demeurant (chose qui
semblera possible fabuleuse) i'ay entendu
non seulement des Sauuages, mais aussi
des Truchemens qui auoyent demeuré

166

Page 166
long temps en ce pays là, que iamais hom
me ni par les champs ni à la maison, ne
vit manger cest animal: tellement qu'aucuns
estiment qu'il vit du vent.

L'autre duquel ie veux parler que les

Coati
animal
ayant le
groin estrã
gement
long &
bigerre.
Sauuages nomment Coati, est de la hauteur
d'vn grand Lieure, a le poil court,
poli, & tacheté, les oreilles, petites, droites,
& pointues: mais quant a la teste, outre
qu'elle n'est gueres grosse, ayant depuis
les yeux vn groin long de plus d'vn
pied rond comme vn baston, & s'estreçissant
tout à coup sans qu'ils soit plus gros
par le haut qu'aupres de la bouche (laquel
le aussi il a si petite qu'à peine y mettroit
on le bout du petit doigt) cela di ie resem
blant le bourdon, ou le chalumeau d'vne
cornemuse, il n'est pas possible de voir
vn museau plus bigerre. Dauantage ceste
beste estant prinse, parce qu'elle tient sesquatre
pieds serrez ensemble, & par ce
moyen penchant tousiours d'vn costé ou
d'autre, ou se laissant tomber tout à plat,
on ne la scauroit faire tenir debout ni
manger si ce n'est quelques Fourmis, dequoy
aussi elle vit ordinairement par les
bois. Enuiron huit iours apres que nous
fusmes ai riuez en l'Isle ou se tenoit Villegagnon
les Sauuages nous apporterẽt
vn de ces Coati, lequel à cause de la nouuelleté
fut autant admiré d'vn chacun de

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Page 167
nous que vous pouuez penser. Et de fait
estant estrangement defectueux eu esgard
à ceux de nostre Europe, i'ay souuẽt prié
vn nommé Iean gardien de nostre compa
gnie expert en l'art de pourtraiture de
contrefaire tant cestuy la que plusieurs
autres non seulement rares, mais aussi du
tout incogneues par deça: a quoy neantmoins
à mon grand regret, il ne se voulut
iamais adonner.