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Histoire d'vn voyage fait en la terre du Bresil, autrement dite Amerique.

Contenant la nauigation, & choses remarquables, veuës sur mer par l'acteur: le comportement de Villegagnon, en ce païs la. Les meurs & façons de viure estranges des sauuages ameriquains: auec vn colloque de leur langage. Ensemble la description de plusieurs animaux, arbres, herbes, & autres choses singulieres ...
  
  
  
  
  
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 VIII. 
CHAP. VIII.
 IX. 
 X. 
 XI. 
 XII. 
 XIII. 
 XIIII. 
 XV. 
 XVI. 
 XVII. 
 XVIII. 
 XIX. 
 XX. 
 XXI. 
 XXII. 

  
  

CHAP. VIII.

Du naturel, force, stature, nudité, disposition
& paremens du corps, tant des hommes que des

femmes Sauuages Bresiliens, habitans en l'Amerique:
entre lesquels i'ay frequenté enuiron
vn an.


108

Page 108

AYANT iusques ici recité,
tant ce que nous vismes sur
mer en allant en la terre du
Bresil, que cõme toutes choses
passerent en l'Isle & Fort
de Colligny ou se tenoit Villegagnon,
pendãt que nousy estions: ensemble quelle
est la riuiere nommee Ganabara en l'Amerique:
puis que ie suis entré si auant
en matiere, auant que ie me rembarque
pour retourner en France, ie veux aussi
discourir tant de ce que i'ay obserué touchant
la façon de viure des Sauuages, que
des autres choses singulieres & inconues
par deça que i'ay veuës en leur pays.

En premier lieu doncques (asin que
commençant par le principal ie poursuyue
par ordre) les Sauuages de l'Amerique
habitans en la terre du Bresil nommez
Toüoupinambaoults, auec lesquels i'ay demeure
& frequenté enuiron vn an, n'estãs

Stature
& disposition
des
Sauuages.
point plus grands, plus gros, ou plus petits
de stature que nous sommes en l'Europe,
n'ont le corps ni mõstrueux, ni prodigieux
à nostre esgard: bien sont-ils plus
forts, plus robustes & replets, plus disposts,
moins suicts à maladie: & mesine il

109

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n'y a presque point de boiteux, de manchots,
d'aueugles, de borgnes, cõtrefaits,
ni maleficiez entre eux. Dauantage combien
que plusieurs paruiennent iusques
à l'aage de cent ou six vingts ans (car ils
sçauẽt bien ainsi retenir & cõter leurs aa
Aage des
Sauuages

ges par Lunes) peu y en a qui en leur vieil
lesse ayent les cheueux ni blancs ni gris.
Choses qui pour certain mõstrẽt non seu
lement le bon air & bonne temperature
de leur pays, auquel cõme i'ay dit ailleurs
sans gelees ni grandes froidures les bois
& les champs sont tousiours verdoyans,
mais aussi (eux tous buuans vrayement
à la fontaine de Iouence) le peu de soin
Les Sauuages
peu
soucieux
des choses
de ce mõde.

& de souci qu'ils ont des choses de ce mõ
de. Et de fait, comme ie le monstreray encore
plus amplement ci apres, tout ainsi
qu'ils ne puisent en façon que ce soit en
ces sources fangeuses, ou plustost pestilentiales,
dont descoulent tant de ruisseaux
qui nous rongent les os, succent la
mouëlle, attenuent le corps, & consumẽt
l'esprit: brief nous empoisonnent & font
mourir deuant nos iours: assauoir, en la
desfiance, en l'auarice qui en procede, aux
proces & brouïlleries, en l'enuie & ambition,
aussi rien de tout cela ne les tourmente,
moins les domine & passionne.

Quant à leur couleur naturelle, attendu
la region chaude ou ils habitent, n'estans


110

Page 110
pas autrement noirs, ils sont seulement
basanez, comme vous diriez les Espagnols
ou Prouençaux.

Au reste, chose non moins estrãge que
difficille a croire à ceux qui ne l'ont veu,
tant hommes, femmes, qu'enfans, nõ seu

Nudité
des Sauuages
en general.

lement sans cacher aucunes parties de
leurs corps, mais aussi sans en auoir nul
le honte ni vergongne, demeurent & võt
coustumierement aussi nuds qu'ils sortẽt
du ventre de leur mere. Cependant tant
s'en faut, comme aucuns pensent & d'autres
le veulent faire accroire, qu'ils soyẽt
velus ni couuers de leurs poils, qu'au
Contre
ceux qui
estiment les
Sauuages
velus.
contraire, n'estans point naturellement
plus pelus que nous sommes en ces pays
par deçà, encores si tost que le poil qui
croist sur eux, commence à poindre & a
sortir de quelque partie que ce soit, voire
la barbe & iusques aux paupieres & sour
cils des yeux (ce qui leur rend la veuë lou
che, bicle, esgaree & farouche) ou il estarraché
auec les ongles, ou depuis que les
chrestiens y frequentẽt auec des pincet-
Hist. ge.
des In. li.
2. ch. 79
tes qu'ils leur donnent: ce qu'on a aussi
escrit que font les habitãs de l'Isle de Cu
mana au Peru. I'excepte seulement quãt à
nos Tououpinãbaoults les cheueux, lesquels
encoresà tous les masles des leur ieunes
aages, depuis le sommet, & tout le deuant
de la teste sont tõdus fort pres, tout ainsi

111

Page 111
que la couronne d'vn moine, & sur le der
riere, à la façõ de nos maieurs & de ceux
qui laissẽt croistre leur perruque, on leur
rongne sur le col.

Outre plus, ils ont ceste coustume que
dés l'enfance de tous les garçons la leure

Leure percee
& la
fin pourquoy.


de dessous, au dessus du mentõ, leur estãt
percee, chacun y porte dãs le trou vn cer
tain os bien poli aussi blanc qu'yuoire.
Cest os presques fait de la façon d'vne de
ces petites quilles dont on ioue par deçà
sur la table auec la pirouette, le bout poin
tu sortãt vn pouce ou deux doigts en dehors,
est retenu au reste par vn arrest
entre les genciues & la leure, tellement
qu'ils l'ostent & le remettent quand bon
leur semble. Mais ne portans ce poinson
d'os blanc qu'en leur adolescence, quãd
ils sont grands & qu'on les appelle Conomi
oüassou
(qui vaut autãt à dire que gros
ou grãd garçon) au lieu d'iceluy ils appli
quent & enchassẽt au pertuis de leurs le-
Pierres
vertes enchassees

aux leures.

ures vne pierre verte, espece de fauce esmeraude,
laquelle aussi retenue d'vn arrest
par le dedãs paroist par le dehors, de
la rondeur & largeur & deux fois aussi espesse
qu'vn teston: voire il y en à qui en
portẽt d'aussi rõde & longue que le doigt
de laquelle façon i'en auois rapporté vne
en France. Que si au reste quelques fois,
quãt ces pierres sont ostees, nos Tououpinambaouls
pour leur plaisir fõt passer leur

112

Page 112
langue par la fente de la levre, estant aduis
par ce moyen à ceux qui les regardẽt
qu'ils ayent deux bouches, ie vous laisse
à penser, s'il les fait bon voir, & si cela
les difforme ou non. Ioint qu'outre cela
i'ay veu des hõmes lesquels ne se contentans
pas de porter de ces pierres vertes
à leurs levres en auoyent aussi aux deux
Ious percees
afin
d'y appliquer
des
pierres
vertes.
iouës lesquelles semblablement ils s'estoyent
fait percer pour cest effect.

Quant au nez, au lieu que les sages
femmes de par deça dés la naissance des
enfans, afin de leur faire plus beaux &
plus grands, leur tirent auec les doigts,
nos Ameriquains tout au rebours, faisás
consister leur beauté d'estre fort camus,
si tost que les enfans d'entr'eux sont sortis
du ventre de la mere (tout ainsi que
vous voyez qu'on fait en France es barbets
& petits chiens) ils ont le nez escrasé
& enfoncé auec le pouce. Au cõtraire

Hist. ge.
des Ind.
liu 4 ch.
108.
quelque autre dit, qu'il y a vne certaine
contree au Peru ou les Indiẽs ont le nez
si outrageusement grand qu'ils y mettent
des Emeraudes, Turquoises, & autres
pierres blãches & rouges auec filets d'or.

Au surplus nos Bresiliens se bigarrent
souuent le corps de diuerses peintures &
couleurs: mais sur tout ils se noircissent
ordinairement, si bien les cuisses & les
iambes du ius d'vn certain fruit qu'ils


113

Page 113
nomment Genipat, que vous iugeriez à
Sauuages
noircis &
peiuturez.

les voir vn peu de loin de ceste façon que
ils ont chaussez des chausses de prestre:
& s'imprime si bien sur leur chair ceste
tainture noire faite de ce fruit Genipat,
que quoy qu'ils se mettent dans l'eau voi
re qu'ils se lauent tant qu'ils voudront,
ils ne la peuuent effacer de dix ou douze
iours.

Ils ont aussi des croissans d'os biẽ vnis,

Croissans
d'os blane.

aussi blancs qu'albastre, lesquels ils nom
ment Yacy du nom de la Lune qu'ils appellent
ainsi, & les portent pendus à leur
col quant il leur plaist.

Semblablemẽt apres qu'auec vne grãde
longueur de temps ils ont polis sur vne
pierre de grez, vne infinité de pieces d'vne
grosse coquille de mer appelee Vignol
lesquelles ils arrondissent & font aussi
primes & desliees qu'vn denier tournois:
percees qu'elles sont par le milieu, & enfilees
auec du fil de coton, ils en font des
colliers qu'ils nomment Boü-re, lesquels

Boü-re
collier.

quand bon leur semble, ils tortillent à
lentour de leur col, comme on fait en ces
pays les chaines d'or. C'est à mon aduis
ce qu'aucuns appelẽt porcelaine, de quoy
on voit beaucoup de femmes porter des
ceintures par deça: & en auois plus de
trois brasses des plus belles qui se puissent
voir quand i'arriuay en France.


114

Page 114

Dauantage nos Ameriquains ayans
quantité de poules communes, dont les
Portugais leur ont baillé l'engeance, plu
mans souuent les blanches, & auec quelques
ferremens, depuis qu'ils en ont, &
auparauant auec des pierres trenchantes
decoupans plus menu que chair de pasté
les duuets & petites plumes, apres qu'ils
les ont fait bouillir & taindre en rouge
auec du Bresil, s'estans frottez d'vne certaine
gomme qu'ils ont propre à cela, ils
s'en couurent, emplumassent, & chamarrent
le corps, les bras, & les iambes: tellement
qu'en c'est estat ils semblent auoir
du poil folet comme les pigeõs, & autres
oy seaux nouuellement esclos. Et est vray

Sauuages
emplumassez
ont
fait penser
qu'ils estoyent

velus.
semblable que quelques vns de ces pays
par deça les ayans veuz du commencement
accoustrez de ceste façon, sans auoir
plus grande cognoissance d'eux, diuulguerẽt
& firẽt courir le bruit, que les
Sauuages estoyẽt velus: mais comme i'ay
dit ci dessus, n'estans pas tels de leur naturel,
c'a esté vne ignorance & chose trop
Hist. gen
des Ind.
liu. 2. ch.
79.
legierement receue. Quelqu'vn au semblable
à escrit, que les Cumanois s'oignent
d'vne certaine gomme, ou onguent
gluant, puis se couurent de plumes de di
uerses couleurs, n'ayans point mauuaise
grace en tel equipage.

Quant à l'ornement de teste de nos


115

Page 115
Toupinenquin, outre la couronne sur
le deuant, & cheueux pendans sur le derriere
dont i'ay fait mention, ils lient & ar
rengent des plumes d'aisles d'oyseaux, in
carnates, rouges, & d'autres couleurs, des
quelles ils font des fronteaux assez res-
Frõteaux
de plumes.

semblans, quant à la façon, aux faux cheueux
& Rates pelades, que les dames &
damoiselles de France, & d'autres pays
de l'Europe portent depuis quelque tẽps
en ça: & diroit on qu'elles ont eu ceste in
uention de nos Sauuages, lesquels appelent
cest engin Yempenambi. Ils ont aussi
Tendans
d'oreilles.

des pendãs à leurs oreilles, faits presque
de la mesme sorte que l'os pointu, que
i'ay dit ci dessus les ieunes garçons auoir
& porter en leurs levres trouees. Et au
surplus ils attachẽt sur chacune de leurs
Paremens
sur les
ioues.

iouës auec de la cire qu'ils nommẽt Yrayetic,
vn poitral d'oiseau couuert de petites
& subtiles plumes iaunes. Ce poitral
estant long & large d'enuirõ trois doigts
est appelé par eux Toucan, du nom de
l'oyseau qui le porte, lequel comme ie le
descriray en son lieu, a non seulement
tout le reste du corps aussi noir qu'vn
corbeau, mais aussi a le bec excessiuement
gros & monstrueux.

Que si outre tout ce que dessus nos
Bresiliens allãs à la guerre, ou (à la façon
que ie vous diray ailleurs) tuent solẽnel-


116

Page 116
Robes bon
nets bracelets
& au
tresioyaux
de plumes
lement vn prisonnier pour le manger, se
voulans mieux parer & faire plus braues
ils se vestent lors de robes, bonnets, bracelets,
& autres paremens de plumes, ver
tes, rouges, bleuës, & autres de diuerses
couleurs, naturelles, naĩues & d'excellẽtes
beautez. Et de fait apres qu'elles sont
par eux diuersifiees, entremeslees & fort
proprement liees l'vne à l'autre, auec de
tres petites pieces de bois de Cannes, &
du fil de Couton, n'y ayant plumassier en
Frãce qui les sceut gueres mieux manier
ni plus dextrement accoustrer, vous iugeriez
que les habits qui en sont faits,
sont de velours à long poil. Ils font de
Garnitures
de plumes
pour
tes espees
de bois.
mesmes artifices, les garnitures de leurs
espees & massues de bois, lesquelles ainsi
decorees & enrichies de ces plumes si
bien appropriees & appliquees à cest vsa
ge, il fait aussi merueilleusement bon
voir.

Pour la fin de leurs equipages, recouurans
de quelques endroits de leurs pays
de grandes plumes d'Austruches de couleurs
grises, les accommodans tous les
tuyaux serrez d'vn costé, & le reste, qui
s'esparpille en rond en façon d'vn petit
pauillon, ou d'vne rose, ils en font vn
grand pennache qu'ils appelent Araroye,
lequel estant lié sur leurs reins auec vne
corde de Coton, l'estroit deuers la chair,


117

Page 117
& le large en dehors, quãd ils en sont ain
Pennache
sur les
reins.

si enharnachez (comme il ne leur sert à
autre chose) vous diriez qu'ils portent vne
mue à tenir les poulets dessous attachee
sur leurs fesses. Ie diray plus amplement
en autre endroit, que les plus grãds
guerriers d'entr'eux afin de monstrer leur
vaillance, & sur tout combiẽ ils ont tuez
de leurs ennemis, & mesmes massacrez de
prisonniers pour manger, s'estans inci-
Sauuages
deschiquetez.


sez la poitrine, les bras, & les cuisses, frot
tans puis apres ces deschiqueteures d'vne
certaine poudre noire, qui les fait paroistre
toute leur vie, il semble à les voir
de ceste façon, que ce soyent chausses &
pourpoins decoupez à la Suisse, & à grãd
balaffres qu'ils ayent vestus.

Que s'il est question de danser, sauter,
boire & Caouïuer, qui est presque leur mestier
ordinaire, afin qu'outre le chãt & la
voix ils ayent encores quelques choses
qui leur reueille l'esprit, apres qu'ils ont
cueilli vn certain fruit de la grosseur &
approchant aucunemeut de forme d'vne
chastagne d'eau, lequel a la peau assez fer
me: bien sec qu'il est, le noyau osté, & au
lieu d'iceluy ayans mis de petites pierres
dedans, en enfilans plusieurs ensemble ils
en font des iambieres, lesquelles liees à

Sonnettes
composees
de fruits
secs.

leurs iambes, font autant de bruit que feroyent
des coquilles d'escargots ainsi

118

Page 118
disposees: voire presque que les sonnettes
de par deçà, desquelles aussi ils sont
fort conuoiteux quant on leur en porte.

Outreplus, y ayant en ce pays là vne
sorte d'arbre qui porte son fruit aussi
gros qu'vn œuf d'Austruche & de mesme
figure, les Sauuages l'ayans percé
par le milieu (tout ainsi que vous voyez
en France, les enfans percer de grossesnoix
pour faire des moulinets) puis creusé,
& mis dedans de petites pierres rõdes,
ou bien des grains de leur gros mil, duquel
il sera parlé ailleurs, passant puis apres
vn baston d'enuiron vn pied & demi
de long à trauers, ils en font vn instrumẽt
qu'ils nomment Maraca: lequel bruyant

Maraca

instrument
bruyant
fair d'vn
gros fruit.
plus fort qu'vne vessie de pourceau pleine
de poix, nos Bresiliens l'ont ordinaire
ment en la main. Quand ie traiteray de
leur Religion, ie diray l'opinion qu'ils
ont tant de ceste sonnerie que de ce Maraca,
apres que paré & enrichi qu'il a esté
de belles plumes, ils l'ont dedié à l'vsage
que nous verrons là. Voila en somme
quant au naturel, accoustremens, & paremens
dont nos Toüoupinambaoults ont accoustumé
de s'equiper en leur pays. Vray
est que nous autres ayans porté dans nos
Nauires grand quantité de frises rouges,
vertes, iaunes, & d'autres eouleurs, nous
leur en faisions faire des robes, & des

119

Page 119
chausses bigarrees, lesquelles nous leurs
changions à des viures, Guenõs, Perroqiets,
Bresil, Couton, Poiure long, & autres
choses de leur pays, dont les Mariniers
chargent ordinairemeut leurs Vais
seaux. Mais les vns, sans rien auoir sur le
Sauuages
demi nuds
& demi
vestus.

corps, ayans aucunesfois chaussé de ces
chausses larges à la Mattelote: les autres
au contraire sans chausses ayans vestu
des sayes, qui ne leur venoyent que iusques
aux fesses, quant ils s'estoyent vn
peu regardez & pourmenez de ceste façõ,
se despouillans ils laissoyent leurs habits
en leurs maisons iusques à ce que l'enuie
leur vint de les reprendre. Autant en faisoyent
ils des chapeaux & chemises que
nous leur baillions.

Ainsi ayant deduit bien amplemẽt tout
ce qui se peut dire concernãt l'exterieur
du corps tãt des hommes, que des enfans
masles Ameriquains, si maintenant en
premier lieu, suyuant ceste description,
vous-vous voulez representer vn Sauuage,
imaginant en vostre entendement vn

Epilogue
premier
pour se bi
representer
vn Sa
uage.

homme nud, bien formé, & proportiõné
de ses membres, ayant tout le poil qui
croist sur luy arraché, les cheueux tondus,
de la façon que i'ay dit, les leures &
iouẽs fendues & des os pointus, ou pierres
vertes comme enchassees dedans, les
oreilles percees auec des pendãs en icelles,

120

Page 120
le corps peinturé, les cuisses & iambes
noircies de la teinture qu'ils font de
ce fruit Genipat sus mentionné, des colliers
composez d'vne infinité de petites
pieces de ceste grosse coquille de mer que
ils appelent Vignol, tels que ie vous les
ay deschiffrez, pendus au col: vous le ver
rez comme il est ordinairement en son
pays, & tel quant au naturel, que vous le
voyez pourtrait en la page suyuãte, ayãt
seulement son croissant d'os bien poli sur
sa poitrine, sa pierre au trou de la levre:
& pour contenance son arc desbandé, &
ses flesches aux mains. Vray est que pour
remplir ceste premiere planche, nous auons
mis aupres de ce Tououpinambaoult
l'vne de ses femmes, laquelle suyuant leur
coustume, tenant son enfant dans vne escharpe
de coutõ, l'enfant au reciproque,
selon la façon aussi qu'elles les portent,
tient le costé de la mere embrassé auec les
deux iambes: & aupres des trois vn lict
de couton fait comme vne rets à pescher
pendu en l'air, ainsi qu'ils couchent en
leur pays. Semblablement la figure du
fruict qu'ils nomment Ananas, lequel,
ainsi que ie le descriray ci apres, est des
meilleurs que produise ceste terre du
Bresil.



No Page Number
[ILLUSTRATION]

122

Page 122

Car touchant l'artifice, outre qu'il fau
droit plusieurs figures pour representer
tous les paremens de leur corps, selon
qu'ils sont cõtenus en ceste description,
encores ne les sçauroit-on bien faire paroir
sans y adiouster la peinture, ce qui
requerroit vn liure à part.

Second
Epilogue
En second lieu luy ayant osté toutes
ses fanfares de dessus, apres l'auoir frotté
de gõme glutineuse, couurez luy tout le
corps, bras & iambes, de petites plumes
hachees menu comme de la bourre teinte
en rouge, & lors il sera beau fils.

Troisieme
description
Pour le troisieme, soit qu'il soit en sa
couleur naturelle, ou peinturé, ou emplu
massé, reuestez le de ses habillemẽs, bonnets,
& bracelets faits si industrieusemẽt
de ses belles, naturelles & naïues plumes
de diuerses couleurs dont ie vous ay fait
mention, & ainsi accoustré vous pourrez
dire qu'il est en son grand Pontificat.

Descriptiõ
quatrieme.
Que si pour le quatrieme, à la façon
que ie vous ay tantost dit qu'ils font, le
laissat moitié nud & moitié vestu, vous le
chaussez & habillez de nos frises de couleurs,
ayant vne mãche verte & vne autre
iaune, considerez la dessus qu'il ne luy
faut plus qu'vne marote.

Finalement adioustant aux choses susdites
son Maraca en sa main, le pennache
de plume nomme Arraroye sur les reins,


123

Page 123
& ses sonnettes composees de fruits à len
Equipage
des Sauua
ges quant
ils boiuent
dansent &
gambadẽt.

tour de ses iambes, vous le verrez lors,
ainsi que ie le representeray encores en
vn autre lieu, equipé en la façon qu'il est
quand il dance saute boit & gambade.

Quand ie parleray de leurs guerres &
de leurs armes, leur dechiquetãt le corps
leur mettant l'espee ou massue de bois &
l'arc & les fle sches au poing ie les descriray
plus furieux. Partant laissant pour
maintenant à part nos Tououpinambaoults
en leur magnificence, gaudir & iouir du
bon temps qu'ils se scauent bien donner,
il faut voir si leurs femmes & filles (lesquelles
ils nomment Quoniam, & despuis
queles Portugais ont frequenté par delà
en quelques endroits Maria) sont mieux
parees.

Premierement, outre ce que i'ay dit au

Nudité
des Ameriquaines.


commencement de ce chapitre qu'elles
võt ordinairemẽt toutes nues aussi bien
que les hõmes, encores ont elles cela de
commun auec eux de s'arracher tant tout
le poil qui croist sur elles que les paupie
res & sourcils de leurs yeux. Vray est que
pour l'esgard des cheueux, elles ne les en
suyuent pas: car non seulement elles les
laissent croistre & deuenir lõgs, mais aus
si (comme les femmes de par deçà) les pignent
& les lauent fort soigneusement,
voire les troussent quelques fois auec vn

124

Page 124
cordõ de Couton teint en rouge: toutesfois
les laissant le plus communément
pendre sur leurs espaules elles võt presques
tousiours descheuelees.

Au surplus combien qu'elles different
aussi en cela des hommes qu'elles ne se
fendent point ni les levres ni les iouës,
& par consequent ne portent aucunes
pierrerics en leur visage, tant y a neantmoins
qu'elles se percent si outrageusement
les deux oreilles, pour y appliquer

Prodigieux
pendans
aux
ereilles des
fammes
Sauuages.
des pendans, que quand ils en sont ostez,
on passeroit aisément le doigt à trauers
des trous. Et au surplus ces pendans, qui
sont faits de ceste grosse coquille de mer
nõmee Vignol dõt i'ay parlé, estãs blãcs,
ronds, & aussi lõgs qu'vne moyenne chã
delle de suif, quant elles en sont coiffees,
& que cela leur bat sur les espaules, voire
iusques sur la poitrine, vous iugeriez à
les voir vn peu de loin, que ce sont oreil
les de Limiers.

Quant à leur visage, voici la façon com
me elles se l'accoustrent. La voisine ou
compagne, auec vn petit pinceau en la
main, ayant cõmencé vn petit rond droit
au milieu de la iouẽ de celle qui se veut

Bigerre
facon des
Ameriquæines
a
farder leur
Visage.
faire peinturer, tournoyant tout à lentour
en rouleau & forme de limaçon,
non seulement continuera iusques a ce
qu'elle luy ait ainsi bigarré & chamarré

125

Page 125
oute la face, de couleurs bleuë, iaune, &
rouge, mais aussi (ainsi qu'on dit que font
semblablement en France quelques impudiques)
au lieu des paupieres & sourcils
arrachez, elle n'oubliera pas de bailler
le coup de pinceau.

Au reste elles font vne sorte de grands
bracelets, composez de plusieurs pieces

Grands
Bracelets
composez
deplusieurs
pieces d'os.

d'os blancs, coupez & taillez en maniere
de grosses escailles de poissõs, lesquelles
elles scauẽt si bien raporter, & si propremẽt
ioindre l'vnc à l'autre auec de la cire
& autre gomme meslee parmi en façon de
colle, qu'il n'est pas possible de mieux.
Cela ainsi fabriqué, long qu'il est d'enuiron
vn pied & demi, ne se peut mieux cõ
parer qu'aux brassars dequoy on iouẽ au
ballon par deça.

Semblablement elles portent de ces
colliers blancs (nommez Boüre en leur
langage) lesquels i'ay descrit ci dessus:
non pas toutesfois qu'elles les pendent
à leur col, comme vous auez entendu que
font les hommes, car seulement elles

Bracelets
de porcelaz͂
ne & de
boutons de
verre.

les tortillent à lentour de leurs bras. Et
voila pourquoy, & pour appliquer à mes
me vsage, elles trouuoyent si iolis les pe
tits boutons de verre, iaunes, bleus, &
verds, enfilez en façon de patenostres,
qu'elles appelent Mauroubi, desquels
nous auions porté en grand nombre,

124

Page 124
pour trafiquer parmi ce peuple. Et de fait
soit que nous allissions en leurs villages
ou qu'elles nous vinsent voir en nostre
Fort, afin de les auoir de nous, nous presentãs
des fruits ou quelque autre chose
de leur pays, selon la façon & maniere de
parler de flaterie, dõt elles vsent or dinairement,
nous rõpant la teste elles estoyẽt
incessamment apres nous drsant, Maïr de
Flaterie
des Ameriquaines.

agatorem, amabé mauroubi: cest à dire François
tu es bon, donne moy de tes bracelets
de boutons de verre. Elles faisoyẽt le
sẽblable pour tirer de nous des peignes
qu'elles nomment Guap ou Kuap, des mi
rouers, qu'elles appelent Arrcua, & tou
tes autres choses que nous auions dont
elles auoyent enuie.

Mais entre toutes les choses doublemẽt
estranges, & plus qu'esmerueillables, que
i'ay obseruees en ces femmes Bresiliennes,
c'est, combien qu'elles ne se peinturent
pas si souuent le corps, les bras & les
iambes, que font les hommes, & mesmes
qu'elles ne se couurent ni de plumage ni
d'autre chose qui croisse en leur terre, tãt
y a neantmoins, quoy que nous leur ayõs
souuent voulu bailler des robes de frises

Resolution
des Ameri
quaiues de
ne se point
vestir.
ou des chemises (cõme i'ay dit que nous
faisions à leurs maris) qu'il n'a iamais esté
en nostre puissance de les faire vestir
de chose quelle qu'elle fut. Il est vray que

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Page 127
pour auoir plus beau pretexte de s'en exempter,
nous alleguant leur coustume,
qui est, qu'à toutes les fontaines & riuieres
claires qu'elles rencontrent, s'accrou
Coustume
des femmes
Sauuages
de se lauer
souuent.

pissans sur le bord ou se mettans dedans,
auec les deux mains se iettent de l'eau
sur la teste, se lauans & plongeans ainsi
tout le corps comme Cãnes, tel iour sera
plus de douze fois, elles disoyent que ce
leur seroit trop de peine de se despouiller
tant souuent. Ne voila pas vne belle
raison? Or telle qu'elle est, d'en contester
dauantage contre elles ce seroit en
vain, car vous n'en aurez autre chose. Et
de fait, cest Animal se delecte si fort en
ceste nudité, que non seulement les femmes
de nos Tououpinambaoults demeurãtes
en liberté en terre ferme en estoyent là re
solues & obstinees, mais aussi encore que
nous fissions couurir par force les prisõ
nieres prinses en guerre que nous auions
achetees, & que no9 teniõs esclaues pour
trauailler en nostre Fort, tant y a toutes-
Femmes
esclaues
opiniastres
en leur
nudité.

fois que si tost que la nuit estoit venue,
despouïllans leurs chemises ou autres
haillons qu'on leur bailloit, auãt qu'elles
se couchassẽt elles se plaisoyẽt à se pourmener
toute nues parmi nostre Isle. Brief
si cela eust esté à leur chois, & qu'à grand
coups de fouëts, on n'eust contraint ces
pauures miserables de s'habiller, elles

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eussẽt mieux aimé endurer le halle & cha
leur du Soleil, voire s'escorcher les bras
& les espaules à porter la terre & les pier
res, que de rien endurer sur elles.

Voila aussi en somme quels sont les
ornemens, bagues, & ioyaux ordinaires
des femmes & filles de l'Amerique. Partant
sans en faire autre Epilogue, que le
lecteur par la narration que i'en ay faite
les contemple comme il luy plaira.

Traitant du mariage des Sauuages, ie
diray cõme leurs enfans sont accoustrez
des leur naissance: mais pour l'esgard des
grãdets, au dessus de trois ou quatre ans,
ie prenois sur tout grand plaisir de voir
les petits garçons qu'ils nõment Conomi-

Conomi
miri
petits garcons
leur
equipage,
& facons
de faire.
miri, c'est a dire petits garçõs, grassets, &
refaits qu'ils sõt beaucoup plus que ceux
de par deça, lesquels auec leur poinson
d'os blanc en leurs levres fendues, leurs
cheueux tondus à leur mode, & quelques
fois le corps peinturé, ne failloyent iamais
de venir en troupes dansans au deuant
de nous quand ils nous voyoyent ar
riuer en leurs villages. Aussi, pour en estre
recompensez, en nous amadoüans &
suyuans de pres, n'oublioyent ils pas de
nous dire, & repeter souuẽt en leur petit
gergon: Cotoüassat amabé pinda, c'est a dire
mon ami, ou mon allié, donne moy des
haims à pescher Que si la dessus, en leur

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octroyant leur requeste, comme i'ay sou-
Passetẽps
qu'on ades
garconnets
Sauuages.

uẽt fait, on leur en mesloit dix ou douze
des plus petits parmi le sable & la poussiere,
eux se baissans soudainemẽt, c'estoit
vn passetemps de voir ceste petite marmaille
toute nue, laquelle pour trouuer
& amasser ces hameçõs, trepilloit & gratoit
la terre ainsi que font les connils de
garenne.

Finalemẽt combien que durãt enuiron
vn an que i'ay esté en ce pays là, i'aye esté
si curieux de contempler & les grands &
les petits, que m'estant aduis que ie les
voye tousiours deuant mes yeux i'en auray
toute ma vie l'idee & l'image en mon
entendement: tant y a neantmoins, parce
que leurs gestes & contenances sont du
tout dissemblables des nostres, que ie cõ

Raison
pourquoy
on ne peut
du tout re
presenter
les Sauuages.


fesse estre malaisé de les bien representer
ni par escrit, ni mesmes par peintures.
Ainsi pour en auoir le plaisir, il les faut
voir & visiter en leur pais. Mais, me direz
vous, la planche est bien longue. Il est
vray & partant si vous n'auez bon pied,
bon œil, craignans que vous ne tresbuchiez,
ne vous iouez pas de vous mettre
en chemin. Nous verrons encore plus am
plement ci apres, selon que les matieres
que ie traiteray se presenteront, qu'elles
sont leurs maisons, vtẽciles de mesnage,
façõ de se coucher & autres manieres de
faire.


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Toutesfois, auant que clorre ce chapitre,
ce lieu ici requiert que ie responde,
tant à ceux qui ont escrit, qu'à ceux qui
pensent, que la frequentation entre ces
Sauuages tous nuds, & principalement
parmi les fẽmes incite à lubricité & paillardise.
Surquoy ie diray en vn mot, que
encores voirement selon l'apparence que
il n'y ait que trop d'occasion, d'estimer
qu'outre la deshõnesteté de voir ces fem
mes nues, cela ne semble aussi seruir cõme
d'vn appast ordinaire de conuoitise,
toutesfois, pour en parler selon ce qui
s'en est cõmunement apperceu pour lors
ceste nudité ainsi grossiere en telles fem
mes est beaucoup moins attrayante qu'õ
ne cuideroit. Et partant ie maintien que
les attifez, fards, fausses perruques, cheueux
tortillez, grands collets fresez, ver
tugales, robes sur robes & autres infinies

Nudité
des Ameriquaines

moins a
craindre
que l'artifice
des
femmes de
par deca.
bagatelles dont les femmes de pardeçà se
contrefont & n'ont iamais assez, sont sans
comparaison cause de plus de maux que
la nudité ordinaire des femmes Sauuages:
lesquelles, cependantquant au naturel, ne
doyuent rien aux autres en beauté. Telle
mẽt que si l'hõnesteté me permettoit d'en
dire dauantage, mé vantãtbien de soudre
toutes les obiections qu'on me pourroit
amener au contraire, i'en donnerois des
raisons si euidentes, que nul ne les pourroit

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nier. Sans doncques poursuyure ce
propos plus outre, ie me raporte de ce
peu que i'en ay dit à ceux qui ont fait le
voyage en la terre du Bresil, & qui cõme
moy ont veu les vnes & les autres.

Ce n'est pas cependant que contre ce
qu'enseigne la saincte Escriture d'Adã &

Intention
de l'auteur
sur le discours
de la
nudité des
Sauuages.

Eue, lesquels apresle peché recognoissans
qu'ils estoyent nuds furent honteux, ie
vueille en façõ que ce soit approuuer ceste
nudité: plustost detestay ie les heretiques
qui contre la loy de nature (laquel
le toutesfois quant a ce point n'est nullement
obseruee entre nos pauures Ameriquains)
l'ont voulu autresfois introduire.

Mais ce que i'ay dit de ces Sauuages,
est pour monstrer, qu'en les condamnans
siausteremẽt de ce que sans nulle ver
gongne ils vontainsi le corps entieremẽt
descouuert, nous excedãs en l'autre extre
mité: c'est a dire en nos baubances, superfluitez
& exces en habits ne sommes pas
plus louables. Et pleust a Dieu, pour met
trefin aceste matiere qu'vn chacũ denous
plus pour l'honnesteté & necessité que
pour la gloire & mondanité, s'habillast
modestement.