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Histoire d'vn voyage fait en la terre du Bresil, autrement dite Amerique.

Contenant la nauigation, & choses remarquables, veuës sur mer par l'acteur: le comportement de Villegagnon, en ce païs la. Les meurs & façons de viure estranges des sauuages ameriquains: auec vn colloque de leur langage. Ensemble la description de plusieurs animaux, arbres, herbes, & autres choses singulieres ...
  
  
  
  
  
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PREFACE.
  
  

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PREFACE.

POVRCE qu'on se pourroit
esbahir, qu'y ayant dix
huit ans passez que i'ay fait
le voyage en l'Amerique,
i'aye tant attendu de mettre
ceste histoire en lumiere, i'ay estimé en
premier lieu estre expedient de declarer
les causes qui m'en ont empesché. Du cõmencement
que ie fus de retour en France,
monstrant les memoires que i'auois,
la pluspart escrits d'ancre de Bresil & en
l'Amerique mesme, contenans les choses
notables par moy obseruees en mõ voya
ge: ioint les recits plus au long que ie fai
sois de bouche à ceux qui s'en enqueroyent,
ie n'auois pas deliberé de passer
plus outre ni d'en faire autre mention.
Toutesfois quelques vns de ceux auec les
quels i'en conferois souuent, m'alegans,
qu'afin que tat de choses qu'ils iugeoyẽt
dignes de memoire ne demeurassent enseuelies,
ie les deuois rediger plus au lõg
& par ordre, à leurs prieres & solicitations,
dés l'an 1563. en ayant fait vn assez
ample discours, que (m'en allãt du lieu ou
i'estois) ie laissay & prestay à vn bõ person
nage: il aduint qu'ainsi que ceux ausquels
il l'auoit baillé pour le m'aporterpasloyẽt
à Lion leur estant osté à la porte de la ville,



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il fut tellement esgaré que, quelque di
ligẽce que ie peusse faire, impossible me
fut de le recouurer. Partant faisant estat
de la perte de ce liure, ayãt quelque tẽps
apres retiré les brouillars que i'en auois
laissé à celuy qui le m'auoit transcrit, ie
fis tant, qu'excepté le Colloque du langa
ge des Sauuages, qu'on verra au vingtieme
Chapitre, duquel moy n'y autre n'anoit
coppie, ie mis derechefle tout au
net. Mais quand ie l'eus acheué, les confusions
suruenans en France sur ceux de
la Religion, moy estant pour lors en la
Charité sur Loire, afin d'euiter ceste furie
quittant à grand haste tous mesliures
& papiers pour me sauuer à Sancerre: le
tout pillé incontinent apres mon depart
ce secõd recueil Ameriquain s'estãt ainsi
esuanoui, ie fus pour la seconde fois priué
de mon labeur. Cependant comme ie
faisois vn iour recit à vn notable Seigeur
de la premiere perte que i'en auois
faite à Lyon, luy nommant celuy auquel
on m'auoit escrit qu'il auoit esté baillé, il
en eut vn tel soin, que l'ayant finalement
retiré, ainsi que l'an passè. 1576. ie passois
en sa maison il le me rendit. Voila comme
iusques à present ce que i'auois escrit de
l'Amerique, m'estant tousiours eschappé
des mains n'auoit peu venir en lumiere.

Mais pour en dire le vray, il y auoit



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qu'outre tout cela ne sentant point en
moy les parties requises pour mettre à
bon escient la main à la plume, ayant veu
dés la mesme annee que ie reuins de ce
pays là, qui fut 1558. le liure intitulé Des
Singularitez de l'Amerique, lequel mõsieur
de la Porte suyuant les contes & me
moires de frere André Theuet, auoit dres
sé & disposé, quoy que ie n'ignorasse
point ce que monsieur Fumee en sa preface
sur l'histoire generale des Indes, a
fort bien remarqué: assauoit que ce liure
des Singularitez est singulierement farci
de mẽsonges, si l'aucteur sans passer plus
auant se fut contenté possible eusse-ie
encores maintenant le tout supprimé,

Mais quãd en ceste presẽte annee 1577.
lisant la Cosmographie de Theuet i'ay
veu que luy (pensant possible que nous
fussions tous morts ou que si quelqu'vn
restoit en vie il ne luy oseroit cõtredire)
n'a pas seulement renouuellé & augmen
té ses premiers erreurs, mais qui plus est
sans autre occasion que l'enuie qu'il a
euẽ de mesdire & detracter des Ministres
& par consequẽt de ceux qui en l'an 1556.
les accompagnerent pour aller trouuer
Villegagnon en la terre du Bresil, dont
i'estois du nombre, auec des digressions
fausses, piquantes, & iniurieuses, nous a
imposé des crimes, afin de repousser ces



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impostures, i'ay esté comme cõtraint de
mettre en lumiere tout le discours de no
stre voyage. Et afin, auant que passer plus
outre, qu'on ne pense pas que sans tresiustescauses
ie me pleigne de ce nouueau
Cosmographe, ie reciteray ici les calom
nies qu'il a mises en auant contre nous,
contenues au Tome second liure vingt
& vn chap. 2. feuil. 908.

Au reste dit Theuet, i'auois oublié à vous

Il deuoit
dire oublié
de mentir.

dire, que peu de temps auparauant y auoit eu
quelque seditiõ entre les Francois aduenue par
la diuision & partialitez de quatre Ministres
de la Religion nouuelle que Caluin y auoit enuoyez
pour planter sa sanglante Euãgile, le prin
cipal desquels estoitvn ministre seditieux nõmé
Richier, qui auoit esté Carme & docteur de
Paris quelques annees auparauãt son voyage.
Ces gentils predicans ne taschans que s'ẽrichir
& attraper ce qu'ils pouuoyent firent des ligues
& menees secrettes qui furent cause que quelques
vns des nostres furẽt par eux tuez. Mais
partie de ces seditieux estans prins furent executez
& leurs corps donné pour pasture aux
poissons. Les autres se sauuerent du nombre
desquels estoit ledit Richier lequel bien tost apres
se vint rendre ministre a la Rochelle la où
i'estime qu'il soit encores de preset: les Sauuages
irritez de telle tragedie peu s'ẽfallut qu'il ne se
ruassent sur nous & missẽt a mort ce qui restoit.

Voila les propres paroles de Theue les



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quelles ie prie les lecteurs de bien noteri
car comme ainfi soit qu'il ne nous ait iamais
veu en l'Amerique, ni nous semblablement
luy, moins, comme il dit, y a-il
esté en danger de sa vie à nostre occasion,
ie veux mõstrer qu'il a esté en cest endroit
aussi asseuré menteur qu'impudent calomniateur.
Partant afin de preuenir ce
que possible pour eschaper il voudroit
dire, qu'il ne rapporte pas son propos au
temps qu'il estoit en ce païs là, mais qu'il
entend reciter vn fait aduenu depuis son
retour: ie luy demande en premier lieu, si
ceste façon de parler tant expresse dont il
vse: assauoir, Les Sauuages irritez de telle
Tragedie, peu s'en fallut qu'ils ne se ruassent
sur nous, & missent àmort le reste,
se peut autrement
entendre sinon que par ce, nous,
se mettãt du nombre, il vueille dire qu'il
fut enuelopé en son pretẽdu danger? T ou
tesfois s'il vouloit tergiuerser dauantage
pour nier que son intention ait esté de
faire acroire qu'il vit les Ministres dont
il parle en l'Amerique. Escoutõs encores
le langage qu'il tient en vn autre endroit.

Au reste (dit ce Cordelier) si i'eusse demeu

Tom. 2
liu. 21.
cha. 8.
pa. 925
ré plus long temps en ce pays là i'eusse tasché á
gagner les ames esgarees de ce pauure peuple,
plustost que m'estudier à fouiller en terre pour
y chercher les richesses que nature y a cachees.
Mais d'autant que ie n'estois encores bien ver



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sé en leur langue, & que les Ministres que Cal
uin y auoit enuoyés pour plater sa nouuelle Euã
gile entreprenoyẽt ceste charge enuieux de ma
deliberation ie delaissay ceste miẽne entreprise.

Croyez le porteur, dit quelqu'vn, qui à
bon droit se mocque de telle maniere de
gens: parquoy si ce bon Catholique Romain
selon la reigle de saint François dõt
il est, n'a fait autre preuue de quiter le
monde que ce qu'il dit auoir mesprisé les
richesses cachees dans les entrailles de la terre
du Bresil:
ni autre miracle que la conuersion
des Sauuages Ameriquains habitans
en icelle desquels il vouloit (dit il) gagner
les ames si les Ministres ne l'en eussent empesché,

il est en grand danger, apres que i'auray
monstré qu'il n'en est rien, de n'estre
pas mis au Calendrier du Pape pour estre
canonisé & reclamé apres sa mort comme
mõsieur saint Theuet. Afin doncques de
faire la preuue que tout ce qu'il dit ne
sont qu'autant de balliuernes, sans mettre
en consideration s'il est vray semblable
que Theuet, qui en ses escrits fait de
tout bois flesches, comme on dit, c'est à
dire ramasse à tors & à trauers tout ce
qu'il peut pour allonger & colorer ses
cõtes, se fut teu en son liure des Singularitez
de l'Ameriq. de parler des Ministres
s'il les cust veuz en ce pays là, & par plus
forte raison s'ils eussent commis ce dont



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il les accuse à presẽt en sa Cosmographie
Imprimee seze ou dixsept ans apres: puis
que par son propre tesmoignage il se ver
fa ence liure des Singularitez, qu'en l'an.
voyez
les. 1.
24. 25.
&. 60.
chap.
1555. le dixieme de Nouembre il arriua
au cap de frie, & quatre iours apres en la
riuiere de Ganabara en l'Amerique d'ou
il partit le dernier iour de Ianuier suyuant
pour reuenir en France: & nous cependant,
comme ie monstreray en ceste
histoire, narriuasmes en ce pays la au Fort
de Colligny situé en la mesme riuiere,
qu'au commencement de Mars. 1557. attendu
di-ie qu'on voit clairement par la
qu'il y auoit plus de treze moys que The
uet n'y estoit plus, cõment a-il esté si har
di de dire qu'il nous y a veus?

Le fossé de pres de 2000. lieuës de mer
entreluy, dés lõg tẽps de retour à Paris, &
nous qui estiõs sous le Tropiq͂ de Capricorne,
ne le pouuoit-il garentir? si faisoit,
mais il auoit enuie de pousser & mentir
ainsi Cosmographemẽt. Parquoy ce premier
point prouué cõtre luy tout ce qu'il
dit, au reste ne meriteroit aucune respõce.
Toutes fois pour soudre toutes les repliques
qu'il pourroit auoir touchãt la se
ditiõ dõt il cuide parler: ie di en premier
lieu qu'il ne se trouuera pas qu'il y en ait
eu aucune au Fort de Colligny pẽdãt que
no9 y estiõs: moins y eut il vn seul Frãçois



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tué de nostre temps: Et partant si Theuet
veut encores dire, que quoy qu'il en soit
il y eut vne coniuration des gens de Villegagnon
contre luy en ce pays là, en cas
qu'il nous la vueille imputer, ie ne veux
derechef pour nous seruir d'Apologie &
pour monstrer qu'elle estoit aduenue auant
que nous y fussions arriuez que le
propre tesmoignage de Villegagnõ. Partant
combien que la lettre en latin qu'il
escriuit à M. Iean Caluin respondant à
celle que nous luy portasmes de sa part
ait ia dés long temps esté imprimee en
autre lieu, & que mesme si quelqu'vn en
doute l'original escrit d'ancre de Bresil
qui est encores en bonne main, face tousiours
foy de ce qui en est, parce qu'elle
seruira doublement à cefte matiere, assauoir,
& pour refuter, Theuet & pour mon
strer quant & quant qu'elle religion Villegagnon
faisoit semblant de tenir lors
ie l'ay encores ici inseree de mot à mot.

Teneur de la lettre de Villegagnon
à Caluin.

Ie pense qu'on ne scauroit declarer
par paroles combien m'ont resiouy vos
lettres & les freres qui sont venus auec
icelles. Ils m'õt trouué reduit en tel point
qu'il me falloit faire office de magistrat &



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quant & quant la charge de Ministre de
l'Eglise. Ce qui m'auoit mis en grande
angoisse, car l'exemple du Roy Ozias me
destournoit d'vne telle maniere de viure
Mais i'estois cõtraint de le faire, de peur
que nos ouuriers lesquels i'auois pris à
loage & amenez par deça, par la frequen
tation de ceux de la nation ne vinsent à
se souiller de leurs vices: ou par faute de
cõtinuer en l'exercice de la Religion tõbassent
en apostasie: laquelle crainte m'a
esté ostee par la venue des freres. Il y a
aussi cest aduantage, que si doresenauant
il faut trauailler pour quelque affaire &
encourir danger, ie n'auray faute de per
sonnes qui me consolẽt & aident de leur
conseil: laquelle commodité m'auoit esté
ostee par la crainte du dãger auquel nous
sommes. Car les freres qui estoyent venus
de France par deça auec moy, estans
esmeus pour les difficultez de nos affaires
s'en estoyent retirez en Egypte, chacun
alleguant quelque excuse. Ceux qui
sont demeurez estoyent pauures gẽs souf
freteux, & mercenaires, selon que pour
lors ie les auois peu recouurer, desquels
la conditiõ estoit telle que plustost il me
falloit craindre d'eux que d'en auoir aucun
soulagement. Or la cause de ceci est
qu'à nostre arriuee toutes sortes de fascheries
& difficultez se sont dressees, tellement


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que ie ne scauois bonnement quel
aduis prendre, ni par quel bout commen
cer. Le pays estoit du tout desert & en friche,
il n'y auoit point de maisons ni de
toicts, ni aucune commodité de bled. Au
contraire il y auoit des gens farouches &
sauuages, essoignez de toute courtoisie &
humanité, du tout differens de nous en fa
çon de faire & instruction: sans Religion
ni aucune cognoissance d'honneur ni de
vertu, de ce qui est droit ou iniuste: en sor
te qu'il me venoit en pensee, assauoir si
nous estions tõbez entre des bestes portans
la figure humaine. Il nous falloit
pouruoir à toutes ces incommoditez à
bon escient & en toute diligence, & y trou
uer remede pendant que les Nauires s'ap
prestoyent au retour, de peur que ceux
du pays pour l'enuie qu'ils auoyent de ce
que nous auions apporté ne nous surprinsent
au depourueu & missent à mort.
Il y auoit dauantage le voisinage des Por
tugalois, lesquels ne nous voulans point
de bien, & n'ayans peu garder le pays que
nous tenons maintenant, prennent fort
mal à gré qu'on nous y ait receus, & nous
portent vne haine mortelle. Parquoy tou
tes ces choses se presentoyent à nous ensemble:
assauoir qu'il nous falloit choisir
vn lieu pour nostre retraite, le defricher
& applanir, y mener de toutes parts


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de la prouision & munition, dresser des
forts, bastir des toicts & logis pour la
garde de nostre bagage, assembler d'alẽtour
la matiere & est offe, & par faute de
bestes la porter sur les espaules au haut
d'vn costau par des lieux forts de bois &
tresempeschans. En outre d'autant que
ceux du pays viuent au iour la iournee,
ne se soucians de labourer la terre, nous
ne trouuions point de viures assemblez
en vn certain lieu, mais il nous les falloit
aller recueillir & querir bien loin ça & là,
dont il aduenoit que nostre compagnie,
petite comme elle estoit, necessairement
s'escartoit & diminuoit. A cause de ces
difficultez mes amis qui m'auoyent suyui
tenans nos affaires pour desesperees cõme
i'ay desia demõstré, ont rebroussé che
min: & de ma part aussi i'en ay esté aucunemẽt
esmeu. Mais d'autre costé pensant
à part moy, que i'auois assuré mes amis,
que ie me despartois de France afin d'em
ployerà l'aduancement du regne de Iesus
Christ le soin & peine que i'auois mis
par ci deuant aux choses de ce monde,
ayant cogneu la vanité d'vne telle estude
& vacation, i'ay estimé que ie donnerois
aux hommes à parler de moy & de me reprendre,
& que ie ferois tort à ma reputation,
si i'en estois destourné par crainte
de trauail ou de danger. Dauantage puis


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qu'il estoit question de l'affaire de Christ
ie me suis assuré qu'il m'assisteroit, & ameneroit
le tout à bonne & heureuse issue.
Parquoy i'ay prins courage, & entieremët
appliqué mon esprit pour amener
à chefla chose laquelle i'auois entreprise
d'vne si grande affectiõ pour y employer
ma vie. Et m'a semblé que i'en pourrois
venir à bout par ce moyẽ si ie faisois foy
de mon intention & dessein par vne bõne
vie & entiere, & si ie retirois la troupe
des ouuriers que i'auois amenez de la cõ
pagnie & acointance des infideles. Estãt
mon esprit adonné à cela, il m'a semblé
que ce n'est point sans la prouidence de
Dieu que nous sommes enuelopez de ces
affaires, mais que cela est aduenu depeur
qu'estans gastez par trop grande oisiueté
nous ne vinssions à lascher la bride à nos
appetits desordonnez & fretillans. En apres
il me vient en memoire qu'il n'y a
rien si haut & mal aisé qu'on ne puisse sur
monter en se parforçant: partãt qu'il faut
mettre son espoir & secours en patience
& fermeté de courage & exercer ma famille
par trauail continuel & que la bõté
de Dieu assistera à vne telle affection &
entreprise. Parquoy nous-nous sommes
transportez en vne Isle esloignee de terre
ferme d'enuiron deux lieuës, & là i'ay


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choisi lieu pour nostre demeure, afin que
tout moyen de s'enfuir estãt osté, ie peusse
retenir nostre troupe en son deuoir, &
pource que les femmes ne viendroyent
point vers nous sans leurs maris, l'occasion
de forfaire en cest endroit fut retrãchee.
Ce neãtmoins est aduenu que vingt
six de nos mercenaires estãs amorsez par
leurs cupiditez charnelles ont conspiré
de me faire mourir. Mais au iour assigné
pour l'execution, l'entreprise m'a esté reuelee
par vn des complices au mesme instant
qu'ils venoyent en diligence pour
m'accabler. Nous auons euité vn tel danger
par ce moyen: cest qu'ayant fait armer
cinq de mes domestiques, i'ay commencé
d'aller droit contre eux: alors ces conspirateurs
ont esté saisis de telle frayeur &
estonnement, que sans difficulté ni resistance
nous auons empoigné & enprison
né quatre des principaux aucteurs du cõ
plot qui m'auoyent esté declarez. Les autres
espouuãtez de cela laissans les armes
se sont tenus cachez. Le lendemain nous
en auons deslié vn des chaines, afin qu'en
plus grande liberté il peust plaider sa cau
se, mais prenant la course il se precipita
dedãs la mer & s'estouffa. Les autres qui
restoyent estans amenez pour estre examinez
ainsi liez comme ils estoyent ont
de leur bon grésans question declaré ce


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que nous auions entendu par celuy qui
les auoit accusez. Vn d'iceux ayãt vn peu
auparauãt esté chastié de moy pour auoir
eu affaire auec vne putain s'est demõstré
de plus mauuais vouloir, &a dit que le cõ
mencement de la coniuration estoit venu
de luy, & qu'il auoit gagné par presens le
pere de la paillarde, afin qu'il le tirast
hors de ma puissance si ie le pressoy de se
abstenir de la compagnie d'icelle. Cestuy
là a esté pendu & estranglé pour tel forfaict:
aux deux autres nous auons fait
grace en sorte neantmoins qu'estans enchaisnez
ils labourent la terre: quant
aux autres ie n'ay point voulu m'informer
de leur faute afin que l'ayant cogneue
& aueree ie ne la laissasse impunie, ou si
i'en voulois faire iustice, cõme ainsi soit
que la troupe enfut coulpable, il n'en demourast
point pour paracheuer l'œuure
par nous entreprins. Parquoy en dissimulant
le mescontentemẽt que i'en auois
nous leur auons pardonné la faute, & à
tous donné bon courage: ce neantmoins
nous ne nous sommes point tellement
asseurez d'eux que nous n'ayons en toute
diligẽce enquis & sondépar les actions
& deportemens d'vn chacun ce qu'il auoit
au cœur. Et par ainsi ne les espargnant
point, mais moy-mesmes present
les faisant trauailler, non seulement


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nous auõs bouché le chemin à leurs mau
uais desseins, mais aussi en peu de temps
auons bien muni & fortifié nostre Isle
tout à l'entour. Cependant selon la capacité
de mon esprit ie ne cessois point de
les admonnester & destourner des vices,
& les instruire en la Religion Chrestienne,
ayant pour cest effet establi tous les
iours prieres publiques soir & matin,
& moyennant tel deuoir & pouruoyãce
nous auons passé le reste de l'annee en
plus grand repos. Au reste nous auons
esté desliurez d'vn tel soin par la venue
de nos Nauires. Car là i'ay trouué persõ
nages dont non seulement ie n'ay que fai
re de me craindre, mais aussi ausquels ie
me puis fier de ma vie. Ayant telle commodité
en main, i'en choisi dix de toute
la troupe, ausquels i'ay remis la puissance
& auctorité de commander, de façon que
d'oresenauant rien ne se face que par aduis
de conseil, tellement que si i'ordonnois
quelque chose au preiudice de quelqu'vn
il fut sans effet ni valeur s'il n'estoit
auctorizé & ratifié par le conseil.
Toutesfois ie me suis reserué vn point,
c'est que la sentence estant donnee, il me
soit loisible de faire grace au malfaicteur
en sorte que ie puisse profiter à tous sans
nuire à personne. Voila les moyens par
lesquels i'ay deliberé de maintenir & deffendre


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nostre estat & dignité. Nostre Seigneur
Iesus Christ vous vueille deffendre
de tout mal, auec vos compagnons,
vous fortifier par son esprit, & prolonger
vostre vie vn bien long temps pour
l'ouurage de son Eglise. Ie vous prie saluer
affectueusement de ma part mes tres
chers freres & fideles, Cephas & de la
Fleche. De Colligny en la France Antarctique
le dernier de mars 1557.

Si vous escriuez à Madame Renee de
France nostre maistresse, ie vous supplie
la saluer treshumblement en mon nom.

Il y a encores vne autre clause à la fin
escrite de la propre main de Villegagnõ,
laquelle, par ce que ie l'alegueray contre
luy mesme au sixieme chapitre de ceste
histoire afin d'obuier aux redites i'ay re-

pa. 79.

trãché en ce lieu. Mais quoy qu'il en soit
puis qu'il appert si manifestemẽt que riẽ
plus par ceste lettre que cõtre verité The
uet gazouille en sa Cosmographie que
nous auiõs esté aucteurs d'vne seditiõ au
Fort de Coligny (veu q͂lors qu'elle aduint
nous n'y estions pas encores) c'est merueille
neantmoins de ce qu'il ne se peut
saouler d'en parler. Car outre ce que dessus,
ceste digression luy plaist tant que
quãd il traite de la loyauté des Escossois


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accommodant ceste bourde à son propos
il en parle encores de ceste façon.

La fidelité desquels i'ay aussi cogneue en

Tom. 2
liu. 16.
cha. 8.
fo. 665
certain nombre de gentils-hommes & soldats
nous accompagnans sur nos nauires en ces pays
lointains de la France Antarctique, pour certaines
coniurations faites contre nostre compagnie
de Francois normands, lesquels pour enten
dre la langue de ce peuple Sauuage & Barbare,
qui n'ont presques point de raison pour la brutalité
qui est en eux auoyent intelligence, pour
nous faire mourir tous auec deux Roitelets du
pays ausquels ils auoyent promis ce peu de biens
que nous auions. Mais lesdits Escossois en estãs
aduertis descouurirent l'entreprise au seigneur
de Villegagnon & à moy aussi, duquel fait furent
tresbien chastiez ces imposteurs aussi bien
que les Ministres que Caluin y auoit enuoyez
qui beurent vn peu plus que leur saoul estans
comprins de la conspiration.

Derechef Theuet entassãt matieres sur
matieres, s'embarassãt de plus en plus, ne
scait qu'il veut dire en cest endroit: car
meslãt trois diuers faits ensẽble, dõt l'vn
toutesfois faux & supposé par luy lequel
i'ay ia refuté, & deux autres aduenus en
diuers tẽps, tant s'en faut encores que les
Escossois luy eussent reuelé la cõiuration
dont il parle à present, qu'aucontraire,
comme vous auez entendu, luy estant du
nombre de ceux ausquels Villegagnon



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reprochoit qu'ils s'en estoyent retournez
en Egypte, c'est à dire (estant vray sembla
ble que tous luy auoyent fait promesse
auant que sortir de France de se renger
à la religion reformee, laquelle il disoit
à vn chacun vouloir establir ou il alloit)
à la Papauté, il ne fut non plus en ce second
& vray danger, qu'au premier imaginaire
& forgé en son cerueau.

Touchant le troisieme, contenant qu'il
y eut des seditieux compagnons de Richier
qui furent executez & leurs corps
dõnez pour pasture aux poissons: ie di aus
si que tant s'en faut que cela soit vray, de
la façon que Theuet le dit, qu'au contraire,
ainsi qu'il sera veu au discours de ceste
histoire, combien que Villegagnon depuis
sa reuolte de la Religion nous fit vn
tres mauuais traitement, tant y a que ne
se sentant pas le plus fort, non seulement
il ne fit mourir aucuns de nostre compagnie
auant le partement du sieur du Pont
nostre couducteur & de Richier, auec les
quels ie rapassay la mer, mais aussi ne
nous osant ni pouuant retenir par force,
nous partismes de ce pays là auec son cõge:
frauduleux toutesfois, comme ie diray
ailleurs, Vray est, ainsi qu'il sera aussi
veu en sõ lieu, que de cinq de nostre trou
pe qui apres le premier naufrage que
nous cuidasmes faire enuiron huit iours



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apres nostre embarquement, s'en retournerent
dans vne Barque en la terre des
Sauuages, il en fit voirement cruellemẽt
& inhumainement precipiter trois en
mer: nõ toutesfois pour aucune sedition
qu'ils eussent entreprise, mais, comme
l'histoire qui en est au liure des martirs
de nostre temps le tesmoigne, pour la cõfession
de l'Euangile que Villegagnon
auoit reietté. Dauantage comme Theuet,
ou en s'abusant, ou malicieusement dit
qu'ils estoyent Ministres, aussi encores
en attribuant à Caluin l'enuoy de quatre
en ce pays là, commet-il vn autre double
faute. Car en premier lieu les eslections
& enuoy des Pasteurs en nos Eglises se
faisans par l'ordre qui y est establi: assauoir
par la voye des Consistoires, & de
plusieurs choisis & auctorisez de tout le
peuple, il n'y a homme entre nous qui,
comme le Pape, de puissaãce absolue puisse
faire telle chose. Secondement quant
au nombre, il ne se trouuera pas qu'il pas
sast en ce temps là, & croy qu'il n'y en a
pointeu depuis, plus de deux Ministres
en l'Amerique, assauoir Richier & Chartier.
Touttsfois si sur ce dernier article,
& sur celuy de la vocation de ceux qui fu
rent noyez, Theuet replique que n'y
regardant pas de si pres il appele tous
ceux qui estoyent en nostre compagnie


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ministres: ie luy respond, que tout ainsi
qu'il scait bien qu'en l'Eglise catholique
Romaine tous ne sont pas cordeliers cõme
luy, qu'aussi sans faire comparaison,
nous qui faisons profession de la Religion
Chrestienne & Euangelique, n'estãs
pas rats en paille, comme on dit, ne sommes
pas tous Ministres. Et au surplus par
ce que Theuet ayant aussi honorablemẽt
qualifié Richier du titre de Ministre, que
faussement du nom de Seditieux (luy con
cedant cependant qu'il a vrayement quitté
son doctoral Sorbonique) se pourroit
fascher, qu'en recompense en luy respondãt
ie ne luy baille autre titre que de Cor
delier: ie suis content pour le gratifier en
cela, de le nommer encor, non seulement
simplement Cosmographe, mais qui plus
est si general & vniuersel, que comme s'il
n'y auoit pas assez de choses remarquables
en toute ceste machine ronde, ni en
ce monde (duquel cependant il escrit ce
qui y est & ce qui n'y est pas) il va encore
outre cela rechercher des fariboles au
Royaume de la lune pour remplir ses liures
& augmenter ses œuures de contes
de la Cigongne. Dequoy neantmoins cõme
François naturel ialoux de l'honneur
de mon Prince, ie suis tant plus marri,
que non seulement celuy dont ie parle estant
enflé de ce titre de Cosmographe de


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Roy en tire argent & gages si mal emplo
yez, mais qui pis est qu'il falle par cemoyen
que des niay series indignes d'estre
couchees en vne simple missiue soyent
couuertes de l'autorité & nom Royal. Au
reste afin de faire sõner toutes les cordes
qu'il a touchees, cõbiẽ que i'estime indigne
de respõce ce que pour mõstrer qu'il
mesure tous les autres à l'aune & à la rei
gle de S. François duquelles freres mineurs
mettent & fourrent tout dans leurs
besaces il a ietté à la trauerse que les pre
dicans, comme il parle, estans arriuez en
l'Amerique ne taschans qu'à s'enrichir
en attrapoyent ou ils en pouuoyẽt auoir:
puis toutefois que cela, ainsi qu'on ditest
sciẽmẽt & de gayeté de cœur attaquer l'e
scarmouche contre ceux qu'il n'a iamais
veuen l'Ameriq. ni receu d'eux desplaisir
ailleurs, estant du nombre des deffendãs
il faut qu'en luy reiettant les pierres que
il nous à voulu ruer en son iardin, ie des
couure quelque peu de ses autres fripperies.

Premierement, pour le cõbattre tousiours
de son propre baston, que respondra-il
surce qu'ayant dit du commence-

cha. 24
ment en mots expres en son liure des Sin
liu. 21.
gularitez, qu'il ne demeura que 3. iours au Càp
cha. 4.
de Frie, il a neantmoins escrit depuis en
fo. 913
sa Cosmographie, qu'il y seiourna quelques


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mois? au moins si au singulier il eust dit
vn mois, & puis la dessus faire accroire
que les iours de ce pays là durent vn peu
plus d'vne sepmaine, il luy eust adiousté
foy qui eust voulu: mais d'estendre le seiour
de trois iours à quelques mois sous
correction, nous n'auons point encores
apprins que les iours, plus esgaux sous
la Zone Torride & pres des Tropiques
qu'en nostre climat, pour cela se transmuent
en mois.

Outre plus, pẽsant tousiours esblouyr
les yeux de ceux qui lisent ses œures, nonobstant
que ci dessus par son propre tes
moignage i'aye mõstré qu'il ne demeura
en tout qu'enuiron dix sepmaines en l'A
merique: assauoir depuis le dixieme Nouembre
1555. iusques au dernier de Ianuier
suyuant, durant lesquelles encores
(comme i'ay entendu de ceux qui l'ont
veu par dela) en attendant que les Nauires
ou il reuint fussẽt chargees, il ne bougea
gueres de l'Isle inhabitable ou se
fortifia Villegagnon, si est ce qu'à l'ouyr
discourir au long & au large vous diriez
qu'il a, non seulement veu, ouy & remar
qué en propre personne, toutes les coustumes
& manieres de faire de ceste multitude
de diuers peuples sauuages qui ha
bitẽt ceste quarte partie du monde, mais
qu'aussi il a arpenté toutes les contrees



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de l'Inde Occidẽtale: à quoy neantmoins
pour beaucoup de raisons la vie de dix
hommes ne suffiroit pas. Et de fait combien
que, tant à cause des lieux deserts &
inaccessibles, q͂ pour la crainte des Mar
gaias
ennemis iurez de nostre nation, la
terre desquels n'est pas fort esloignee du
lieu ou nous estions, il n'y ait Truchement
François, quoy qu'aucuns y ayent
demeuré neuf ou dix ans, qui se voulut
vanter d'auoir esté quarante lieuës auant
sur les terres (ie ne parle point des nauigations
lointaines sur les riuages) tant y
a que Theuet dit, auoir esté soixante lieuës
Liu. 21
cha. 17
pa. 951
& d'auantage auec des sauuages cheminans
iours & nuits dãs des bois espais & toffus sans
iamais auoir trouué bestes qui taschast à les
offencer.
Ce que ie croy aussi fermement
quant à ce dernier point, assauoir qu'il ne
fut pas lors en danger des bestes sauuages,
comme ie m'asseure que les espines
ni les rochers ne luy esgratinerent gueres
le visage ni gasterent les pieds en ce
voyage.

Tom. 2
liu. 21.
cha. 7
pa. 921
Mais sur tout qui ne s'esbahira de ce
qu'ayant dit quelque part, qu'il fut plus cer
tain de ce qu'il a escrit de la maniere de viure
des Sauuages apres qu'il eust apprins à parler
leur langage,
en fait neantmoins ailleurs si
mauuaise preuue, que Pa, qui en ceste lan
gue Bresilienne veut dire ouy, est par luy


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expose & vous aussi? De façon que cõme
au mes
meliu.
chap. 5
pa. 916

ie monstreray ailleurs le bon & solide iu
gement que Theuet a eu en escriuãt que
auant l'inuention du feu en ce pays là, il y
auoit de la fumee pour seicher les viandes,
aussi alleguant ceci en cest endroit
voyez
en ceste
hist
pa. 303

pour eschantillon de sa suffisance en l'in
telligence du langage des Sauuages, ie
laisse à iuger si n'entendant pas c'est Aduerbe
affirmatif, qui n'est que d'vne seule
syllabe il n'a pas aussi bonne grace de se
vanter de l'auoir apprins que celuy qui
luy a reproché, qu'apres auoir frequenté
quelques mois parmi deux ou trois peuples,
il a remaché ce qu'il y a apprins de
mots obscurs & effroyables aura matiere
de rire quãd il verra ce que ie di ici. Partant,
sans vous en enquerir plus auãt, fiez
vous en Theuet de tout ce que confusément
& sans ordre il vous gergonnera au
vingt vnieme liure de sa Cosmographie
de la langue des Ameriquains, & vous assurez
qu'en parlant de Mair momen &
Mair pochi il vous en baillera des plus
vertes & plus cornues.

Que dirons nous aussi de ce que s'escarmouchant
si fort en sa Cosmographie
contre ceux qui appelent ceste terre d'Amerique,
Inde Occidentale, à laquelle il
veut que le nom de France Antarctique
qu'il dit luy auoir premierement imposé



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Sing.
chap. 1
pag. 2.
lig. 30.
demeure, combien qu'ailleurs il attribue
ceste nomination à tous les François qui
arriuerent en ce pays là auec Villegagnõ,
l'a toutes fois luy mesme en plusieurs endroits
nõmee Inde Amerique. Sõme quoy
qu'il ne soit pas d'acord auecsoy-mesme,
tant y a qn'à voir les censures, correctiõs
& refutations qu'il fait des œuures d'autruy
on diroit, que tous ont esté nourris
dãs de bouteilles, & qu'il n'y a que le seul
Theuet qui ait tout veu par le trou de sõ
chaperon de cordelier. M'assurant bien
mesme que si en lisant ceste miẽne histoire
il y voit quelques traits des choses
qu'il aura tellement quellemẽt touchees,
qu'incontinent, selon l'opinion qu'il a de
luy, & suyuant son stile accoustumé il dira:
ha tu m'as desrobé cela en mes escrits.
Et de fait si Belle Forest, non seulement
Cosmographe cõme luy, mais qui outre
cela à sa louange auoit courõné son liure
des Singularitez d'vne belle Ode, n'a
peu neãtmoins eschaper que par mespris
il ne l'ait appelé vne infinité de fois en sa
Cosmographie, pauure Philosophe, pauure
Tragique, pauure Comingeois, puis
di-ie qu'il ne peut souffrir qu'vn personnage
qui mesme au reste aussi à propos
que luy s'estõmaque si souuent contre les
huguenots luy soit parangonné, que doy
ie attẽdre moy qui auec ma foible plume


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ay osé toucher vn tel Collosse? Tellemẽt
que m'estant aduis, que cõme vn Goliath
me maudissãt par ses dieux, ie le voye des
ia mõter sur ses Ergots, ie ne doute point,
quãd il verra que ie luy ay vn peu ici descouuert
sa mercerie, qu'en baaillãt pour
m'engloutir il ne fulmine à l'encontre de
moy & du petit labeur que ie mets en auant.
Mais quãd bien pour me venir cõbattre
il deuroit faire ressusciter Quoniã
begue
auec ses deux pieces d'artilleriessur
ses deux espaules toutes nues (cõme d'vne
façon ridicule, pensant faire accroire
que ce Sauuage sans crainte de s'escorcher,
ou plustost d'auoir les espaules tou
tes entieres emportees du reculemẽt des
pieces, tiroit en ceste sorte, il l'a ainsi fait
voyez
liu. 21.
pa. 952

peindre en sa Cosmographie) tant y a que
outre la charge qu'en le repoussant ie luy
ay ia faite, encores deliberay ie, non seu
lement de l'attaquer ci apres en passant,
mais qui plus est l'assaillir si viuement
que ie luy racleray, & reduiray à neant
ceste superbe VILLE-HENRY laquelle
fantastiquement il nous auoit bastie en
voyez
en ceste
hi.
pa. 101.
102, 103

l'air en l'Amerique. Mais en attendant
que ie face mes approches, & que puis
qu'il est aduerti, il se prepare pour souste
nir vaillamment l'assaut ou se rendre, ie
prieray les lecteurs qu'en se ressouuenãs
de ce que i'ay dit ci dessus que les impostures


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de Theuet contre nous ont esté cau
se en partie de me faire mettre ceste histoire
de nostre voyage en lumiere ils me
excusent si en ceste preface l'ayant conuaincu
par ses propres escrits, i'ay esté
vn peu long à le rembarrer.

Semblablement & tout d'vn fil, ie prie
que nul ne se scandalize de ce que, comme
si ie voulois resueiller les morts, i'ay nar
ré en ceste histoire quels furent les depor
temens de Villegagnon en l'Amerique,
pendant que nous y estions: car outre que
cela est du suiet que ie me suis principalement
proposé de traiter, assauoir monstrer
à quelle intention nous fismes ce
voyage, ie n'en ay pas dit à peu pres de ce
que i'eusse fait s'il estoit de ce tẽps en vie.

Au surplus pour parler maintenant de
mon fait, parce premierement que la Religion
est l'vn des principaux points qui
se puisse & doyue remarquer entre les hõ
mes, nonobstãt que bien au long ci apres
au 18. chap. ie declare quelle est celle des
Tououpinãbaoults Sauuages Ameriquains
selon que ie l'ay peu comprendre, toutes
fois d'autant que, comme il sera la veu, ie
commence ce propos par vne difficulté
dont ie ne me puis moy-mesme assez esmerueiller,
tant s'en faut que ic la puisse
si entierement resoudre qu'on pourroit
bien desirer, dés maintenãt ie ne laisseray



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d'en toucher quelque chose. It diray dõc
qu'ẽcores que ceux qui ont le mieux parlé
selon le sens commun ayent non seulement
dit: maisaussi cogneu, qu'estre hõme,
& auoir ce sentiment, qu'il faut donc
despendre d'vn plus grand que soy, voire
que toutes creatures sont choses tellement
coniointes l'vne auec l'autre, que
quelques differents quise soyẽt trouuez
en la maniere de seruir à Dieu, cela n'a
peu renuerser ce fondemẽt que l'homme
naturellemẽt doit auoir quelque Religiõ
vraye ou fausse, si est ce neantmoins qu'apres
que d'vn bon sens rassis ils en ont
ainsi iugé, qu'ils n'out pas aussi dissimulé,
quand il est question de comprendre
à bon escient à quoy se renge plus volon
tiers le naturel de l'hõme en ce deuoir de
Religiõ qu'on apperçoit volõtiers estre
vray ce que le Poëte latin a dit assauoirt

Que l'appetit bouillant en l homme

Est son principal Dieuen somme.

Ainsi pour appliquer, & faire cognoistre
par exẽple, ces deux tesmoignages en
nos Sauuages Ameriquains, il est certain
en premier lieu, que nonobstant ce qui
leur est de particulier il ne se peut nier
qu'eux estans hommes naturels n'ayent
aussi ceste disposition & inclination com
mune à tous: assauoir d'apprehẽder quelque
chose plus grãde que l'homme, dont



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depend le biẽ & le mal, tel pour le moins
qu'ils l'imaginent. Et à cela se rapporte
l'honneur qu'ils font à ceux qu'ils nomment
Caraïbes, dont nous parlerons en
son lieu, lesquels ils cuident en certaines
saisons leur apporter le bon heur ou le
malheur. Mais quant au but qu'ils se pro
posent pour leur contentement & souue
rain point d'honneur, qui est, comme ie
monstreray parlant de leurs guerres &
ailleurs, la poursuite & vengeance de
leurs ennemis: reputans cela à grand gloi
re tant en ceste vie qu'apres icelle (tout
ainsi qu'en partie ont fait les anciens Ro
mains) ils tiennent telle vengeance & victoires
pour leur principal bien: bref selon
qu'il sera veu en ceste histoire, au regard
de ce qu'on nomme Religion parmi
les autres peuples, il se peut dire tout
ouuertement que non seulement ces pau
ures Sauuages n'en ont point, mais aussi
s'il y a nation qui soit & viue sans Dieu
au monde que se sont vrayemẽt eux. Tou
tesfois en ce point sont ils peut estre
moins condamnables: c'est qu'en aduouant
& confessant aucuncment leur
malheur & aueuglissement (quoy qu'ils
ne l'apprehendent pour s'y desplaire ni y
chercher le remede quand mesme il leur
est presenté) ils ne font semblant d'estre
autre que ce qu'ils sont.



No Page Number

Touchant les autres matieres, les som
maires de tous les chapitres mis au commencement
du liure monstreront assez
quelles elles sont: cõme aussi le premier
chapitre declare la cause qui nous meut
de faire ce voyage en l'Amerique. Ainsi
i'aduertiray qu'ayant seulemẽt mis cinq
diuerses figures d'hommes Sauuages en
ceste premiere edition: à la seconde, si le
liure est bien receu, nous en adiousterõs
plusieurs non seulement de forme humai
ne & de choses concernãtes les meurs &
façons de viure des Ameriquains, mais
aussi d'animaux à quatre pieds, d'oiseaux
poissons, arbres, herbes, fruits, racines, &
autres choses de ce pays là, qui non seule
ment sont rares mais aussi du tout incogneues
par deça.

Au reste, n'ignorant pas le dire commun:
assauoir parce que les vieux &
ceux qui ont esté loin, ne peuuent estre
reprins, qu'ils se licentient & donnent
souuent congé de mentir: ie diray
la dessus en vn mot, que tout ainsi que
i'hay la menterie & les menteurs, que
aussi s'il s'en trouue quelcũ quine vueille
adiouster foy à plusieurs choses voirement
estranges qui se liront en ceste histoire,
qu'il sache quel qu'il soit que ie
ne suis pas pour cela deliberé de le mener
sur les lieux pour les luy faire voir. Tellement



No Page Number
que ie ne m'en donneray non plus
de peine que ie fais de ce qu'õ in'a dit que
aucuns doutent de ce que i'ay escrit &
fait imprimer par ci deuant du siege & de
la famine de Sancerre: laquelle cependãt
(cõme il sera veu) ie puis assurer n'auoir
encores esté si aspre, bien plus longue
toutesfois, que celle que nous endurasmes
sur mer au voyage dont est questiõ
à nostre retour en France. Car si ceux
dont ie parle n'adioustent soy à ce qui a
esté fait & pratiqué au milieu & au centre
de ce Royaume de France, au veu & sceu
de plus de 500. persõnes encores viuãtes,
cõment croyront ils ce que non seulemẽt
ne se peut voir qu'à pres de deux mille
lieuẽs loin du pays ou ils habitent, mais
aussi choses si esmerueillables, & non iamais
cogneues ni escrites des Anciens,
qu'à peine l'experience les peut elle engrauer
en l'entendement de ceux qui les
ont veues? Et de fait ie n'auray point hon
te de dire, que depuis que i'ay esté en ce
pays d'Amerique auquel presques tout ce
qui se voit, soit en la façon de viure des
habitans, ou en la forme des animaux, &
en general en ce que la terre produit, estant
dissemblable de ce que nous auons
en Europe, Asie, & Affrique, peut bien estre
appelé vn mõde nouueau à nostre esgard,
sans approuuer les fables qui se lisent


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és liures de plusieurs qui se fians aux
rapports qu'on leur a fait ou autrement,
ont escrit des choses du tout fausses, ie
me suis retracté de l'opinion que i'ay autresfois
euẽ de Pline & de quelques autres,
descriuans les pays estranges, parce
que i'ay veu des choses aussi bigerres &
prodigieuses qu'aucunes qu'on à tennes
incroyables dont ils font mention.

Pour l'esgard du stile & du langage, cõ
me i'ay ia touché ci deuant, confessant
mon incapacité en cest endroit, ie scay
biẽ, pour n'auoir vsé de phrases ni de ter
mes assez propres & signifians pour bien
representer & expliquer tant l'art de nauigation,
qu'autres diuerses choses dont
ie faits mention que plusieurs ne s'en cõ
tenteront pas: & nõmément nos François
qui ayans les oreilles tant delicates, & ay
mans tãt les belles fleurs de Rhetorique
n'admettent ni ne reçoyuẽt nuls escrits,
sinon auec mots nouueaux & bien pindarisez.
Moins encores satisferay-ie à ceux
qui estiment tous liures, non seulement
pueriles, mais aussi steriles, sin on qu'ils
soyent enrichis d'histoires & d'exemples
prins d'ailleurs. Car combien qu'à proposi'en
eusse peu appliquer plusieurs és
matieres que ie traite, tat y a, qu'excepté
l'historien des Indes Occidentales lequel
ayant escrit beaucoup de choses des Indiens



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du Peru & d'autres nations de ce
pays là, conforme à ce que ie di de nos
Sauuages Ameriquains, i'allegue souuẽt,
ie ne me suis que bien rarement serui des
autres. Et de fait à mon petit iugement,
vne histoire, sans estre tãt paree des plumes
d'autruy, estant assez riche quãd elle
est rẽplie de son propre suiet, outre que
cela fait que pour le moins les lecteurs
n'extrauagans point du but pretendu
par l'aucteur qu'ils ont en main, compre
nẽt mieux son intentiõ, ie me rapporte à
ceux qui lisent les liures, qui s'imprimẽt
iournellement, tant des guerres que d'au
tres choses, si la multitude des allegatiõs
des autres aucteurs, quoy qu'ils soyent
adaptez aux matieres dont il est question
ne les ennuyent pas. Surquoy cependant
afin qu'on ne m'obiecte qu'ayant reprins
ci dessus Theuet, & condamnant ici quelques
autres ie commet neantmoins moymesme
telles fautes: si quelqu'vn trouue
mauuais quãd ci apres ie parleray des façons
de faire des Sauuages,
comme si ie
me voulois faire valoir, i'vse si souuent
de ceste façon de parler: ie vis, ie me trou
uay, cela m'aduint & choses semblables:
ie di qu'outre (ainsi que i'ay touché) que
ce sont matieres de mõ propre suiet que
encores, comme on dit, est ce parler de sci
ence: voire diray, de choses que nul n'a


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possible iamais remarquees si auant que
moy, moins s'en trouue il rien par escrit.
I'entens toutesfois non pas de toute l'Amerique
en general, mais seulement de
l'endroit ou i'ay demeuré enuiron vn an:
assauoir sous le Tropique de Crpricorne
entre les Sauuages nommez Tououpinambaoults.
Finalement i'assure ceux qui ayment
mieux la verité dite simplemẽt, que
le mensonge orné & fardé de beau langage,
qu'ils trouueront en ceste histoire les
choses que ie propose, non seulemẽt veri
tables, mais aussi aucunes, pour auoir
esté cachees à ceux qui ont precedé nostre
siecle, dignes d'admiration. Priant l'Eter
nel aucteur & conseruateur de tout cest
vniuers, & de tant de belles creatures qui
y sont contenues que ce mien petit labeur
reussisse à la gloire de son sainct
Nom, Amen.