University of Virginia Library

Search this document 
Histoire d'vn voyage fait en la terre du Bresil, autrement dite Amerique.

Contenant la nauigation, & choses remarquables, veuës sur mer par l'acteur: le comportement de Villegagnon, en ce païs la. Les meurs & façons de viure estranges des sauuages ameriquains: auec vn colloque de leur langage. Ensemble la description de plusieurs animaux, arbres, herbes, & autres choses singulieres ...
  
  
  
  
  
expand section 
  

collapse section 
 I. 
 II. 
 III. 
 IIII. 
 V. 
expand sectionVI. 
 VII. 
 VIII. 
 IX. 
 X. 
 XI. 
CHAP. XI.
 XII. 
 XIII. 
 XIIII. 
 XV. 
 XVI. 
 XVII. 
 XVIII. 
 XIX. 
 XX. 
 XXI. 
 XXII. 

  
  

CHAP. XI.

De la varieté des oyseaux de l'Amerique,
tous differents des nostres: ensemble des grosses
Chauuesouris, Abeilles, Mouches, Mouchillons,
& autres vermines estranges de ce pais là

IE commenceray aussi ce cha
pitre des oyseaux (lesquels
en general nos Tououpinambaoults
appelent Oura) par

Oura
oyseau

ceux qui sont bons à manger
Et premierement diray qu'ils ont grand
Arignã
oussou
Poules
d'Inde.

quantité de ses Poules que nous appelons
d'Indes, lesquelles eux nommẽt Arignanoussou:
Comme aussi depuis que les Portugalois
ont frequenté ce pays là (car
Arignã
miri
Poules
communes.

auparauant ils n'en auoyent point) ils
leur ont dõné l'engeance des petites Pou
les cõmunes qu'ils nõment Arignan-miri:

168

Page 168
toutes fois outre, ainsi que i'ay dit quelque
part, qu'ils font cas des blãches pour
auoir les plumes afin de les teindre en
rouge & de s'ẽ parer le corps, encores ne
mangent ils guere ni des vnes ni des autres:
& mesmes estimans que les œufs
Arignau-

ropia
œuf.
qu'ils nomment Arignan-ropia, soyent
poisons, non seulement ils estoyent bien
esbahis de nous en voir humer, mais aussi,
disoyent ils, ne pouuans auoir la patiẽce
de les laisser couuer, c'est trop grãd
gourmandise à vous, qn'en mangeant vn
œuf vous mangiez vne Poule. Partant ne
tenans gueres plus de cõte de leurs Poules
que d'oiseaux Sauuages, les laissans
põdre ou bon leur semble elles amenẽt le
plus souuent leurs poussins des bois &
buissons ou elles ont couué: tellement
Gaand
quantité
de poules
d'Indes &
autres en
l'Ameriq.
que les femmes Sauuages n'ont pas tant
de peine à esleuer les petits d'Indets auec
des moyeufs d'œufs qu'on a par deça. Et
de fait les Poules multiplient tellement
en ce pays là, qu'il y a tels endroits & tels
villages, des moins frequentez des estran
gers, ou pour vn cousteau de la valeur
d'vn carolus, on en aura vne d'Inde, &
pour vn de deux liards, ou pour cinq ou
fix haims à pescher, trois ou quatre des
petites communes.

Or auec ces deux sortes de poulailles,
nos Sauuages nourrissent domestiquement


169

Page 169
des Canes d'Indes, qu'ils appelent
Upec, mais parce que nos pauures Touou-
Vpec
Canes
d'Indes.

pinambaoults ont ceste opinion enracinee,
que s'ils mangeoyent de cest Animal qui
marche ainsi pesamment, cela les empes-
Feriale
raison des
Ameriquains


cheroit de courir quãd ils seroyẽt chassez
& poursuyuis de leurs ennemis, il sera
bien habile qui leur en fera taster. S'abstenans
aussi pour mesme cause de toutes
bestes qui vont lentement, & mesmes
des poissons comme les Rayes & autres
qui ne nagent pas viste.

Quant aux oyseaux Sauuage, il s'en
prent par les bois de gros cõme Chapõs,
& de trois sortes, que les Bresiliens nomment.
Iacoutin, Iacoupen, & Iacou-ouassou.

Trois sortes
de
Iacous
especes de
Faisans.

lesquels ont tous le plumage noir & gris:
mais quant a leur goust, comme ie croy
que ce sont especes de Faisans, aussi puis
ie asseurer qu'il n'est pas possible de man
ger de meilleures viandes, que sont ces
Iacous.

Ils en ont encores deux excellẽs qu'ils

Moutõ
eyseau rare

appelent Mouton, lesquels sont aussi gros
que Paons & de mesme plumage que les
Mocacoüa
&
Ynambou-ou-

assou
deux sorte,
de grosses
perdris

susdits: toutes fois ceste sorte est rare &
s'en trouue peu.

Mocacoũa & Ynambou-ouassou sont deux
especes de Perdrix aussi grosses qu'Oyes
& de mesme goust que les precedens.

Comme aussi les trois suyuans sont,


170

Page 170
assauoir Ynamboumiri, de mesme grãdeur
que nos Perdrix: Pegassou de la grosseur
d'vn Ramier: & Paicacu comme vne Tour
terelle. Ainsi pour abreger, & laissãt à par
ler du gibier qui se trouue en grãde abõdance,
tãt par les bois que sur les riuages
de la mer, mares & fleuues d'eau douce,
ie viendray à parler des oiseaux lesquels
ne sont pas si cõmuns à mãger en ceste ter
re du Bresil. Entre les autres il y en a 2. de
mesme grãdeur, ou peu s'en faut, assauoir
plus gros qu'vn Corbeau, lesquels ainsi
presque que tous les oiseaux de l'Amerique,
ont les pieds & becs crochus comme
les Perroquets, au nõbre desquels on les
pourroit mettre. Mais quant au plumage
cõme vous mesmes iugerez apres l'auoir
entẽdu, ne croyãs pas qu'en tout le mõde
il se trouue oiseaux de plus esmerueillable
beauté, en les considerãt il y a biẽ dequoy
nõ pas magnifier nature, cõme font
les prophanes, mais admirer l'excellent
Createur d'iceux.

Pour dõc en faire la preuue, le premier
que les Sauuages appelẽt Arat, ayant les

Araty
oyseau d'ex
cellent
plumage.
plumes des aisles & celles de la queuë, laquelle
il a longue de pied & demi, moitié
aussi rouges que fine escarlate, & l'autre
moitié, la tige au milieu de chacune plume
separãt les couleurs oposites des deux
costez, de couleur celeste aussi estincelãt
que le plus sin escarlatin quise puisse voir:

171

Page 171
& au surplus tout le reste du corps azuré
quãd cest oiseau est au Soleil ou il se tiẽt
ordinairement, il n'y a œil qui se puisse
lasser de le regarder.

L'autre nõmé Canidé, ayant tout le plu

Canidé
oyseau de
plumage
azuré.

mage sous le vẽtre & à lẽtour du col aussi
iaune que fin or, le dessus du dos, les aisles
& la queuë, d'vn bleu si naif qu'il n'est pas
possible de plus, vous diriez à le voir que
il est vestu d'vne toile d'or par dessous, &
emmãtelé de damas violet figuré par dessus.
Les Sauuages en leurs chansons font
souuẽt mẽtion de ce dernier disãt & repe
tãt en ceste façon: Canide iouue canide iouue
heuraouech:
c'est à dire vn oiseau iaune, vn
oiseau iaune &c. & au reste plumans songneusemẽt
3. ou 4. fois l'ãnee ces deux sor
tes d'oiseaux, lesquels biẽ qu'ils ne soyẽt
domestiques sont neãtmoins plus souuẽt
sur des arbres au milieu de leurs villages
que parmi les bois, ils fõt fort propremẽt
Plumes
seruans a
faire robes
bonnets
bracelets &
autres pars
mens des
Sauuages.

(cõmc i'ay dit ailleurs) des robes, bõnets,
bracelets, garnitures d'espees de bois:
& autres chosesde ces belles plumesdont
ils se parent le corps. I'auois rapporté
en France beaucoup de tels pennaches
& sur tout de ces grandes queuës si bien
ainsi que i'ay dit, naturellement diuersifiees
de rouge & de couleur celeste. Mais
passant à Paris à mon retour, vn quidam
de chez le Roy, à qui ie les monstray

172

Page 172
ne cessa iamais par importunité, qu'il ne
les eust de moy.

Quant aux Perroquets, il s'en trouue
de 3. ou 4. sortes en ceste terre du Bresil,
mais quant aux plus gros & plus beaux

Aiourous

plus gros
& plus
beaux Per
roquets.
que les Sauuages appelent Aiourous, lesquels
ont la teste riolee de iaune, rouge,
& violet, le bout des aisles incarnat, la
queuë longue & iaune, & tout le reste du
corps verd, il ne s'en rapasse pas beaucoup
par deça: & cependãt outre la beauté
du plumage, estans aprins ce sont ceux
qui parlent le mieux, & par consequent
ausquels il y auroit plus de plaisir. Et de
fait vn Truchement m'en fit present d'vn
qu'il auoit gardé trois ans, lequel proferoit
si bien tant le Sauuage que le François,
qu'en ne le voyãt pas, vous n'eussiez
sccu discerner sa voix de celle d'vn homme.

Mais c'estoit bien encore plus grand

Recit du
langage &
facon esmerueilla-

ble d'vn
Perroquet
merueille d'vn Perroquet de ceste espece,
qu'vne femme Sauuage auoit apprins en
vn village à deux lieuës de nostre Isle: car
comme si cest oiseau eust eu entendemẽt
pour comprẽdre & distinguer ce que celle
qui l'auoit nourri luy vouloit dire,
quand nous passions par là, elle nous disoit
en son langage: me voulez vous donner
vn peigne ou vn mirouer & ie feray
tout maintenant en vostre presence chan

173

Page 173
ter & danser mon Perroquet? tellement
que pour en auoir le passetemps, nous luy
baillans souuent ce qu'elle demandoit,
incontinent qu'elle auoit parlé à cest oiseau,
il se prenoit non seulement à sauteler
sur la perche ou il estoit, mais aussi à
causer, siffler & à contrefaire les Sauuages
quand ils vont en guerre d'vne façon
incroyable: brief, quand bon sembloit à
sa maistresse, de luy dire chante, il chantoit:
& danse il dansoit. Que si au contrai
re il ne luy plaisoit pas, & qu'on ne luy
eust riẽ voulu bailler, si tost qu'elle auoit
dit vn peu rudement à cest oiseau Augé,
c'est à dire cesse, se tenãt tout coy sans dire
mot, quelque chose que nous luy eussiõs
peu dire, il n'estoit pas lors en nostre
puissance de luy faire remuer pieds ni lãgue.
Partant pensez que si les anciens Ro
mains, lesquels comme dit Pline furent si
liu. 10.
ch. 43.

sages que de faire non seulement des funerailles
somptueuses au Corbeau qui
les saluoit nom par nom dãs leur Palais,
mais aussi firent perdre la vie à celuy qui
l'auoit tué, eussent eu vn Perroquet si biẽ
appris, comment ils en eussent fait cas.
Aussi ceste femme Sauuage, l'appelant
son Cherimbaué, c'est à dire chose que i'aime
bien, le tenoit-elle si cher, que quand
nous luy demandions à vendre, & que
c'est qu'elle en vouloit, elle respondoit

174

Page 174
par moquerie Mocaouassou, c'est à dire
vne artillerie: tellement que nous ne le
sceusmes iamais auoir d'elle.

La seconde espece de Perroquets appe

Marganas

Perroquets
qu'on voit
plus communement

par deca.
lez Marganas par les Sauuages, qui sont
de ceux qu'on apporte & qu'on voit com
munément en France, n'est pas en grande
estime entr'eux: & de fait les ayans par
dela en aussi grande abondance que
nous auons ici les Pigeons, quoy que la
chair soit vn peu dure, ayãt neantmoins le
goust de la Perdrix, nous en mãgions sou
uent & tant qu'il nous plaisoit.

La troisieme sorte de Perroquets nom

Toüis
pettite sorte
de Perroquets.

mez Touïs par les Sauuages, & par nous
autres Moissons, ne sont pas plus gros
qu'estourneaux: mais quant au plumage,
excepté la queuë qu'ils ont fort longue &
entremeslee de iaune, ils ont le corps entierement
aussi verd que porree.

Auant que finir ce propos des Perroquets,
me resouuenant d'auoir leu en vne

Erreur
d'vn Cosmographe

touchant la
Facon des
nids des
Perroquets
Cosmographie qu'afin que les serpens
ne mangent leurs œufs, ils font leurs
nids pendus à vne branche d'arbre ie diray
ici en passant, qu'ayant veu le cõtrai
re en ceux de l'Amerique qui les fõt tous
dans des creux d'arbres, en rond & assez
durs, ie pense que ça esté vne faribole &
conte fait a plaisir à l'auteur de ce liure.

Les autres oyseaux du pays de nos Ameriquains


175

Page 175
sõt, en premierlieu celuy que
ils appelẽt Toucan dõt a autre propos i'ay
Toucã
oyseau.

fait mention ci dessus. Il est de la grosseur
d'vn ramier, & a tout le plumage, excepté
le poitral, aussi noir qu'vne Corneille.
mais ce poitral l'enuirõ de quatre doigts
Poitral
iaune du
Toucã
a quoy
sert aux
Sauuages.

en longueur & trois en largeur estant
plus iaune que saffran, escorché qu'il est
par les Sauuages, outre qu'il leur sert tãt
pour s'en couurir & parer les ioues, que
autres parties de leurs corps encores par
ce qu'ils en portent ordinairement quant
ils dansent le nommant Toucan-tabouracé
c'est à dire plume pour danser, ils en font
plus d'estime: toutesfois en ayãs en grãd
nõbre ils ne font point de difficultez d'ẽ
bailler & changer a la marchandise que
les François & Portugais qui trafiquent
par dela leur portent.

Mais au surplus cest oyseau Toucan a-

Becmonstrueux
de
l'oyseau
Toucã

yant le bec plus long que tout le corps, &
grosen proportion, sans luy parãgonner
ni luy opposer celuy de grue, qui n'est riẽ
en comparaison, il le faut tenir non seule
ment pour le bec des becs, mais aussi
pour le plus prodigieux & monstrueux
qui se puisse trouuer entre tous les Oyseaux
de l'vniuers.

Ils en ontvn d'autre espece de la grosseur

Panou
oyseau
ayant læ
poitrine
rouge.

d'vn Merle & ainsi noir, fors la poitrine
qu'il a rouge cõme sang de beuf laquelle
les Sauuages escorchẽt cõme le precedẽt

176

Page 176
& appelent cest oiseau Panou.

Vn autre de la grosseur d'vne Griue

Quiãpian

oyseau entierement

rouge.
qu'ils nomment Quiampian, lequel sans
rien excepter a le plumage aussi entierement
rouge qu'escarlate.

Mais pour vne singuliere merueille &
chef d'œuure de petitesse, il n'en faut pas
obmettre vn que les Sauuages nomment
Gonambuch, de plumage blãcheastre & lui

Gonam
buch
oiselet
trespetit.
& son
chant esmerueilla-

ble.
sant: lequel cõbien qu'il n'ait pas le corps
plus gros qu'vn Frelon, ou qu'vn Cerf vo
lant, triomphe neantmoins de chanter:
tellement que ce trespetit oiselet ne bougeant
gueres de dessus ce gros Mil que
nos Ameriquains appelent Auati, ou sur
autres grandes herbes, ayant le bec & le
gosier tousiours ouuert, si on ne l'oyoit
& voyoit par experience, on ne diroit iamais
que d'vn si petit corps il peust sortir
vn chãt si franc & si haut, voire si clair
& si net, qu'il ne doit rien au Rossignol.

Au surplus parce que ie ne pourrois
pas specifier par le menu tous les oiseaux
qu'on voit en ceste terre du Bresil, non
seulement differens en especes à ceux de
nostre Europe, mais aussi d'autres varietez
de couleurs: comme rouge, incarnat,

Varieté és
couleurs de
plusieurs
oyseaux de
l'Ameriq.
violet, blanc, cendré, diapré, de pourpre
& autres: pour la fin i'en descriray vn que
les Sauuages (pour la cause que ie diray)
ont en telle recommendation, que non

177

Page 177
seulement ils seroy ent bien marris de luy
mal faire, mais aussi s'ils scauoyent que
quelcun en eut tué de ceste espece, ie croy
qu'ils l'en feroyent repentir.

Cest Oyseau n'est pas plus gros qu'vn
Pigeon, & de plumage gris cendré: mais
au reste, qui est le mistere que ie veux tou
cher, ayant la voix penetrante, & encores
plus piteuse que celle du Chahuant, nos
pauures Tououpinambaoults qui l'entendẽt

Resuerie
des Sauua
ges s'arrestans
au
chant d'vn
oyseau.

aussi crier plus souuent de nuit que de
iour, ont ceste resuerie imprimee en leur
cerueau, que leurs parens & amis trespas
sez en signe de bonne aduenture & pour
les accourager a se porter vaillamment
contre leurs ennemis, leur enuoyent ces
oyseaux: de façon qu'ils croyent fermement,
s'ils obseruent ce quileur est signifié
par ces Augures, que non seulement
ils veincront leurs ennemis en ce monde
mais qui plus est quand ils seront morts,
que leurs ames ne faudront point d'aller
trouuer leurs predecesseurs derriere les
montagnes pour danser auec eux.

Ie couchay vne fois en vn village appelé
Vpec par les François, ou sur le soir
oyant chanter ainsi piteusement ces Oyseaux,
& voyant ces pauures sauuages si
attentifs à les escouter, scachant aussi
la raison pourquoy, ie leur voulu remon
strer leur folie: mais ainsi qu'en parlant à


178

Page 178
eux ie me prins vn peu à rire contre vn
Francois qui estoit auec moy: il y eut vn
vieillard qui assez rudement me dit tais
toy, & ne nous empesche point d'ouïr les
bonnes nouuelles que nos grands peres
nous annoncent à present: carquand nous
oyons ces oiseaux nous sommes tous res
iouys & receuons nouuelle force. Partãt
sans rien repliquer, car c'eust esté peine
perdue, me ressouuenant lors de ceux qui
tiennẽt & enseignẽt que les ames des tres
passez retournãs de purgatoire les vien-
Ameriquains
plus
aduisez
que ceux
qui croyẽt
les ames
leur apparoir
apres
la mort
des corps.
nẽt aussi aduertir de leur deuoir, ie pensay
que ce que font nos poures aueuglés
Ameriquains en cest endroit, est encores
plus supportable: car cõme ie diray plus
amplement parlant de leur Religion, cõbien
qu'ils confessent l'immortalité des
ames, tãt y a neantmoins qu'ils n'en sont
pas la logez de croire qu'apres qu'elles
sont separees des corps elles reuiennent
ains seulemẽt disent que ces oiseaux sont
leurs messagers. Voila ce que i'auois à di
re touchant les oiseaux de l'Amerique.

Grandes
chauuessou
ris succant
le sang des
orteils de
ceux qui
dorment.
Il y a toutesfois encores des chauuessouris
en ce pays là, presques aussi grandes
que nos Choucas, lesquelles entrãs la
nuit dãs les maisõs si elles trouuẽt quelcun
qui dorme les pieds descouuerts (s'adressans
tousiours principalemẽt au gros
orteil) elles ne faudront point de luy succer
le sang, & d'ẽ tirer quelques fois plus

179

Page 179
d'vn pot sans qu'il en sente rien: tellemẽt
que quand on se resueille le matin on est
tout esbahi de voir le lict de cotõ & la pla
ce toute sanglante: dequoy cependant les
Sauuages s'aperceuãs, soit que cela aduiẽ
ne a vn de leur natiõ ou a vn estrãger, ils
ne s'en fõt que rire. Et de fait, moy mesme
ayãt esté quelques fois ainsi surprins, outre
la moquerie que i'en receuois, encore
y auoit il (quoy que la douleur ne fut pas
autremẽt grãde) que ceste extremité tendre
au bout du gros orteil estãt offencee,
ie ne me pouuois chausser de 2. ou3. iours
sinõa grand peine. Ceux de l'Isle de Cuma
na,
qui est enuirõ 13. degrez au deça de l'E
quinoctïal, sont pareillemẽt molestez de
Hist. gen
des Ind.
liu. 2 ch.
80.

ces grandes & meschãtes Chauuessouris.
Auquel propos celuy qui a escrit l'histoi
re generale des Indes recite vne plaisante
histoire. Il y auoit dit il à S. Foy de Ciribici
vn seruiteur de moyne qui auoit la
pleuresie, du quel n'ayãt peu trouuer la vei
ne pour le seigner, & estãt laissé pour mort
il aduint de nuit qu'vne Chauuessouris le
mordit pres du talõ quelle trouua descou
Plaisante
histoire
d'vne Chau
uessouris.

uert, dont elle tira tant de sang que non
seulement elle s'en saoula, mais aussi lais
sant la veine ouuerte, il en saillit autãt de
sang qu'il estoit besoin pour remettre le
patient en santé: qui fut vn plaisant & gra
cieux Chirurgien pour le malade.


180

Page 180

Abeilles de
la terre du
Bresil.
Quant aux Abeilles de l'Amerique,
n'estans pas semblables à celles de par
deça, ains ressemblans mieux les petites
mouches noires que nous auons en Esté,
principalement au temps des raisins, elles
font leur miel & leur cire par les bois
dans des creux d'arbres. Et ainsi les Sauuages
qui scauẽt bien amasser l'vn & l'autre,
& qui encores meslez ensemble appe
Yra
miel &
yetic
cire noire.
lent cela Yra-yetic, car yra est le miel & yetic
la cire, apres qu'ils les ont separez, ils
mangent le miel ainsi que nous faisons:
& quant à la cire, la quelle est presque aus
si noire que poix ils la serrẽt en rouleaux
gros comme le bras. Non pas toutesfois,
Nul vsage
de torches
ni de chandelles
entre
les Sauuages.

qu'ils en facent ni torche ni chandelle, car
n'v sans point la nuit d'autre lumiere que
de certains bois qui rend la flamme fort
claire, ils se seruent principalement de
ceste cire à estouper les grosses cannes de
bois ou ils tiennent leurs plumasseries,
afin de les conseruer contre vne certaine
espece de papillons lesquels autrement
les gasteroyent.

Et afin de descrire aussi ces bestioles,

arauers
Papillons
rongeãs le
cuir & la
viande
cuite.
lesquelles sont appellees par les Sauuages
Arauers, n'estans pas plus grosses
que nos Grillets, & sortans ainsi la nuit
en troupes aupres du feu, si elles y trouuent
quelque chose, elles ne faudront
point de le ronger. Mais principalement

181

Page 181
outre qu'elles se iettoyent de telle façon
sur les collets & souliers de marroquins
que mangeans tout le dessus, ceux qui en
auoyent, à leur leué les trouuoyent tous
blancs & effleurez, encores y auoit il cela
que si nous laissiõs le soir quelques Pou
les ou autres volailles cuites mal serrees,
ces Arauers les rongeans iusques
aux os, nous nous pouuions bien attendre
de trouuer le lendemain des Anatomies.

Les Sauuages sont aussi persecutez en
leurs personnes d'vne autre petite verminette
qu'ils nomment Ton: laquelle se

Ton
vermine
dangereus
se fourrau
sous les
ongles.

trouuant parmi la terre, & n'estãt pas du
cõmencemẽt si grosse qu'vne petite puce,
se fichant neantmoins, nommément sous
les ongles des piedz & des mains, ou tout
soudain ainsi qu'vn ciron elle y engendre
vne demãiaison, si on n'est bien soigneux
de la tirer, dans peu de temps se fourrant
tousiours plus auãt elle deuiendra aussi
grosse qu'vn petit pois & ne la pourra on
arracher qu'auec grand douleur. Et ne se
sentent pas seulement les Sauuages qui
vont tout nuds & tout deschaux attaints
& molestez de cela, mais aussi nous autres
François, quelques bien vestus &
chaussez que nous fussions auions tant
d'affaire à nous en garder, que pour ma
part quelque soigneux que ie fusse d'y re

182

Page 182
garder souuẽt, on m'ẽ a tiré plus de vingt
pour vn iour. Brief i'ay veu personnages
paresseux de les tirer, estre tellement endõmagez
de ces tignes-puces, que nõ seu
lement ils en auoyent les mains, pieds, &
orteils gastez, mais mesmes sous les aisel
les, & autres parties tendres, ils estoyent
tous couuerts de petites bossettes cõme
verruers prouenantes de cela. Aussi ie
croy pour certain, que c'est ceste petite
bestiole que l'historien des Indes occidẽ
tales appele Nigua, laquelle aussi cõme il
li. 1. ch.
30.
dit se trouue en l'Isle Espagnolle, car voi
ci ce qu'il en a escrit. La Nigua est comme
vne petite puce qui saute: elle aime fort la
poudre: elle ne mort point sinon es pieds
ou elle se fourre entre la peau & la chair,
& aussi tost elle iette des lẽtilles en plus
grande quantité qu'on n'estimeroit, atten
du sa petitesse: lesquelles en engendrent
d'autres, & si on les y laisse sans y mettre
ordre, elles multiplient tant qu'on ne les
en peut chasser ni remedier qu'auec le feu
ou le fer: mais si on les oste de bonne heu
re, elles font peu de mal. Aucuns Espagnols
en ont perdu les doigts des pieds,
autres les pieds entiers.

Or pour y remedier nos Ameriquains
se frottẽt tant les bouts des orteils, qu'au
tres endroits ou elles se veulent nicher
sur eux, d'vne huile rougeastre & espesse


183

Page 183
faite d'vn fruit qu'ils nomment Couroq, le
Corouq
fruit propre
afaire
huile seruant
de
remede
aux Sauuages.


quel est presque cõme vne chastaigne en
l'escorce: ce qu'aussi nous faisions estans
par dela. Outre plus cest onguẽt est si sou
uerain pour guerir les playes, cassures &
autres douleurs qui suruiennẽt au corps
humain, que nos Sauuages cognoissãs sa
vertu, le tiennẽt aussi precieux qu'on fait
quelque part la sainte huile. Et de fait le
barbier du Nauire, ou nous repassasmes
en Frãce, l'ayãt experimẽtee en plusieurs
sortes en rapporta 10. ou 12. grands pots
plains: & autant de graisse humaine qu'il
auoit recueillie quand les Sauuages cuisoyent
& rostissoyẽt leurs prisonniers de
guerre à la facon que ie diray en son lieu.

Dauantage l'air de ceste terre du Bresil
produit encores vne sorte de petits
mouchillons, que les habitans nomment
Yetin, lesquels piquent si viuement, voire

Yetin
mouchillon
piquant
viuement.

a trauers des legers habillemens, qu'on
diroit que ce sõt pointes d'esguilles. Par
tant vous pouuez penser quel passetemps
c'est, de voir nos Sauuages tous nuds en
estre poursuyuis: car claquans lors des
mains sur leurs fesses, cuisses, espaules, &
sur tout leurs corps, vous diriez que ce
sont chartiers auec leurs fouets. I'adioust
eray encores qu'en remuant la terre &
dessous les pierres en nostre terre du Bre
sil on trouue des Scorpions, lesquels cõ-

184

Page 184
Scorpions
de l'Amerique
fort
venimeux
bien qu'ils soyent beaucoup plus petits
que ceux qu'on voit en Prouence, neantmoins
pour cela ne laissent pas, comme
ie l'ay experimenté, d'auoir leurs pointures
venimeuses & mortelles.

Comme ainsi soit doncques que cest animal
cerche les choses nettes, aduint
qu'vn iour apres que i'eu fait blanchir
mon lict de coton, l'ayant repẽdu en l'air

Scorpions
atmans les
ihoses nettes.

à la façon des Sauuages, il y eut vn Scorpion
lequel s'estant caché dans le repli,
ainsi que ie me voulus coucher (sans que
ie le visle) me piqua au grand doigt de la
main gauche, laquelle fut si soudainemẽt
enflee, que si en diligence ie n'eusse eu recours
à l'vn de nos Apothicaires, lequel
en ayant de morts dãs vne phiole auec de
l'huile m'en appliqua vn sur le doigt, il
n'y a point de doute que le venin ne se
fust soudain espanché par tout le corps.
Remede
contre la
piqucure
du Scorpion.

Et de fait nonobstant ce remede, la conta
gion fut si grande que ie fus l'espace de
vingtquatre heures en telle destresse, que
de la vehemence de la douleur que ie sen
tois ie ne me pouuois contenir. Les Sauuages
aussi estans piquez de ces Scorpiõs
s'ils les peuuent prendre, vsent de la mes
me recepte, assauoir, de les tuer & esca-
Sauuages
fort vindi
catifs.
cher sur la partie offencee. Au reste cõme
i'ay dit quelquepart, tout ainsi qu'ils sont
fort vindicatifs, voire forcenez contre

185

Page 185
toutes choses qui leur nuisent, mesmes
s'ils s'ahurtent du pied contre vne pierre
ainsi que Chiens enragez ils la mordront
à belles dents, aussi recerchãs autant que
il leur est possible les bestes qui les endõ
magent, ils en despeuplent leur pays tant
qu'ils peuuent.